Entretien avec le député de Beyrouth, ancien Premier ministre Salim Hoss:
“Le gouvernement a tardé à prendre conscience de la gravité du déficit budgétaire”

 
 
 

Le marasme économique  
est appelé à se perpétuer 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

L’assainissement de l’Administration étatique a besoin d’un réformateur:  
Où est-il? 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

L’Amérique ne paraît pas disposée à faire pression sur Israël pour débloquer le processus  
de paix 

 

 

Lhomme irradie la simplicité et la modestie. Contrairement à ce qui caractérise l’entourage de la plupart de nos hommes politiques, il n’y a ici ni barrage, ni guérite. Un gardien indique au visiteur l’endroit où il peut garer sa voiture dans un parking exigu. 
Puis, plus rien: aucun contrôle, ni vérification d’identité avant de vous laisser gagner le sixième étage où le président Salim Hoss occupe un appartement qui frappe, également, par son mobilier et son décor austères. 
Puis, l’ancien Premier ministre qui pratique une opposition modérée et constructive, s’exprime calmement, à voix presqu’audible, exposant son point de vue à propos des problèmes de l’heure sans prétention, chiffres et faits à l’appui. 

ON AURAIT PU ÉVITER LES INCIDENTS DE LA BÉKAA 
Notre première question porte, tout naturellement, sur les incidents de Baalbeck-Hermel. 
 “On aurait pu les éviter. Comment? Par le dialogue. Les pertes en vies humaines parmi les militaires et les civils, nous ont endolori le cœur. 
“Nous disons cela, en rendant hommage à l’Armée qui a joué un rôle responsable, en traitant cette regrettable affaire sans passion. Aussi, a-t-elle été le premier et principal gagnant et, avec elle, la logique de l’Etat. 
“Cependant, nous invitons les gouvernants à tirer la leçon de ce qui s’est passé dans la Békaa et à élaborer un plan rationnel sur base duquel ils règleraient les problèmes socio-économiques, non seulement à Baalbeck-Hermel, mais dans les différentes régions du pays qui souffrent du sous-développement.” 

NI PAIX, NI GUERRE AU PROCHE-ORIENT 
A propos de la conjoncture régionale, le président Hoss émet les réflexions suivantes: 
“La position d’Israël ne semble pas devoir changer dans un avenir prévisible. Puis, l’Amérique, seule capable d’exercer des pressions sur l’Etat hébreu pour l’amener à assouplir son attitude, ne paraît pas disposée à s’exécuter. 
“C’est pourquoi, la situation au Proche-Orient est appelée à se perpétuer dans un état de ni paix, ni guerre.” 
- Cet état de choses se répercutera-t-il sur le Liban? 
“Naturellement et il aura sans nul doute des retombées négatives, partant de la persistance de l’occupation d’une partie du Sud et de la Békaa ouest, comme des agressions quasi-quotidiennes contre la zone frontalière. 
“Cela aura des répercussions néfastes sur la stabilité régionale, sur les investissements au Liban et sur le cycle économique dans son ensemble. Il sera, alors, difficile de dissiper le marasme qui sévit sur le marché local et de réactiver le développement économique dont la proportion, au cours des deux dernières années, a été de loin inférieure aux prévisions officielles; elle n’a pas excédé 4 ou même 3 pour cent en 1997. 
“On sait, d’ailleurs, que le développement des secteurs productifs est lié, directement, au mouvement des investissements, lequel est affecté par le climat de stabilité (ou d’instabilité) dans la région.” 
- Comment jugez-vous les menaces américaines contre l’Irak et les prises de position adoptées par les Etats arabes?  
“Les menaces américaines ont contribué, naturellement, à accroître la tension. Cependant, les prises de position arabes permettent de bien augurer de la suite des événements. En effet, la plupart des Etats arabes, sinon tous, ont dénoncé les menaces américaines et ceci isole les Etats-Unis dans la région, si on tient compte aussi de la position ferme de la France et de la Russie. Ce qui pourrait porter la capitale fédérale à modifier sa stratégie.” 

IL FAUT RATIONALISER LES DÉPENSES ÉTATIQUES 
Invité à émettre une opinion autour du projet de budget 98, le président Hoss observe que, pour la première fois, on assiste au Liban à une tentative de rationaliser les dépenses étatiques; ce à quoi il ne cesse d’engager le Pouvoir. 
“Nous voulons bien croire que l’Etat est sérieux dans sa tentative de traiter le déficit budgétaire, les résultats des cinq dernières années ayant été décevants sur ce plan. 
“Le déficit était calculé, chaque année, dans une proportion déterminée du montant des dépenses. Or, les résultats réalisés n’ont pas été à la dimension des espoirs. Les chiffres de 1997 n’ont pas dérogé à la règle, la proportion du déficit ayant excédé 59 pour cent, alors que celle-ci était estimée à 37 pour cent lors du vote de la loi de finances. 
“La proportion du déficit pourrait être supérieure, car bien des échéances n’ont pas figuré au chapitre des dépenses, notamment les sommes dues aux hôpitaux privés, aux entrepreneurs de travaux, les différences résultant de l’exécution de certains projets d’équipement et de développement. 
“Nous avons appris, du gouvernement, que l’élargissement de l’aéroport international de Beyrouth nécessitera cent millions de dollars de plus que les prévisions initiales. C’est là un exemple entre tant d’autres.” 

DÉFICIT BUDGÉTAIRE ET STABILITÉ MONÉTAIRE 
Des proportions du déficit budgétaire durant les quatre dernières années, l’ancien chef du gouvernement indique que la proportion proclamée a excédé 50 pour cent de la totalité des dépenses. La proportion du déficit par rapport au revenu local constitue un indice peu rassurant. “En effet, précise-t-il, cette proportion a atteint 19,3%, en 1994; 15,6%, en 1995; 18,4%, en 1996 et 23,4%, en 1997. 
“Or, le déficit du budget ne doit pas dépasser 3 pour cent de la totalité du revenu national. Tout dépassement de cette proportion traduit un déséquilibre financier qui peut affecter la stabilité monétaire.” 
- Selon le Cabinet, le déficit budgétaire n’excèderait pas 37% cette année. 
“Nous voulons bien le croire et souhaitons que la planification de la proportion du déficit marque le début d’une nouvelle politique destinée à le résorber progressivement.” 

COMMENT REDRESSER LA SITUATION? 
- Le gouvernement peut-il instaurer, en 1998, une politique financière différente de celle  suivie au cours des dernières années? 
“Le déficit du budget est la cause de tout mal dont souffre l’économie libanaise, laquelle doit être traitée en priorité. Puis, les prêts contractés à l’étranger portent la dette publique à des niveaux dangereux qui suscitent l’inquiétude. D’autant qu’ils provoquent une hausse des taux d’intérêt sur le marché local, cause directe du marasme économique et, partant, des difficultés auxquelles les citoyens sont confrontés dans leur vie quotidienne, surtout ceux de condition modeste et à revenu limité.” 
Et le président Hoss d’enchaîner: “Nous blâmons le gouvernement pour avoir tardé à prendre conscience de l’aggravation du déficit budgétaire. De fait, il a fait la sourde oreille aux mises en garde des députés de l’opposition et n’a pas tenu compte de leurs appels réitérés en faveur de la rationalisation des dépenses, de l’instauration d’une politique d’austérité, de l’arrêt du gaspillage et de la lutte contre la corruption.” 

OÙ EST LE RÉFORMATEUR? 
- Comment concevez-vous la réforme administrative? 
“La réforme a besoin d’une grande décision politique, bénéficiant de l’appui de toutes les instances de la société. Elle a, également, besoin d’un réformateur modèle; où est-il? 
“Le gouvernement a tenté une campagne d’assainissement de l’administration il y a trois ans et utilisé ses prérogatives à mauvais escient. De fait, il a exempté les fonctionnaires de la première catégorie de l’épuration, à cause de la protection assurée à certains commis de la république par les gens du pouvoir. 
“Puis, le gouvernement a licencié un grand nombre de fonctionnaires, sans se baser sur des dossiers dûment établis. Ces fonctionnaires se sont adressés au Conseil d’Etat qui s’est prononcé en faveur de leur réintégration à leurs postes. 
“La réforme ne peut se réaliser en vertu d’une décision, mais sur base d’une politique claire et d’un plan. C’est une opération permanente et organisée dont doivent s’acquitter le Conseil de la fonction publique, l’Inspection centrale, le Conseil général de discipline et la Cour des comptes.” 

QUID DE LA DEMANDE D’INVALIDATION DU BUDGET 98? 
Interrogé sur sa dernière question au gouvernement, ayant trait à la transparence du budget 98 et sur le point de savoir si elle peut remplacer une demande d’invalidation de la loi de finances, le président Hoss répond: “Ma question pourrait remplacer la demande d’invalidation. En fait, certaines dépenses prévues pour l’année courante, ne sont pas inscrites dans les estimations, notamment celles nécessaires au retour des personnes déplacées à leurs villages, probablement par le biais de nouveaux prêts à contracter en monnaies étrangères. 
“Selon les déclarations des responsables, le gouvernement pense pouvoir financer l’opération (du retour des déplacés) au moyen de crédits pris en dehors du budget. Il n’est donc pas tenu de les déduire des sommes prévues dans le budget. 
“Ceci s’applique à tous les cas où les dépenses sont financées au moyen de prêts contractés à l’étranger. A partir de quelle logique le gouvernement inscrit-il les dépenses devant être financées au moyen de bons du Trésor en livres libanaises, dans les prévisions budgétaires et non les dépenses à couvrir au moyen de bons du Trésor en monnaies étrangères, étant entendu que les dépenses,  dans les deux cas accroîtront la dette publique? 
“Ce point et bien d’autres, je les avais soulevés lors du débat du projet de budget à la Chambre, mais le gouvernement n’a pas fourni les éclaircissements de nature à dissiper le doute et l’ambiguïté.” 

 

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