Il
a fallu, enfin, une opération “Deus Ex Machina” de la Grande Muette,
mais à quel prix, pour éradiquer l’insurrection Toufayli,
l’autre bête noire après Israël du Hezbollah! Mais ne
valait-il pas mieux surtout et d’abord, résoudre la crise menaçante
des affamés et celle non moins dangereuse, socio-économique
qui met le Liban à bout de souffle, avant qu’elle dégénère,
en une explosion généralisée dont la moindre étincelle
provoquerait une révolte sans précédent qui, le cas
échéant, pèserait sur l’avenir du Liban et de la démocratie,
en l’absence d’une politique sociale adaptée à l’air du temps?
Dans la tempête qui secoue le Liban, le gouvernement en place
doit parvenir à mettre de l’ordre dans la maison. Il est grand temps
de dégager toutes les ambigüités, de mettre fin à
l’art de choisir le pire et de faire le jeu de l’adversaire.
Il était temps aussi d’enrayer tous les déclins que nous
avons subis un quart de siècle durant. De moderniser nos institutions
désuètes, d’extirper le virus qui les ronge depuis un âge
lointain.
En politique, on aime jouer à qui perd gagne, ce qui d’ailleurs,
nous a toujours conduits à une étrange combinaison tricéphale,
où tout le monde est groupé sous le même toit, sans
jamais s’entendre, comme si la langue de bois était l’unique moyen
de camoufler la triste réalité que vit chez nous la citoyenneté.
Preuve en est: la majorité des Libanais ne suivent pas leurs gouvernants
en l’absence de toute morale politique et de toute crédibilité.
Demain, les Libanais en colère, quelles sirènes doivent-ils
entendre, celles annonçant le changement longtemps attendu, ou d’autres
qui sonnent le glas? L’Histoire nous enseigne, combien rares sont les personnes
qui mettent le pouvoir à l’abri de tout soupçon. Dans un
Liban révolté, ne croyant plus en rien, ni en personne, le
fossé est devenu tellement profond entre les responsables qui ne
font qu’accoucher les lois au “forceps”! Comment peut-on concilier la chose
et son contraire? La contrainte du vide est un mal terrible qu’il nous
faut à tout prix maîtriser.
***
A l’heure où le pouvoir en place s’engage à restaurer
l’autorité et la responsabilité de l’Etat de droit, n’est-il
pas indispensable pour la bonne presse d’orienter sa curiosité vers
toutes les entreprises susceptibles de refléter les multiples aspects
de la vie nationale?
Nous sommes, certes, prêts à supporter toutes les démesures,
hormis celles qui détruiraient l’autorité dans les structures
multidimensionnelles de notre société pluraliste.
Dans ce Liban épuisé par dix sept ans de mésaventures,
un nouveau statut social s’avère impératif, qui serait pour
nos structures démantelées par la violence et l’iniquité,
ce que le contrat social établi au XVIIème siècle
en Occident, cherchait à faire pour les structures de l’époque.
Faut-il encore tarder au Liban pour s’atteler à cette tâche?
“Gare aux retardataires”, gronde l’Histoire. Construire le Liban est un
objectif essentiel à l’heure où rôdent à ses
frontières et en son propre sein, tous les défis des temps
à venir. On ne répond pas à de tels défis par
des critères d’un autre âge. Le terrain qui s’impose est celui
du social, l’unique pouvant donner crédit à l’espérance.
Si les Libanais ont trop souffert de leurs échecs et de leurs réussites,
c’est parce que l’affairisme étatique a miné inévitablement
leurs mœurs et leurs cultures traditionnelles. S’ils tiennent à
épargner la mise à l’encan de leur précieux patrimoine,
ou en l’occurrence, éviter le soulèvement des masses au sein
desquelles se manifeste la joie d’imposer le souvenir des libertés,
il leur faut trouver de toute urgence, le moyen de restaurer l’autorité
dans le domaine socio-politique, dans l’économique et il va de soi
dans le technologique, pour ne pas vivre hors du temps.
Au demeurant, ils auront besoin d’un libéralisme nouveau à
la mesure du Liban de demain, capable de distinguer entre l’autorité
légitime des institutions et le pouvoir pur et simple. L’Histoire
nous apporte quotidiennement des témoignages irréfutables
en la matière. Aujourd’hui et demain sûrement, les revendications
des démunis, des affamés, des gens au chômage, des
déplacés, qui sont légion, doivent être prises
en compte. Car à chaque nouvel assaut contre l’autorité,
des esprits chagrins montent aux créneaux pour défier l’Etat
de droit. Il faudrait pour le meilleur et pour le pire, éviter que
ce phénomène malencontreux se reproduise! Rappelons-nous
que le “fatum” en Histoire, c’est la carence d’hommes à la tête
solide. Au Liban comme partout ailleurs, la notion de “méritocratie”,
ou plus exactement celle du professionnalisme est l’une des valeurs les
plus menacées. Nous vivons l’époque où toutes les
activités sont politisées, où les jugements objectifs
ne cessent d’entrer en conflit avec des exigences personnelles, où
l’on exalte le promoteur de la subversion comme un héros démocratique
échappant à toute échelle de qualité. Evolution
qui devrait nous préoccuper sérieusement, en raison de ses
répercussions évidentes, surtout dans le domaine de l’éducation.
***
L’économie libanaise qui, depuis un temps est à la charge
de l’équipe Hariri, est à la recherche d’une troisième
voie qui suppose une redéfinition du rôle de l’Etat. Puisse-t-elle
y parvenir à temps! Encore faut-il renoncer définitivement
à l’idée de faire de l’Etat l’unique responsable de toutes
nos faillites; celles préméditées inclues. Comme aussi
il faudrait admettre que la justice sociale et l’aménagement de
la Cité, ne sont pas l’automatique miroir de la croissance économique.
La querelle du monétarisme au Liban devrait préoccuper davantage
le cabinet Hariri. La priorité donnée à la lutte contre
l’inflation, la débâcle monétaire, les déficits
budgétaires et les endettements, ne sont-ils pas en réalité
la cause de la stagnation économique, avec ses dramatiques séquelles
qui étouffent les Libanais depuis déjà une décennie?
A ceci vient s’ajouter la calamiteuse querelle de l’étatisme.
Le Liban fait figure d’un pays en décadence, capitulant face aux
problèmes sociaux: pauvreté, chômage, insécurité,
infrastructures délabrées, etc... Il serait totalement absurde
de prendre systématiquement le contre-pied des expériences
précédentes, sous prétexte de faire du nouveau. Le
gouvernement Hariri a besoin d’une doctrine solide pour exercer une action
sélective au sein de nos institutions. Tout le reste est littérature.
Le jour où la volonté de redressement ne se manifestera
plus uniquement dans les grands projets, mais dans les petits aussi, ce
jour-là, le Liban ne doutera plus de cette autre victoire qu’il
aura remportée sur lui-même et à laquelle depuis longtemps
il ne croyait plus. Il reste que ce qui demeure encore intact dans ce pays,
c’est ce grand moment de la conscience nationale: arrivera-t-il bientôt?
Des responsabilités défaillantes, les Libanais en ont marre.
Et comme ils ne croient plus en rien ni en personne, seules les raisons
contestataires pourraient un jour devenir des raisons d’espérer
et de vivre en paix, sous l’égide d’un Etat de droit! Pourquoi attendre
d’en arriver là? |
“Dans l’esprit, sinon dans la lettre d’une vraie démocratie,
dès lors que le pouvoir n’est pas celui de l’arbitre intègre,
mais du chef de camp, il est évident que le capitaine renonce au
jeu, son camp étant en capitulade.”
Jean-François Revel
(La Grâce de l’Etat)
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