ENTRETIEN AVEC LE PRÉSIDENT DU CONSEIL SUPÉRIEUR CHIITE
L’IMAM CHAMSEDDINE: “LA CHAMBRE N’EST PAS HABILITÉE À LÉGIFÉRER DANS DES DOMAINES CONCERNANT LA DOCTRINE ET LA FOI”

 
L’imam Mohamed Mahdi Chamseddine, président du Conseil supérieur chiite, considère le projet de mariage civil comme un sujet relevant des tribunaux chériés et religieux. Aussi, estime-t-il que la Chambre des députés n’est pas habilitée à légiférer dans des domaines touchant la doctrine et la foi, sinon l’Assemblée deviendrait une instance religieuse, ce qui va à l’encontre de la nature du système libanais.
Il dit, aussi, qu’il respecte le mariage d’un chrétien avec une musulmane, le considérant comme une relation maritale légale, non d’un adultère.

 

• Le mariage civil a été adopté en Occident contre le gré de l’Eglise catholique
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

• Aucune divergence d’opinion ne peut affecter notre respect au chef 
de l’Etat
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

• Musulmans et chrétiens se réclament tous d’Abraham, “père des prophètes”
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

• Un même système doit régir toutes les collectivités libanaises
 

 

NON AU MARIAGE CIVIL
A la question: “Le mariage civil est le problème de l’heure et beaucoup de gens pensent que son interdiction relève de l’hypocrisie, d’autant qu’on ne peut pas ne pas l’enregistrer s’il est pratiqué à l’étranger. Quel est votre avis?”, l’imam Chamseddine répond: “Toute question logique ne peut être interdite et le contraire n’est pas vrai.
“Le mariage civil est pratiqué en Occident, en tant qu’opération légale en vue de la constitution de la famille, en vertu des systèmes socio-politiques en vigueur dans les pays occidentaux. Ceci ne s’est pas réalisé avec l’agrément de l’Eglise catholique, mais contre son gré et nous connaissons la position ferme du Vatican à ce sujet.
“Quant au Liban, c’est un Etat laïc, mixte et croyant, ainsi que je l’ai montré dans mon livre sur la laïcité. Il respecte la foi, sa société étant composée de collectivités religieuses. L’adoption du mariage civil doit s’harmoniser avec la législation libanaise, sans transgresser les obligations de la loi religieuse relative à la famille. Puis, le système libanais ne tolère pas une telle législation qui requiert l’approbation des institutions religieuses.
“Je tiens à préciser ici que la Chambre a pour tâche de légiférer dans des domaines non religieux. Elle n’est donc pas habilitée à élaborer des législations concernant la doctrine et la foi.”
Le président du C.S.C. ajoute: “Le mariage civil comporte deux volets: le premier a trait à la procédure. Il s’agit d’une partie civile qui n’intéresse pas les musulmans. En plus, nous sommes tenus de respecter la position de l’Eglise dans ce domaine.

UNE MUSULMANE NE PEUT ÉPOUSER UN CHRÉTIEN
“Le second volet concerne l’identité religieuse des conjoints. L’Islam n’impose aucune restriction au mariage entre deux musulmans, ni au mariage entre musulmans et chrétiens. Au cas où l’épouse est chrétienne, le mari est tenu de respecter sa foi.
“Le problème réside dans le fait qu’une musulmane ne peut épouser un chrétien d’après le texte religieux. L’Islam ne peut approuver un mariage mixte dans ce sens, à savoir que l’épouse soit musulmane et son époux non musulman. Cependant, les musulmans et les chrétiens ne s’opposent pas à ce que la loi autorise un mariage civil, s’il est contracté en dehors du Liban. Nous ne tolérons pas que la législation libanaise permette l’institution d’une telle union maritale.
“Le projet de mariage civil est une question de tribunaux chériés ou spirituels. Le patriarche Sfeir pourrait ne pas bénir un tel mariage lui-même, car c’est l’un des sacrements de l’Eglise, ayant besoin d’une autorité déterminée.
“De leur côté, les tribunaux chériés islamiques ne peuvent admettre une telle union, en rapport avec la croyance et la foi. Elle ne peut pas être assimilée à un acte de vente, de location ou d’assurance. C’est une entité humaine ayant son caractère sacré et repose sur des données religieuses. Nous respectons le mariage civil et le considérons comme un mariage religieux jouissant de l’immunité, mais sans pouvoir lui donner une légitimité religieuse du moment que les conjoints n’y sont pas engagés mutuellement.”

JE N’AI PAS BOYCOTTÉ L’IFTAR DE BAABDA
- Est-il vrai que les présidents des tribunaux chériés ont boycotté l’iftar du palais présidentiel, en signe de protestation contre la position du chef de l’Etat favorable au mariage civil?
“Personnellement, je n’ai pas boycotté l’iftar, parce que je considère que la présidence de la République doit être préservée et respectée.
 Aucune divergence d’opinion autour d’une question légale ou d’une décision déterminée, ne peut affecter notre respect au président de la République.”

- Quelle est la formule pouvant rapprocher davantage toutes les communautés au triple plan politique, social et religieux?
“Il s’agit pour les Libanais de s’entendre autour du loyalisme au Liban. Chacun de nous a sa foi propre, laquelle n’est pas contraire à la foi de l’autre, celle d’Abraham qui rapproche les musulmans et les chrétiens. Nous nous réclamons tous d’Abraham, père des prophètes.
“Mais dans notre vie publique, nous nous réclamons d’une seule société, la société libanaise, d’une même nation et d’une même patrie, le Liban. De là, nous tablons sur la diversité communautaire qui ne peut être gérée par des règlements spéciaux. Nous devons œuvrer pour élaborer un seul système pour toutes les collectivités libanaises.
“Certaines communautés pourraient ouvrir des écoles, des banques ou des sociétés propres à elles et cela n’est pas propice à une même affiliation nationale. Tous les groupes doivent revêtir le même cachet libanais et c’est ce qui rassemble les Libanais dans une même entité nationale, surtout lorsqu’on unifiera nos programmes éducatifs, ainsi que nos institutions nationales publiques.
“Malheureusement, nous avons constaté au cours des dernières années, une régression de cet esprit unificateur. Les collectivités estudiantines ont des personnalités confessionnelles, même les collectivités résistantes censées combattre l’occupation israélienne au Liban-Sud, dans la Békaa ouest ou partout ailleurs, à l’instar de la résistance menée en Palestine et en Egypte.
“L’action de la résistance ne peut être assimilée au terrorisme; c’est une lutte sacrée en vue de libérer la patrie. Lorsqu’Israël évacuera le Liban, conformément à la résolution internationale (425), nous ne serons plus concernés par ce qui se passe au-delà de nos frontières internationalement reconnues. De même, nous n’approuvons pas la légitimité de l’entité appelée Israël sur la terre de Palestine.
“J’appelle tous les mouvements islamiques à se réunir pour s’entendre autour d’une sorte de pacte ou d’accord considérant le terrorisme et la violence armée contre la société, comme un acte illégal du point de vue de la théologie (Fikh) islamique.”

QUID DE LA NOMINATION DES JUGES CHÉRIÉS?
- Comment expliquez-vous le retard mis à nommer les juges chériés?
“Nous espérons que cette affaire sera réglée au palais présidentiel. J’ignore les motifs ayant retardé ces nominations et je compte sur la longueur de vue du chef de l’Etat et lui laisse toute latitude de régler ce problème. Je crois qu’il attend le moment propice pour le trancher”.

- Le ministre Walid Joumblatt dit que la communauté druze n’a pas besoin d’un cheikh Akl. Acceptez-vous qu’une communauté libanaise n’ait pas un recours religieux?
“Le ministre Joumblatt peut avoir ses raisons que nous ne connaissons pas. Nous exprimons notre respect profond et sincère à nos frères druzes, pour leur foi et leur patriotisme. Comme nous déplorons la crise à laquelle ils sont confrontés et nous sommes disposés à leur apporter toute aide en vue d’y mettre un terme.
“Je ne crois pas que les druzes sont incapables de constituer une instance apte à occuper ce poste. Le moment est venu de régler cette crise qui a trop duré.

LE C.S.C., UNE INSTANCE RELIGIEUSE
- Quels sont les rapports entre le C.S.C., le “Hezbollah” et “Amal”?
“Le Conseil supérieur chiite est une institution de la société civile libanaise qui assume des charges religieuses relevant de la communauté chiite. Il est son porte-parole, jouit d’une réglementation interne et œuvre dans le cadre de la nation. Toutes les tendances politiques y sont représentées: la gauche, la droite, le “Hezbollah”, le mouvement “Amal”, les indépendants et d’autres.
“Les rapports du C.S.C. avec toutes ses parties constituantes sont équilibrés. N’importe quel problème national est discuté entre ces parties et soulevé au conseil exécutif ou juridique représenté par des ulémas et des députés. Les discussions aboutissent toujours à un consensus.
“Nous désapprouvons toute tentative de mainmise sur le C.S.C., de la part de n’importe quelle partie. En tant que responsable religieux, j’affirme que le siège du C.S.C. doit garder son cachet purement religieux.”

- On parle de tentatives de mainmise sur le C.S.C.; est-ce exact?
“Je n’ai remarqué aucune tentative de ce genre. J’ai confiance dans les fils de la communauté qui s’associent pour sauvegarder le C.S.C. afin qu’il demeure la haute instance religieuse.”

POUR UN ÉLARGISSEMENT DE LA RÉSISTANCE
- Que pensez-vous de la résistance?
“Je suis l’un des Libanais à la défendre et j’appelle à son élargissement, afin qu’elle ne soit pas confinée dans un cadre partisan ou confessionnel. La résistance doit englober tous les Libanais, abstraction faite de leurs appartenances communautaires et politiques. Après les événements de 1978, une résistance libanaise s’est formée comprenant, aussi, des Palestiniens, ce qui a provoqué des perturbations.
“En 1982, la résistance devenue purement libanaise, comprenait des musulmans et des chrétiens de différentes communautés et parties.”

- La paix est-elle proche?
“Je ne la prévois pas en 1998, ni l’année prochaine. Parler de processus de paix, est du temps perdu. De dures épreuves marqueront les années à venir. La paix qui est née “malade” à Madrid, a subi tous les coups que lui ont assénés ses protagonistes.
“Dans cette conjoncture défavorable, le Liban doit sauvegarder son unité intérieure, afin d’éviter toute scission, son rôle étant plus grand que celui d’Israël dans la région. Il est vrai que ce dernier est appuyé, militairement et financièrement, par les Etats-Unis mais le Liban est fort malgré les années de guerre qu’il a endurées.”

- La formule “Liban ou Jezzine d’abord”, restera-t-elle confuse, sans apporter un avantage quelconque?
“Je n’y relève aucun point positif. Cette formule ajoutée à celle du retrait conditionné d’Israël, est un piège tendu par l’ennemi dans le but d’affaiblir notre position et d’induire en erreur l’opinion internationale. Israël n’a qu’à respecter le traité de paix et à se retirer de nos territoires.”

POUR UN SYSTÈME MUNICIPAL ÉQUILIBRÉ
- Que pensez-vous des élections municipales?
“J’approuve l’organisation de ces élections à deux conditions: 
Primo: les municipalités doivent représenter la société civile et ne pas être subordonnées à certaines personnalités politiques. Il faut réviser le système municipal de manière à le dissocier du politique, comme c’est le cas en France, la municipalité étant au service du citoyen.
Secundo: “Il faut assurer un équilibre au plan national au sein de toute municipalité. Nous voulons une patrie non confessionnelle et des régions libérées de tout esprit confessionnel.
“Si ces conditions sont respectées, le peuple votera en toute liberté de conscience, loin de toutes sortes de pressions politiques et financières, notamment.”

- Ces élections auront-elles lieu?
“Personnellement, je ne peux que croire aux déclarations officielles qui insistent sur leur organisation au printemps.”

QUID DES PRÉSIDENTIELLES?
- Etes-vous favorable à la reconduction du mandat du président Hraoui? Sinon, quels sont les critères d’un bon président?
“Les qualités dont devra jouir le candidat à la présidence sont: un sens national aigu, l’honnêteté, l’ouverture d’esprit et la forte personnalité. Je désapprouve la reconduction du mandat actuel et suis favorable à des élections présidentielles, à condition de connaître à l’avance les présidentiables et leur program-me.”

NOS RELATIONS AVEC L’IRAN
- Croyez-vous que l’Iran agit en vue d’exercer son hégémonie sur les chiites libanais et d’en être le tuteur? Quelle est la nature de vos relations avec Téhéran?
“Les chiites libanais comme leurs autres coreligionnaires ont leur propre personnalité, leur affiliation nationale et un système gérant leurs intérêts, en harmonie avec leurs intérêts nationaux. Ils ne sont à la merci de personne et nous ne tolérons aucune tentative de cette nature.
“A tous les musulmans chiites, partout où ils vivent, j’adresse un appel pour les engager à s’intégrer dans leurs sociétés nationales, à être loyaux et fidèles à ces sociétés dont ils doivent être des éléments positifs et respecter les lois des pays où ils résident.
“En ce qui concerne notre relation avec l’Iran, elle est excellente, Dieu merci. Nous considérons la République islamique d’Iran comme un grand Etat dans la région, ayant un rôle fondamental efficace dans l’édification de l’avenir, en coopération avec les Etats arabes et islamiques.“

- Quelle est la différence entre l’extrémisme religieux et le fondamentalisme?
“Les deux expressions se confondent dans l’esprit des gens qui les considèrent comme des synonymes. L’appellation “fondamentalisme“ est erronée; c’est la traduction d’une terminologie occidentale non conforme à la langue arabe, d’une part; et à la réalité des mouvements islamiques, d’autre part.
“Par ailleurs, tout mouvement islamique organisé brandissant la devise de l’Islam, est classé parmi les mouvements fondamentalistes. Ceci est faux, car le mouvement islamique mondial est très éloigné de ce qu’il est convenu d’appeler fondamentaliste dans la terminologie occidentale.

NON À LA VIOLENCE ARMÉE ET À L’EXTRÉMISME
“Nous nous opposons à l’appellation des mouvements islamiques de fondamentalistes, car il s’agit de termes inexistants dans le monde arabe. On ne peut comparer de tels mouvements au sionisme, aux mouvements “Kach”, “Goush Emounim“ (fondamentalisme sioniste) qui reposent sur la Bible ou se cachent derrière un masque chrétien, comme c’est le cas des protestants et des enfants de Gehovah aux Etats-Unis.
“Puis, les mouvements islamiques qui se manifestent dans l’espace politique, ne sont pas fondamentalistes, mais des mouvements islamiques idéologiques. Ils tentent d’influer leurs sociétés à travers un changement culturel et d’accéder au pouvoir, la dernière expérience mûre dans ce domaine ayant été le parti Refah, en Turquie.
“Certains de ces mouvements recourent à la violence et à l’extrémisme en se réclamant de l’Islam. J’accuse, sans le condamner, cheikh Omar Abdel-Rahman qui est impliqué dans l’affaire du plasticage du Centre de commerce international à New York. Car une telle action armée contre la société, un parti ou un système politique est anti-islamique et illégale.
“Nous invitons ces groupuscules à renoncer à leur procédé, notamment ceux qui opèrent en Egypte, en Afghanistan, en Amérique et en Europe. Nous ne voulons pas propager l’Islam par l’intermédiaire de la violence armée.
“Notre foi doit nous inciter à adorer Dieu selon notre propre conception de la religion et nous unifier avec les autres dans la vie.

L’ISLAM M’ORDONNE À M’OUVRIR AU CHRÉTIEN ET VICE-VERSA
“L’Islam m’ordonne à m’ouvrir au chrétien et à m’unifier avec lui. La chrétienté, elle aussi, tient le même discours.
“Dans l’édification de la société et la constitution de ses institutions, il doit y avoir consensus et intérêt, aucune partie ne pouvant avoir ses propres intérêts, sinon nous contribuons à diviser le Liban.
“Nous insistons sur l’adoption d’un enseignement officiel plus indiqué pour unifier les Libanais.
“En plus des aspects économiques et de la vie quotidienne, ces faits incombent aux institutions religieuses. La Presse et les centres médiatiques assument, aussi, une lourde responsabilité, de même que les penseurs, les écrivains et les poètes. Ceux-ci sont tenus de développer l’esprit de participation avec l’autre, non l’esprit de division. Il faut démolir les remparts existants, pour sortir des labyrinthes du confessionnalisme.”

L’ABOLITION DU CONFESSIONNALISME, QUESTION DE TIMING...
- On dit que vous êtes contre l’abolition du confessionnalisme politique, parce que vous considérez que l’affaire n’a pas encore suffisamment mûri, alors que ce fait est prévu dans l’accord de Taëf?
“Je ne suis pas, en principe, contre l’abolition du confessionnalisme politique. Mais les Libanais doivent parvenir un jour à prendre conscience des méfaits de ce mal qui menace la patrie. Il faut donc supprimer le confessionnalisme religieux de l’institution du système politique.
“Chrétiens et musulmans libanais parlent l’arabe, mais vivent dans la diversité de leurs religions. Puis, les grandes présidences sont réparties entre trois communautés et l’Etat libanais est partagé à égalité entre musulmans et chrétiens.
“Il est clair que l’étape n’est pas propice à l’abolition du confessionnalisme politique, d’autant que des craintes persistent à propos de l’application saine des lois et de l’adoption de la compétence, pour ne pas permettre à une communauté d’exercer son emprise sur une autre. Entendons-nous, d’abord, sur le principe de l’abolition pour pouvoir évoluer, sûrement mais lentement, dans la voie de l’unification. Ceci ne suppose pas uniquement une législation que la Chambre serait invitée à ratifier; cette opération doit s’effectuer sur base de la confiance réciproque. Il s’agit, en fait, d’une question de timing.
“Je m’adresse aux jeunes pour leur demander de préparer le terrain à cette abolition. Nous nous sommes trompés à Taëf et les députés ayant élaboré l’accord de même nom auraient dû faire montre de plus de longueur de vue pour éviter cette erreur.
“Ce peuple libanais béni est plus grand que ses dirigeants et ses politiciens. Il est capable de frayer son chemin vers un système étatique plus à même de répondre aux impératifs de l’heure, même à l’ombre d’un système confessionnel. Traitons avec le système des institutions avec sagesse.
“J’implore le Très-Haut pour qu’Il aide les jeunes à consolider l’idée des institutions. Et, croyez-moi, ce pays grandira, non à travers ses leaderships historiques, mais à travers ses institutions.” 

 
 
Propos recueillis par ZALFA BASSILA

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