Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

DEUS EX MACHINA

Il a fallu, enfin, une opération “Deus Ex Machina” de la Grande Muette, mais à quel prix, pour éradiquer l’insurrection Toufayli, l’autre bête noire après Israël du Hezbollah! Mais ne valait-il pas mieux surtout et d’abord, résoudre la crise menaçante des affamés et celle non moins dangereuse, socio-économique qui met le Liban à bout de souffle, avant qu’elle dégénère, en une explosion généralisée dont la moindre étincelle provoquerait une révolte sans précédent qui, le cas échéant, pèserait sur l’avenir du Liban et de la démocratie, en l’absence d’une politique sociale adaptée à l’air du temps?
Dans la tempête qui secoue le Liban, le gouvernement en place doit parvenir à mettre de l’ordre dans la maison. Il est grand temps de dégager toutes les ambigüités, de mettre fin à l’art de choisir le pire et de faire le jeu de l’adversaire.
Il était temps aussi d’enrayer tous les déclins que nous avons subis un quart de siècle durant. De moderniser nos institutions désuètes, d’extirper le virus qui les ronge depuis un âge lointain.
En politique, on aime jouer à qui perd gagne, ce qui d’ailleurs, nous a toujours conduits à une étrange combinaison tricéphale, où tout le monde est groupé sous le même toit, sans jamais s’entendre, comme si la langue de bois était l’unique moyen de camoufler la triste réalité que vit chez nous la citoyenneté. Preuve en est: la majorité des Libanais ne suivent pas leurs gouvernants en l’absence de toute morale politique et de toute crédibilité.
Demain, les Libanais en colère, quelles sirènes doivent-ils entendre, celles annonçant le changement longtemps attendu, ou d’autres qui sonnent le glas? L’Histoire nous enseigne, combien rares sont les personnes qui mettent le pouvoir à l’abri de tout soupçon. Dans un Liban révolté, ne croyant plus en rien, ni en personne, le fossé est devenu tellement profond entre les responsables qui ne font qu’accoucher les lois au “forceps”! Comment peut-on concilier la chose et son contraire? La contrainte du vide est un mal terrible qu’il nous faut à tout prix maîtriser.
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A l’heure où le pouvoir en place s’engage à restaurer l’autorité et la responsabilité de l’Etat de droit, n’est-il pas indispensable pour la bonne presse d’orienter sa curiosité vers toutes les entreprises susceptibles de refléter les multiples aspects de la vie nationale?
Nous sommes, certes, prêts à supporter toutes les démesures, hormis celles qui détruiraient l’autorité dans les structures multidimensionnelles de notre société pluraliste.
Dans ce Liban épuisé par dix sept ans de mésaventures, un nouveau statut social s’avère impératif, qui serait pour nos structures démantelées par la violence et l’iniquité, ce que le contrat social établi au XVIIème siècle en Occident, cherchait à faire pour les structures de l’époque. Faut-il encore tarder au Liban pour s’atteler à cette tâche? “Gare aux retardataires”, gronde l’Histoire. Construire le Liban est un objectif essentiel à l’heure où rôdent à ses frontières et en son propre sein, tous les défis des temps à venir. On ne répond pas à de tels défis par des critères d’un autre âge. Le terrain qui s’impose est celui du social, l’unique pouvant donner crédit à l’espérance. Si les Libanais ont trop souffert de leurs échecs et de leurs réussites, c’est parce que l’affairisme étatique a miné inévitablement leurs mœurs et leurs cultures traditionnelles. S’ils tiennent à épargner la mise à l’encan de leur précieux patrimoine, ou en l’occurrence, éviter le soulèvement des masses au sein desquelles se manifeste la joie d’imposer le souvenir des libertés, il leur faut trouver de toute urgence, le moyen de restaurer l’autorité dans le domaine socio-politique, dans l’économique et il va de soi dans le technologique, pour ne pas vivre hors du temps.
Au demeurant, ils auront besoin d’un libéralisme nouveau à la mesure du Liban de demain, capable de distinguer entre l’autorité légitime des institutions et le pouvoir pur et simple. L’Histoire nous apporte quotidiennement des témoignages irréfutables en la matière. Aujourd’hui et demain sûrement, les revendications des démunis, des affamés, des gens au chômage, des déplacés, qui sont légion, doivent être prises en compte. Car à chaque nouvel assaut contre l’autorité, des esprits chagrins montent aux créneaux pour défier l’Etat de droit. Il faudrait pour le meilleur et pour le pire, éviter que ce phénomène malencontreux se reproduise! Rappelons-nous que le “fatum” en Histoire, c’est la carence d’hommes à la tête solide. Au Liban comme partout ailleurs, la notion de “méritocratie”, ou plus exactement celle du professionnalisme est l’une des valeurs les plus menacées. Nous vivons l’époque où toutes les activités sont politisées, où les jugements objectifs ne cessent d’entrer en conflit avec des exigences personnelles, où l’on exalte le promoteur de la subversion comme un héros démocratique échappant à toute échelle de qualité. Evolution qui devrait nous préoccuper sérieusement, en raison de ses répercussions évidentes, surtout dans le domaine de l’éducation.

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L’économie libanaise qui, depuis un temps est à la charge de l’équipe Hariri, est à la recherche d’une troisième voie qui suppose une redéfinition du rôle de l’Etat. Puisse-t-elle y parvenir à temps! Encore faut-il renoncer définitivement à l’idée de faire de l’Etat l’unique responsable de toutes nos faillites; celles préméditées inclues. Comme aussi il faudrait admettre que la justice sociale et l’aménagement de la Cité, ne sont pas l’automatique miroir de la croissance économique. La querelle du monétarisme au Liban devrait préoccuper davantage le cabinet Hariri. La priorité donnée à la lutte contre l’inflation, la débâcle monétaire, les déficits budgétaires et les endettements, ne sont-ils pas en réalité la cause de la stagnation économique, avec ses dramatiques séquelles qui étouffent les Libanais depuis déjà une décennie?
A ceci vient s’ajouter la calamiteuse querelle de l’étatisme. Le Liban fait figure d’un pays en décadence, capitulant face aux problèmes sociaux: pauvreté, chômage, insécurité, infrastructures délabrées, etc... Il serait totalement absurde de prendre systématiquement le contre-pied des expériences précédentes, sous prétexte de faire du nouveau. Le gouvernement Hariri a besoin d’une doctrine solide pour exercer une action sélective au sein de nos institutions. Tout le reste est littérature.
Le jour où la volonté de redressement ne se manifestera plus uniquement dans les grands projets, mais dans les petits aussi, ce jour-là, le Liban ne doutera plus de cette autre victoire qu’il aura remportée sur lui-même et à laquelle depuis longtemps il ne croyait plus. Il reste que ce qui demeure encore intact dans ce pays, c’est ce grand moment de la conscience nationale: arrivera-t-il bientôt? Des responsabilités défaillantes, les Libanais en ont marre. Et comme ils ne croient plus en rien ni en personne, seules les raisons contestataires pourraient un jour devenir des raisons d’espérer et de vivre en paix, sous l’égide d’un Etat de droit! Pourquoi attendre d’en arriver là? 

 
 “Dans l’esprit, sinon dans la lettre d’une vraie démocratie, dès lors que le pouvoir n’est pas celui de l’arbitre intègre, mais du chef de camp, il est évident que le capitaine renonce au jeu, son camp étant en capitulade.”

Jean-François Revel
(La Grâce de l’Etat)
 

 

  

 


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