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LES 10% DE MONSIEUR MURR 
 
C’est un phénomène tout à fait remarquable: depuis quelque temps, le président de la République lui-même et le chef du gouvernement ne cessent de rassurer tous leurs interlocuteurs, tous leurs auditoires: les élections municipales auront lieu à la date prévue. Il y avait donc, un doute. Aucun doute n’est plus permis.
De son côté, le ministre de l’Intérieur, vice-président du Conseil, M. Murr, en charge de l’organisation de ce scrutin, est aussi catégorique mais en prenant, toutefois, quelque précaution: à qui veut l’entendre, il répète à toutes les occasions, que ces élections auront bien lieu à la date annoncée. “Croyez-moi! mais à 90%”. M. Murr réserve, ainsi, 10% à l’éventualité d’un ajournement. Comme l’on dit “l’homme propose et Dieu dispose”. (En l’occurrence, la part de Dieu semble un peu mince).
Pourquoi toutes ces assurances et pourquoi cette réserve de 10%?
Pour une raison évidente: les détenteurs du pouvoir ont finalement pris la mesure de la suspicion qui persiste dans l’esprit public, chaque fois qu’ils font une promesse ou prennent une décision.
Question de crédibilité. Question de confiance.
Ils reconnaissent implicitement qu’on ne les croit plus. C’est grave. C’est très grave. Car malgré la conscience qu’ils semblent avoir de ce manque de confiance, ils conservent le pouvoir et le conserveront longtemps encore. Pourquoi pas?
Quant à la réserve de 10% de M. Murr, elle révèle bien que les doutes de l’opinion publique ont tout de même un fondement.
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Les aveux de ce genre, parfois plus explicites, ne sont pas nouveaux. Les promesses et les engagements qui n’ont pas été tenus durant ces cinq ou sept années écoulées sont nombreux et concernent tous les domaines de la gestion de l’Etat.
On reconnaît, ainsi, que les engagements de Taëf n’ont pas été tous remplis; on s’aperçoit à la fin de chaque exercice budgétaire que la promesse d’équilibre financier n’est pas respectée; on sait que la promesse de réforme administrative est passée aux oubliettes; que la promesse de retour des personnes déplacées et de réconciliation nationale demeure incomplètement réalisée; que les perspectives de développement économique et de justice sociale sont de plus en plus éloignées; que le pouvoir d’achat de la monnaie est en constante dégradation, etc...
L’énumération des promesses non tenues serait sans fin. Tout cela est ressassé tous les jours et le plus significatif, c’est que cela n’émeut plus personne. Le manque de crédibilité des détenteurs du pouvoir et le manque de confiance du peuple et de la majorité de ses députés sont entrés dans les mœurs, en quelque sorte. Cela n’a aucun effet sur le fonctionnement du régime qualifié de démocratique.
Tout se passe comme s’il était admis et naturel qu’un gouvernement ne puisse pas tenir ses promesses et que même quand il est acculé à rendre des comptes, cela ne porte pas à conséquence.
Le gouvernement a toujours des excuses et ses détracteurs, condamnés à l’impuissance, sont du moins heureux qu’on leur fournisse toujours des raisons d’exercer, avec plus ou moins de virulence, leur esprit critique. On s’en tient là.
Ainsi, le gouvernement et ses adversaires, tout le monde est content de pouvoir tenir son rôle dans un système d’irresponsabilité généralisée.

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Il faut être juste. On ne va pas méconnaître ce dont M. Hariri ne manque jamais de tirer avantage, à juste titre d’ailleurs: beaucoup de projets ont été réalisés dans le domaine des infrastructures, des équipements et de la reconstruction. D’ailleurs, le maître d’œuvre de ces réalisations, le chef du gouvernement lui-même ne se fait jamais faute de nous le rappeler en soulignant qu’en ce domaine, du moins, les promesses sont tenues et les travaux sont toujours en avance sur les échéances.
M. Hariri a pris aussi l’habitude de nous rassurer sur un point souvent soulevé: il n’est pas vrai, dit-il, que la priorité soit donnée au béton au dépens des problèmes sociaux ou humains. Il aura mis, cependant, cinq ans pour relever, ainsi, le reproche qu’on lui fait généralement.
Mais il ne s’agit encore là que de paroles et de bonnes intentions. Il faut une politique. Et là, on peut se permettre de conserver quelque doute au vu du bilan de ces cinq dernières années. Dès lors, la question de crédibilité est toujours posée.
Mais personne n’espère une réponse sans une réserve d’au moins, cette fois, 10%. 

 
 
 

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