• Le mariage civil
a été adopté en Occident contre le gré de l’Eglise
catholique
• Aucune divergence d’opinion
ne peut affecter notre respect au chef
de l’Etat
• Musulmans et chrétiens
se réclament tous d’Abraham, “père des prophètes”
• Un même système
doit régir toutes les collectivités libanaises
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NON AU MARIAGE CIVIL
A la question: “Le mariage civil est le problème de l’heure
et beaucoup de gens pensent que son interdiction relève de l’hypocrisie,
d’autant qu’on ne peut pas ne pas l’enregistrer s’il est pratiqué
à l’étranger. Quel est votre avis?”, l’imam Chamseddine
répond: “Toute question logique ne peut être interdite et
le contraire n’est pas vrai.
“Le mariage civil est pratiqué en Occident, en tant qu’opération
légale en vue de la constitution de la famille, en vertu des systèmes
socio-politiques en vigueur dans les pays occidentaux. Ceci ne s’est pas
réalisé avec l’agrément de l’Eglise catholique, mais
contre son gré et nous connaissons la position ferme du Vatican
à ce sujet.
“Quant au Liban, c’est un Etat laïc, mixte et croyant, ainsi que
je l’ai montré dans mon livre sur la laïcité. Il respecte
la foi, sa société étant composée de collectivités
religieuses. L’adoption du mariage civil doit s’harmoniser avec la législation
libanaise, sans transgresser les obligations de la loi religieuse relative
à la famille. Puis, le système libanais ne tolère
pas une telle législation qui requiert l’approbation des institutions
religieuses.
“Je tiens à préciser ici que la Chambre a pour tâche
de légiférer dans des domaines non religieux. Elle n’est
donc pas habilitée à élaborer des législations
concernant la doctrine et la foi.”
Le président du C.S.C. ajoute: “Le mariage civil comporte deux
volets: le premier a trait à la procédure. Il s’agit d’une
partie civile qui n’intéresse pas les musulmans. En plus, nous sommes
tenus de respecter la position de l’Eglise dans ce domaine.
UNE MUSULMANE NE PEUT ÉPOUSER UN CHRÉTIEN
“Le second volet concerne l’identité religieuse des conjoints.
L’Islam n’impose aucune restriction au mariage entre deux musulmans, ni
au mariage entre musulmans et chrétiens. Au cas où l’épouse
est chrétienne, le mari est tenu de respecter sa foi.
“Le problème réside dans le fait qu’une musulmane ne
peut épouser un chrétien d’après le texte religieux.
L’Islam ne peut approuver un mariage mixte dans ce sens, à savoir
que l’épouse soit musulmane et son époux non musulman. Cependant,
les musulmans et les chrétiens ne s’opposent pas à ce que
la loi autorise un mariage civil, s’il est contracté en dehors du
Liban. Nous ne tolérons pas que la législation libanaise
permette l’institution d’une telle union maritale.
“Le projet de mariage civil est une question de tribunaux chériés
ou spirituels. Le patriarche Sfeir pourrait ne pas bénir un tel
mariage lui-même, car c’est l’un des sacrements de l’Eglise, ayant
besoin d’une autorité déterminée.
“De leur côté, les tribunaux chériés islamiques
ne peuvent admettre une telle union, en rapport avec la croyance et la
foi. Elle ne peut pas être assimilée à un acte de vente,
de location ou d’assurance. C’est une entité humaine ayant son caractère
sacré et repose sur des données religieuses. Nous respectons
le mariage civil et le considérons comme un mariage religieux jouissant
de l’immunité, mais sans pouvoir lui donner une légitimité
religieuse du moment que les conjoints n’y sont pas engagés mutuellement.”
JE N’AI PAS BOYCOTTÉ L’IFTAR DE BAABDA
- Est-il vrai que les présidents des tribunaux chériés
ont boycotté l’iftar du palais présidentiel, en signe de
protestation contre la position du chef de l’Etat favorable au mariage
civil?
“Personnellement, je n’ai pas boycotté l’iftar, parce que je
considère que la présidence de la République doit
être préservée et respectée.
Aucune divergence d’opinion autour d’une question légale
ou d’une décision déterminée, ne peut affecter notre
respect au président de la République.”
- Quelle est la formule pouvant rapprocher davantage toutes les communautés
au triple plan politique, social et religieux?
“Il s’agit pour les Libanais de s’entendre autour du loyalisme au Liban.
Chacun de nous a sa foi propre, laquelle n’est pas contraire à la
foi de l’autre, celle d’Abraham qui rapproche les musulmans et les chrétiens.
Nous nous réclamons tous d’Abraham, père des prophètes.
“Mais dans notre vie publique, nous nous réclamons d’une seule
société, la société libanaise, d’une même
nation et d’une même patrie, le Liban. De là, nous tablons
sur la diversité communautaire qui ne peut être gérée
par des règlements spéciaux. Nous devons œuvrer pour élaborer
un seul système pour toutes les collectivités libanaises.
“Certaines communautés pourraient ouvrir des écoles,
des banques ou des sociétés propres à elles et cela
n’est pas propice à une même affiliation nationale. Tous les
groupes doivent revêtir le même cachet libanais et c’est ce
qui rassemble les Libanais dans une même entité nationale,
surtout lorsqu’on unifiera nos programmes éducatifs, ainsi que nos
institutions nationales publiques.
“Malheureusement, nous avons constaté au cours des dernières
années, une régression de cet esprit unificateur. Les collectivités
estudiantines ont des personnalités confessionnelles, même
les collectivités résistantes censées combattre l’occupation
israélienne au Liban-Sud, dans la Békaa ouest ou partout
ailleurs, à l’instar de la résistance menée en Palestine
et en Egypte.
“L’action de la résistance ne peut être assimilée
au terrorisme; c’est une lutte sacrée en vue de libérer la
patrie. Lorsqu’Israël évacuera le Liban, conformément
à la résolution internationale (425), nous ne serons plus
concernés par ce qui se passe au-delà de nos frontières
internationalement reconnues. De même, nous n’approuvons pas la légitimité
de l’entité appelée Israël sur la terre de Palestine.
“J’appelle tous les mouvements islamiques à se réunir
pour s’entendre autour d’une sorte de pacte ou d’accord considérant
le terrorisme et la violence armée contre la société,
comme un acte illégal du point de vue de la théologie (Fikh)
islamique.”
QUID DE LA NOMINATION DES JUGES CHÉRIÉS?
- Comment expliquez-vous le retard mis à nommer les juges
chériés?
“Nous espérons que cette affaire sera réglée au
palais présidentiel. J’ignore les motifs ayant retardé ces
nominations et je compte sur la longueur de vue du chef de l’Etat et lui
laisse toute latitude de régler ce problème. Je crois qu’il
attend le moment propice pour le trancher”.
- Le ministre Walid Joumblatt dit que la communauté druze
n’a pas besoin d’un cheikh Akl. Acceptez-vous qu’une communauté
libanaise n’ait pas un recours religieux?
“Le ministre Joumblatt peut avoir ses raisons que nous ne connaissons
pas. Nous exprimons notre respect profond et sincère à nos
frères druzes, pour leur foi et leur patriotisme. Comme nous déplorons
la crise à laquelle ils sont confrontés et nous sommes disposés
à leur apporter toute aide en vue d’y mettre un terme.
“Je ne crois pas que les druzes sont incapables de constituer une instance
apte à occuper ce poste. Le moment est venu de régler cette
crise qui a trop duré.
LE C.S.C., UNE INSTANCE RELIGIEUSE
- Quels sont les rapports entre le C.S.C., le “Hezbollah” et “Amal”?
“Le Conseil supérieur chiite est une institution de la société
civile libanaise qui assume des charges religieuses relevant de la communauté
chiite. Il est son porte-parole, jouit d’une réglementation interne
et œuvre dans le cadre de la nation. Toutes les tendances politiques y
sont représentées: la gauche, la droite, le “Hezbollah”,
le mouvement “Amal”, les indépendants et d’autres.
“Les rapports du C.S.C. avec toutes ses parties constituantes sont
équilibrés. N’importe quel problème national est discuté
entre ces parties et soulevé au conseil exécutif ou juridique
représenté par des ulémas et des députés.
Les discussions aboutissent toujours à un consensus.
“Nous désapprouvons toute tentative de mainmise sur le C.S.C.,
de la part de n’importe quelle partie. En tant que responsable religieux,
j’affirme que le siège du C.S.C. doit garder son cachet purement
religieux.”
- On parle de tentatives de mainmise sur le C.S.C.; est-ce exact?
“Je n’ai remarqué aucune tentative de ce genre. J’ai confiance
dans les fils de la communauté qui s’associent pour sauvegarder
le C.S.C. afin qu’il demeure la haute instance religieuse.”
POUR UN ÉLARGISSEMENT DE LA RÉSISTANCE
- Que pensez-vous de la résistance?
“Je suis l’un des Libanais à la défendre et j’appelle
à son élargissement, afin qu’elle ne soit pas confinée
dans un cadre partisan ou confessionnel. La résistance doit englober
tous les Libanais, abstraction faite de leurs appartenances communautaires
et politiques. Après les événements de 1978, une résistance
libanaise s’est formée comprenant, aussi, des Palestiniens, ce qui
a provoqué des perturbations.
“En 1982, la résistance devenue purement libanaise, comprenait
des musulmans et des chrétiens de différentes communautés
et parties.”
- La paix est-elle proche?
“Je ne la prévois pas en 1998, ni l’année prochaine.
Parler de processus de paix, est du temps perdu. De dures épreuves
marqueront les années à venir. La paix qui est née
“malade” à Madrid, a subi tous les coups que lui ont assénés
ses protagonistes.
“Dans cette conjoncture défavorable, le Liban doit sauvegarder
son unité intérieure, afin d’éviter toute scission,
son rôle étant plus grand que celui d’Israël dans la
région. Il est vrai que ce dernier est appuyé, militairement
et financièrement, par les Etats-Unis mais le Liban est fort malgré
les années de guerre qu’il a endurées.”
- La formule “Liban ou Jezzine d’abord”, restera-t-elle confuse,
sans apporter un avantage quelconque?
“Je n’y relève aucun point positif. Cette formule ajoutée
à celle du retrait conditionné d’Israël, est un piège
tendu par l’ennemi dans le but d’affaiblir notre position et d’induire
en erreur l’opinion internationale. Israël n’a qu’à respecter
le traité de paix et à se retirer de nos territoires.”
POUR UN SYSTÈME MUNICIPAL ÉQUILIBRÉ
- Que pensez-vous des élections municipales?
“J’approuve l’organisation de ces élections à deux conditions:
Primo: les municipalités doivent représenter la
société civile et ne pas être subordonnées à
certaines personnalités politiques. Il faut réviser le système
municipal de manière à le dissocier du politique, comme c’est
le cas en France, la municipalité étant au service du citoyen.
Secundo: “Il faut assurer un équilibre au plan national
au sein de toute municipalité. Nous voulons une patrie non confessionnelle
et des régions libérées de tout esprit confessionnel.
“Si ces conditions sont respectées, le peuple votera en toute
liberté de conscience, loin de toutes sortes de pressions politiques
et financières, notamment.”
- Ces élections auront-elles lieu?
“Personnellement, je ne peux que croire aux déclarations officielles
qui insistent sur leur organisation au printemps.”
QUID DES PRÉSIDENTIELLES?
- Etes-vous favorable à la reconduction du mandat du président
Hraoui? Sinon, quels sont les critères d’un bon président?
“Les qualités dont devra jouir le candidat à la présidence
sont: un sens national aigu, l’honnêteté, l’ouverture d’esprit
et la forte personnalité. Je désapprouve la reconduction
du mandat actuel et suis favorable à des élections présidentielles,
à condition de connaître à l’avance les présidentiables
et leur program-me.”
NOS RELATIONS AVEC L’IRAN
- Croyez-vous que l’Iran agit en vue d’exercer son hégémonie
sur les chiites libanais et d’en être le tuteur? Quelle est la nature
de vos relations avec Téhéran?
“Les chiites libanais comme leurs autres coreligionnaires ont leur
propre personnalité, leur affiliation nationale et un système
gérant leurs intérêts, en harmonie avec leurs intérêts
nationaux. Ils ne sont à la merci de personne et nous ne tolérons
aucune tentative de cette nature.
“A tous les musulmans chiites, partout où ils vivent, j’adresse
un appel pour les engager à s’intégrer dans leurs sociétés
nationales, à être loyaux et fidèles à ces sociétés
dont ils doivent être des éléments positifs et respecter
les lois des pays où ils résident.
“En ce qui concerne notre relation avec l’Iran, elle est excellente,
Dieu merci. Nous considérons la République islamique d’Iran
comme un grand Etat dans la région, ayant un rôle fondamental
efficace dans l’édification de l’avenir, en coopération avec
les Etats arabes et islamiques.“
- Quelle est la différence entre l’extrémisme religieux
et le fondamentalisme?
“Les deux expressions se confondent dans l’esprit des gens qui les
considèrent comme des synonymes. L’appellation “fondamentalisme“
est erronée; c’est la traduction d’une terminologie occidentale
non conforme à la langue arabe, d’une part; et à la réalité
des mouvements islamiques, d’autre part.
“Par ailleurs, tout mouvement islamique organisé brandissant
la devise de l’Islam, est classé parmi les mouvements fondamentalistes.
Ceci est faux, car le mouvement islamique mondial est très éloigné
de ce qu’il est convenu d’appeler fondamentaliste dans la terminologie
occidentale.
NON À LA VIOLENCE ARMÉE ET À
L’EXTRÉMISME
“Nous nous opposons à l’appellation des mouvements islamiques
de fondamentalistes, car il s’agit de termes inexistants dans le monde
arabe. On ne peut comparer de tels mouvements au sionisme, aux mouvements
“Kach”, “Goush Emounim“ (fondamentalisme sioniste) qui reposent sur la
Bible ou se cachent derrière un masque chrétien, comme c’est
le cas des protestants et des enfants de Gehovah aux Etats-Unis.
“Puis, les mouvements islamiques qui se manifestent dans l’espace politique,
ne sont pas fondamentalistes, mais des mouvements islamiques idéologiques.
Ils tentent d’influer leurs sociétés à travers un
changement culturel et d’accéder au pouvoir, la dernière
expérience mûre dans ce domaine ayant été le
parti Refah, en Turquie.
“Certains de ces mouvements recourent à la violence et à
l’extrémisme en se réclamant de l’Islam. J’accuse, sans le
condamner, cheikh Omar Abdel-Rahman qui est impliqué dans l’affaire
du plasticage du Centre de commerce international à New York. Car
une telle action armée contre la société, un parti
ou un système politique est anti-islamique et illégale.
“Nous invitons ces groupuscules à renoncer à leur procédé,
notamment ceux qui opèrent en Egypte, en Afghanistan, en Amérique
et en Europe. Nous ne voulons pas propager l’Islam par l’intermédiaire
de la violence armée.
“Notre foi doit nous inciter à adorer Dieu selon notre propre
conception de la religion et nous unifier avec les autres dans la vie.
L’ISLAM M’ORDONNE À M’OUVRIR AU CHRÉTIEN
ET VICE-VERSA
“L’Islam m’ordonne à m’ouvrir au chrétien et à
m’unifier avec lui. La chrétienté, elle aussi, tient le même
discours.
“Dans l’édification de la société et la constitution
de ses institutions, il doit y avoir consensus et intérêt,
aucune partie ne pouvant avoir ses propres intérêts, sinon
nous contribuons à diviser le Liban.
“Nous insistons sur l’adoption d’un enseignement officiel plus indiqué
pour unifier les Libanais.
“En plus des aspects économiques et de la vie quotidienne, ces
faits incombent aux institutions religieuses. La Presse et les centres
médiatiques assument, aussi, une lourde responsabilité, de
même que les penseurs, les écrivains et les poètes.
Ceux-ci sont tenus de développer l’esprit de participation avec
l’autre, non l’esprit de division. Il faut démolir les remparts
existants, pour sortir des labyrinthes du confessionnalisme.”
L’ABOLITION DU CONFESSIONNALISME, QUESTION
DE TIMING...
- On dit que vous êtes contre l’abolition du confessionnalisme
politique, parce que vous considérez que l’affaire n’a pas encore
suffisamment mûri, alors que ce fait est prévu dans l’accord
de Taëf?
“Je ne suis pas, en principe, contre l’abolition du confessionnalisme
politique. Mais les Libanais doivent parvenir un jour à prendre
conscience des méfaits de ce mal qui menace la patrie. Il faut donc
supprimer le confessionnalisme religieux de l’institution du système
politique.
“Chrétiens et musulmans libanais parlent l’arabe, mais vivent
dans la diversité de leurs religions. Puis, les grandes présidences
sont réparties entre trois communautés et l’Etat libanais
est partagé à égalité entre musulmans et chrétiens.
“Il est clair que l’étape n’est pas propice à l’abolition
du confessionnalisme politique, d’autant que des craintes persistent à
propos de l’application saine des lois et de l’adoption de la compétence,
pour ne pas permettre à une communauté d’exercer son emprise
sur une autre. Entendons-nous, d’abord, sur le principe de l’abolition
pour pouvoir évoluer, sûrement mais lentement, dans la voie
de l’unification. Ceci ne suppose pas uniquement une législation
que la Chambre serait invitée à ratifier; cette opération
doit s’effectuer sur base de la confiance réciproque. Il s’agit,
en fait, d’une question de timing.
“Je m’adresse aux jeunes pour leur demander de préparer le terrain
à cette abolition. Nous nous sommes trompés à Taëf
et les députés ayant élaboré l’accord de même
nom auraient dû faire montre de plus de longueur de vue pour éviter
cette erreur.
“Ce peuple libanais béni est plus grand que ses dirigeants et
ses politiciens. Il est capable de frayer son chemin vers un système
étatique plus à même de répondre aux impératifs
de l’heure, même à l’ombre d’un système confessionnel.
Traitons avec le système des institutions avec sagesse.
“J’implore le Très-Haut pour qu’Il aide les jeunes à
consolider l’idée des institutions. Et, croyez-moi, ce pays grandira,
non à travers ses leaderships historiques, mais à travers
ses institutions.” |