Editorial


Par MELHEM KARAM 

 
ELTSINE ET SON INSINUATION RELATIVE À UNE GUERRE MONDIALE NE TROMPENT PERSONNE 
COMPASSION À L’ÉGARD DES INNOCENTS... ET SOUCI DE CHÂTIER LES COUPABLES 

Tout le monde sait que l’Irak, quoi qu’on dise de sa vitalité défensive, est incapable d’une réaction militaire face aux forces amé-ricaines: il ne peut repousser les missiles et la défense aérienne irakienne s’avère défaillante, parce que sa puis-sance est fictive. Et comme le signalent les services de ren-seignements militaires occi-dentaux, la plupart de l’arme-ment dont dispose l’Irak est inopérant, en raison de la défectuosité de son entretien, du manque de pièces de rechange et d’entraînement. De là, l’Amérique n’a pas de mérite de frapper et de bombarder un Etat sans défense. En dépit de cela, l’armée irakienne, sans craindre l’exagération, s’est proclamée la quatrième armée du monde. Ceci a donné à l’Amérique et à la Grand-Bretagne un prétexte pour attaquer cette armée, à l’effet d’en révéler le grand danger et, partant, de justifier la frappe qui a été planifiée. 
Ainsi, l’Amérique paraît se tromper dans le choix de son ennemi, car les guerres entre les Etats ne se proclament pas contre les peuples, mais contre les dirigeants dangereux. 
Clinton a prouvé qu’il mène diverses activités à la fois et peut engager des batailles sur deux fronts, plutôt sur plusieurs fronts: le premier contre les propagateurs de ses nouvelles et de ses aventures avec Monica Lewinsky; le second, contre le président Saddam Hussein, les relations privilégiées entre l’Amérique et la Grande-Bretagne ayant constitué le tremplin vers une prise de position stable et unique, visant à renverser Saddam Hussein; sinon rien ne se produirait! 
La rencontre Clinton-Blair à la Maison-Blanche avait pour but d’informer l’opinion mondiale, comme l’a déclaré Blair, des justifications de la frappe aérienne de l’Irak: réduire ou retarder la capacité de Saddam Hussein de fabriquer des armes de destruction massive; l’empêcher de consolider sa situation militaire et d’utiliser ces armes contre ses voisins. 
Pourtant, Clinton a répondu à une question autour de la partie pouvant profiter du bombardement de Bagdad, en disant que le but de l’opération n’était pas de déclencher une nouvelle guerre du Golfe, ni de provoquer la chute de l’administration irakienne, mais celui défini par Newt Gingrich, leader républicain américain: “Tant que nous n’aurons pas renversé et éliminé Saddam Hussein, nous ne règlerons pas ce problème”. 
Par rapport au leader de la majorité républicaine au Sénat, Trent Lott, au porte-parole de la majorité à la Chambre des représentants, Newt Gingrich et aux responsables de la Maison-Blanche, les objectifs doivent être pratiques et se traduire par un pilonnage violent, durant plusieurs jours, de cibles chères au cœur de Saddam Hussein: les casernes, la garde républicaine et les palais. 
Le président Saddam Hussein parie sur “Monicagate”, espérant qu’il ébranlerait l’état-major de Clinton. Ceci est un calcul erroné à l’heure actuelle. Et l’explication la plus claire du président américain, il l’a donnée en réponse à une question portant sur son éventuelle démission urgente ou rapide: “C’est un fait nullement envisagé.” 
La position saoudite a été frappante: pas de pilonnage des Irakiens. Si le berger se trompe, quelle est la faute du troupeau? Ceci était clair dans les paroles du roi Fahd en recevant William Cohen, secrétaire d’Etat US à la Défense. Et, aussi, dans la déclaration du prince Sultan Ben Abdel-Aziz. Quant à l’Australie et l’Allemagne, ces deux pays ont rallié le groupe qui appuie l’Amérique et la Grande-Bretagne. 
De même, le Koweit et Bahrein ont accepté de donner des facilités sur leur territoire aux armées américaine et britannique. Nous devons comprendre la position de ces deux Etats arabes qui ont pâti du régime irakien. 
L’important est que nous fuyons des bombardements, des obus et des projectiles, car l’homme de ce temps ne supporte pas la guerre. 
Quant à ce qu’a dit le président Boris Eltsine de la conflagration mondiale, dans une tentative de se réhabiliter sur la scène internationale, nul ne l’a pris au sérieux, surtout le président Clinton qui sait que Eltsine divague, la Russie d’aujourd’hui n’étant pas l’ancienne Union soviétique. Eltsine ne dit pas “non” à Clinton qui l’a tiré, maintes fois, d’embarras et a soutenu son régime défaillant. Le fait pour la Russie d’essayer de revenir à l’avant-scène internationale, n’a pas été bien accueilli par Clinton. Aussi, a-t-il invité Albright à tenir des propos vantards, sommant l’Irak à se soumettre et non à souscrire aux résolutions du Conseil de Sécurité et ce, à partir d’un complexe de supériorité découlant de l’arrogance de la force. 
Et l’Amérique, si elle est déçue par des Etats ayant avec elle un lien, s’appuie sur Israël comme en 1991. Ce sur quoi les ministres américain et israélien des Affaires étrangères sont tombés d’accord pour dire que la frappe doit être fatale, même si elle devait entraîner le partage de l’Irak. 
Le partage de ce pays, comme son pilonnage, ne satisfont personne, même le Koweit et Bahrein. Tous veulent la sécurité du peuple, l’unité de la patrie, considérant la querelle avec Saddam Hussein comme une chose différente de la vengeance du peuple irakien et de l’unité de cette entité arabe. 
Face à ce ballet terrifiant des navires de guerre, des blindés, des porte-avions, des bombardiers et des armes; face à ce cliquetis d’armes et à ce bruit de bottes, le monde entier s’inquiète, car il en a assez de la guerre, l’a condamnée et ne veut pas en entendre parler une seconde fois. 
Albright avait atténué le ton, en traitant avec l’Arabie séoudite et l’Egypte, disant qu’elle préférait voir régler la crise d’une manière diplomatique. Cette solution est unanimement souhaitée par les Etats arabes, y compris ceux qui en veulent à Saddam Hussein. Car les risques sont nombreux, après la sécurité et le partage. Puis, il y a l’étau américano-israélien qui peut démolir toute l’infrastructure irakienne, si le pilonnage se produisait à partir d’une position de rancune et de vengeance. 
Le plus dangereux dans cette guerre si elle venait à éclater, c’est ce qu’ont annoncé les militaires turcs, à savoir que les Etats Unis essayent, à travers l’attaque de l’Irak, de tester une nouvelle série de fusées. Pour cela, ils ont besoin de la base d’Incirlik, en Turquie. Si l’armée américaine veut frapper l’Irak au moyen de bombes pénétrantes, les avions doivent décoller d’une base terrestre, en raison du poids de ces engins. Les pistes des porte-avions mouillant dans le Golfe ne sont pas suffisamment longues pour permettre à ces appareils chargés de bombes aussi lourdes, de décoller comme l’ont observé les experts. Ces dernières contiennent deux à trois tonnes chacune de charges explosives. Celles-ci, en raison du système programmé, manipulé par un remote controle au laser, peuvent perforer tous les abris construits en béton armé ou en fer et les détruire de l’intérieur, sans causer des dégâts dans leurs alentours. Bien que les objectifs militaires soient tous concentrés à Bagdad, toute frappe aérienne ne peut s’opérer sans causer de lourdes pertes parmi les civils. 
Les Américains disent, analysent et déduisent, qu’il faut user d’un système plus sophistiqué. Et Bulend Ecevit, vice-président du Conseil turc a écarté, la semaine dernière, la possibilité de permettre aux Amé-ricains d’utiliser la base d’Incirlik. Par la suite, beaucoup de responsables turcs ont fait des déclaration plus souples, surtout le Premier ministre, Mesut Yilmaz, qui a dit: “Le dernier mot est au parlement.” 
Les messages adressés par le président Chirac, par l’intermédiaire du secrétaire général du Quai d’Orsay, Bertrand Dufourcq, au roi Fahd, d’Arabie séoudite; au président Hosni Moubarak, au président Hafez Assad, à cheikh Jaber, émir du Koweit et au président Saddam Hussein, étaient efficaces et tranquilisants, car ils clarifiaient la position franche de la France et affirmaient que le temps se prête encore à l’action d’une diplomatie intelligente. En dépit de la renonciation par Kofi Annan à sa visite de Bagdad proposée par Eltsine et malgré le projet d’Esmat Abdel-Magid que Clinton et Blair ont rejeté totalement. 

*** 

Le monde change et Clinton ne dispose pas des mêmes chances dont a bénéficié son prédécesseur, George Bush, lors de la guerre du Golfe. Ce que les Etats Unis avaient réussi à faire en 1991, c’est-à-dire à obtenir la bénédiction des Nations Unies pour leur intervention, les Etats occidentaux et les voisins de Bagdad le rendent cette fois impossible. D’autant que la Russie, la Chine et l’Inde ont proclamé leur refus du bombardement. Cependant, l’opiniâtreté américaine, quand elle s’empare des esprits, nul ne peut l’extirper ou l’assouplir. Bien que des membres en vue du Conseil de Sécurité s’y opposent et la condamnent, sans s’en tenir à la logique selon laquelle les armes chimiques et bactériologiques dont dispose l’Irak, constituent une menace à la Syrie, à l’Iran et à la Turquie. 
Nos mains sont sur notre cœur, partant de notre compassion à l’égard des innocents et de notre souci de châtier les coupables.

ERRATUM: 
Deux coquilles se sont glissées dans notre dernier éditorial consacré au forum de Davos. 
- A la quinzième ligne du premier paragraphe, l’altitude de la station de ski suisse est de 1.650 et non 16.500 mètres. 
- Au septième paragraphe (6ème ligne), il faut lire le MILLIARDAIRE (et non le militaire) hongrois, Georges Soros.

Photo Melhem Karam

Home
Home