Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

AU NOM DE LA CONSCIENCE!

A l’heure où nous écrivons ces lignes, à l’heure où elles sont lues, des scandales de tous genres éclatent au grand jour. Les instances internationales, de même que les gouvernements le savent, mais il est de règle de se taire et de fermer les yeux. Il y a, tout d’abord, les victimes du terrorisme télécommandé par ceux-là mêmes qui se veulent ses ennemis jurés. Il y a, aussi, et surtout, les victimes de la realpolitik dont nous subissons au quotidien les méfaits. Comment se libérer du joug de la realpolitik? Dieu seul le sait. Depuis le début du siècle, de l’Amérique latine aux confins de la planète, l’Amérique en est venue à imposer sa domination militaire, politique économique et culturelle. Du contrôle de l’ONU, à l’impertinence de la CNN et de l’OTAN; de l’agression contre l’Irak à la prolifération du modèle fast-food, le libéralisme américain se teint d’un totalitarisme “new look”. Pour échapper à son emprise, il faudrait une volonté politique mondiale tous azimuts. Ce n’est pas facile. Il y a, aussi, les disparités sociales et les inégalités de plus en plus croissantes, voire incontournables, enfants du capitalisme sauvage. La cohésion sociale, apanage des démocraties modernes, menacée de toutes parts, souffre d’une contraction économique étouffante à tous égard. Partout pointent les doigts accusateurs sans qu’aucune réponse soit donnée aux revendications bien-fondées des ayants-droit, au travail, à l’éducation, à la santé et au bien-être.
Le XXème siècle s’achève comme il a commencé, sur un monde perturbé, en quête de repères, tiraillé entre l’espoir et la peur. Seul un petit nombre de nations seront parvenues à affronter ces défis et à sortir de l’impasse, face à la foule de celles qui, pour une raison ou une autre, continuent à sombrer dans l’anarchie, la corruption et les méandres de la politicaillerie.
Face à ce brouillamini, nous sommes en droit de nous interroger sur l’aptitude qu’ont les hommes à s’adapter à la médiocrité, au conformisme, à infléchir leur sort devant les contraintes socio-économiques qui pèsent de tout leur poids. L’opinion inquiète se demande: le monde est-il condamné à une soumission aveugle aux diktats du capitalisme sauvage? Les chômeurs qui défilent à travers la planète, doivent-ils imputer leur sort à la mondialisation? Cette mutation qui s’affirme au quotidien, réside-t-elle, dans la manière dont les responsables politiques sont appelés en toute urgence à intervenir sans, toutefois, se substituer aux agents économiques, mais pour contrôler l’application des mesures préventives qu’ils se sont fixées en interdisant les monopoles étatiques et les magnats de l’argent, en faveur des petites et moyennes entreprises au nom du respect de la libre concurrence, vers une distribution équitable des richesses? Malheureusement, aucun pays n’a pu encore réussir ce difficile exercice. C’est au pouvoir politique qu’il incombe de maîtriser les abus et les dérapages, en organisant la justice, la sécurité, l’éducation et la formation. Plus important que la politique, est désormais le social! Plus important que le social, la morale qui devrait régir l’Etat de droit.
Toutefois, une économie ouverte, peut-elle sauvegarder la cohésion sociale? Une économie engendrant une croissance accélérée et un nombre maximilisé d’emplois au risque de disparités sociales galopantes, imposant à la majorité de la population active des salaires souvent plus bas que le pouvoir d’achat et davantage d’insécurités? Ou a contrario, une économie dirigée capable d’éviter tous ces risques et de maintenir la cohésion sociale, au prix d’un chômage structurel important et d’une croissance lente? C’est encore un autre objet de controverse entre les économistes américains et européens. Tels sont les enjeux qui devraient préoccuper les sociétés de demain.
L’immense planète des laissés-pour-compte, est un phénomène alarmant de cette fin de siècle. La mondialisation des échanges et des investissements a ses gagnants et ses perdants. La nouvelle fracture sociale planétaire atteint, non seulement les pays du Nord et du Sud mais aussi, le sein de chaque société, la nôtre comprise. Le rapport annuel de l’ONU est décisif: un homme sur quatre vit dans un état d’extrême dénûment, avec moins d’un dollar par jour. Dans une économie mondiale qui s’élève à 25.000 milliards de dollars, les 20% d’individus les plus pauvres se partagent seulement 1,1% du revenu mondial et “ces miettes du gâteau commun ne cessent de s’effriter”. Sur notre planète, deux personnes sur trois, ont accès à l’eau potable, alors qu’ne sur deux, manquent de moyens d’assainissement. Cinq millions de nourrissons meurent mensuellement, en dépit des progrès de la médecine et de la science, tandis que 200 millions d’enfants souffrent de carences protéino-énergétiques.
Le monde adulte, lui, inflige, aux plus jeunes un calvaire, dont il est l’unique responsable dans un domaine essentiel, le travail. La main-d’œuvre enfantine va crescendo; actuellement, elle compte 250 millions âgés entre cinq et quatorze ans, dont la moitié travaille à plein temps. L’Unicef (Fonds des Nations-Unies pour l’enfance) ne fait que sonner l’alarme sur le travail intolérable de l’enfance lequel entrave son développement physique et moral.
Comment mettre fin à ces cruautés, sinon en scandant haut et fort, en faisant pression sur les Etats pour les inciter à respecter la convention sur les droits de l’enfance? Surtout en aidant les acteurs sociaux à trouver une solution au problème de l’enfance, un mode d’organisation, éloignant les enfants des tâches les plus dangereuses, en créant un statut éducatif fut-ce, à temps partiel, sans les priver de ressources. 140 millions d’enfants dans le monde sont privés d’enseignement. Près d’un milliard d’adultes sont illettrés, les deux-tiers étant des femmes, sous le regard impassible de la communauté internationale et des gouvernants qui, pour se disculper, invoquent la morale universelle, posture qui leur sert d’alibi pour défendre les intérêts des plus forts au détriment des plus faibles.
Le problème majeur qui se pose est celui du calendrier; les thématiques et les programmes ne manquent pas. La liberté d’entreprise reste, en définitive, le meilleur outil pour la création d’emplois, optant pour une économie davantage tournée vers l’expansion. Aucun pays n’a encore réussi ce difficile exercice. Ces explications, replacées chacune dans son contexte socio-historique, doivent nous servir d’école.
Reste à savoir si la volonté politique existe encore pour rendre le monde plus solidaire, et le siècle qui s’annonce, moins dur à l’égard des exclus du développement!
 
 “Comment combattre l’inhumain, sans une certaine idée de l’homme? Il n’y a pas de politique démocratique, ni de cohésion sociale en dehors de ce pari.”

Albert Camus
(L’étranger)
 

 

  

 


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