• Ce qui s’est passé
à Baalbeck accroît le prestige de l’Etat et des institutions
• Le plan de réforme
n’est ni une loi, ni un décret émanant du Conseil des ministres
• Une plus grande coordination
entre les départements ministériels s’impose
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Natif du Sud,
il représente “le bloc du développement et de la libération”
au gouvernement et se distingue par sa pondération et sa discrétion.
Cependant, il a été projeté à l’avant-scène,
en tant que promoteur du “mois du shopping”, dont le principal avantage
est qu’il attire de nombreux visiteurs arabes et touristes étrangers
dans nos murs au cours du mois de février, pour la seconde année
consécutive.
Mais notre entretien avec M. Yassine Jaber, ministre de l’Economie
et du Commerce, ne s’est pas limité aux questions relevant de sa
compétence; il a englobé les problèmes de l’heure
dans leur ensemble, à propos desquels il a émis des réflexions
judicieuses: la gestion gouvernementale, le manque de coordination entre
les départements ministériels, les divergences dans les points
de vue entre les membres du Cabinet (de coalition), la situation socio-économique
et les moyens de la redresser, l’échéance présidentielle
et les défis auxquels le Liban est actuellement confronté.
RENFORCEMENT DU CONTRÔLE SUR LE MARCHÉ
Après avoir évoqué les préparatifs du “mois
du shopping”, M. Jaber fait état du renforcement du contrôle
sur le marché local, pour s’assurer de la réduction des prix
de la part des commerçants. “A cet effet, ajoute-t-il, nous avons
installé des kiosques dans les artères centrales à
Beyrouth et partout dans les villes, dotés de lignes téléphoniques,
pour permettre aux citoyens de communiquer leurs plaintes et doléances
au ministère.
“Des bureaux d’accueil ont été installés aux frontières,
à Abboudieh et Masnaa, pour remettre aux visiteurs une brochure
tenant lieu de guide, où ils peuvent obtenir tous les renseignements
requis, de nature à faciliter leur séjour et leurs déplacements
dans nos murs.
“Je tiens à préciser, ici, que le “mois du shopping”
a été minutieusement préparé, cette année,
d’autant que nous avons profité des fautes de l’année dernière.
Puis, l’ouverture du “mois” a été marquée par une
manifestation artistique au “Forum de Beyrouth.”
- Avez-vous établi une coordination entre les ministères
de l’Economie, du Tourisme et de l’Intérieur?
“Nous coopérons avec le ministère du Tourisme au double
plan commercial et touristique et, naturellement, nous maintenons le contact
aussi avec le ministère de l’Intérieur et la direction générale
des FSI, à l’aéroport, aux postes frontaliers et ailleurs.”
- Pourriez-vous déjà établir une comparaison
entre l’afflux des visiteurs et des touristes en 1997 et cette année?
“Il est prématuré d’avancer des chiffres mais, d’ores
et déjà, je peux assurer que les réservations dans
les hôtels sont plus élevées, surtout, dans les établissements
hôteliers de quatre et cinq étoiles. Cela signifie que les
clients se réclament de l’élite, ayant un grand pouvoir d’achat.
Nos frères du Golfe arabe, habitués aux services d’un niveau
supérieur qui leur sont assurés en Europe et à l’étranger,
jugent satisfaisants nos services et nos prix.”
LES INCIDENTS DE BAALBECK ONT RENFORCÉ
LA CONFIANCE...
- Les regrettables incidents de Baalbeck auraient-ils affecté
le “mois du shopping”?
“Ils ont eu leur impact, naturellement. Cependant, il y a lieu d’observer
que la “révolte des affamés”, en tant que mouvement revendicatif
démocratique, n’est pas récente. Toujours est-il, que le
fait pour les forces de l’ordre d’avoir résorbé ce mouvement
contestataire, a prouvé leur capacité d’assurer la sécurité,
en imposant la loi envers et contre tous sur l’ensemble du territoire national.
Ces incidents et leur heureux épilogue ont eu pour conséquence
de renforcer la confiance dans notre pays.
“Il va sans dire, qu’on ne peut que déplorer les pertes en vies
humaines occasionnées par les affrontements entre les effectifs
de l’armée libanaise et les partisans de cheikh Toufayli.”
- Le “phénomène Toufayli” ne donne-t-il pas l’impression
que la disparité sociale ne cesse de s’élargir et de s’aggraver,
en raison du retard mis par le Pouvoir à satisfaire les doléances
des déshérités?
“Le problème de cette nature ne peut être traité
rapidement, même si des crédits de l’ordre de 150 milliards
sont alloués aux régions qui souffrent du sous-développement.
“La réalisation des projets d’équipement, de développement
et d’utilité publique requiert du temps. Il importe de maintenir
les habitants des régions rurales dans leurs maisons et leurs terres,
alors qu’ils ont tendance chez nous à déserter leurs villages,
pour s’établir dans les zones urbaines où ils constituent
autant de “ceintures de pauvreté.
“Les ministres et députés békaaiotes n’ont cessé
de réclamer l’amélioration des conditions de vie de la population
du caza de Baalbeck-Hermel. Il importe donc d’exécuter des projets
d’irrigation, ceux de Yammouneh et du Assi étant tout indiqués,
même s’ils posent des problèmes avec des pays limitrophes,
tels la Syrie et la Turquie.
“Il faut, aussi, construire des hôpitaux dans la région,
un établissement hospitalier étant en cours de réalisation.
Tous ces projets ne peuvent être exécutés du jour au
lendemain. Peut-on nier que des crédits sont affectés à
tous les districts, davantage qu’au temps des précédents
régimes depuis l’avènement de l’indépendance? Je suis
natif du Sud et je n’ai jamais vu, auparavant, une rue éclairée
la nuit, ni une route ou une école.”
IL FAUT RASSURER LES INVESTISSEURS
- Le Liban-Sud a la part du lion au niveau du Pouvoir, les présidents
de l’Assemblée et du Conseil étant originaires de ce district...
“Les deux présidents œuvrent pour tout le Liban et non pour
sa partie méridionale. En réalité, le plan du développement
doit commencer à Beyrouth pour s’étendre, ensuite, aux autres
districts. Puis, l’Etat se doit d’assurer les infrastructures dans toutes
les régions et de meilleures conditions de vie et de travail à
tous les citoyens.
“L’important est de ne pas laisser croire que le pays va vers sa perte
et que l’économie nationale est sur le point de s’effondrer. Ceci
fait fuir les capitaux et les investisseurs. Il nous faut assurer la stabilité
et la sécurité pour attirer des fonds, en accordant aux investisseurs
des facilités administratives et des législations adéquates.
“D’autre part, nous devons procéder à la perception des
impôts et taxes, avant de majorer ces derniers ou d’en instituer
d’autres. Le médecin, l’ingénieur et l’avocat acquittent-ils
leur dû au fisc chez nous? Il importe donc d’élargir la perception
des impôts et taxes. Il n’est pas permis de compromettre la crédibilité
de l’Etat en relevant les impôts d’une manière arbitraire,
mais en percevant les impôts de tous les contribuables.”
QUID DE LA MAJORATION DES IMPÔTS?
- Peut-on déduire de vos paroles que vous n’approuvez
pas la politique fiscale suivie par le gouvernement dont vous faites partie?
“Je parle de l’impôt sur le revenu. Puis, le gouvernement ne
doit pas élaborer une loi et y renoncer avant de l’avoir appliquée.
Je suis persuadé du fait que tout nouvel impôt ne rapporte
pas, nécessairement, de l’argent au Trésor. Des secteurs
ne sont pas imposables, exagérément. Le contraire serait
plus vrai.”
- On constate qu’en tant que ministre de l’Economie et du Commerce,
vous n’êtes pas impliqué dans l’élaboration de la politique
économico-financière, le ministre d’Etat, Fouad Sanioura
ayant le dernier mot sur ce plan...
“Le ministre Sanioura assume seul la responsabilité dans ce
domaine; que Dieu lui vienne en aide, car il s’agit moins d’un honneur
que de charges supplémentaires.”
- Pourquoi ne vous y associeriez-vous pas?
“Nous émettons notre avis et, s’il plaît à Dieu,
ce problème sera traité à l’avenir. Nous voulons plus
de dialogue et souhaitons qu’il soit engagé à tous les niveaux.”
- Cela signifie-t-il que le dialogue est absent dans les sphères
gouvernementales?
“Le dialogue existe, mais il faut l’intensifier.”
SANIOURA, SUPER-MINISTRE?
- L’opinion publique a l’impression que Sanioura élabore
la politique économico-financière, alors que les ministres
concernés n’ont pas leur mot à dire...
“Il élabore la politique et en assume les conséquences”.
(Il l’a dit en partant d’un éclat de rire).
- Est-ce parce que la députation ne l’intéresse
pas?
“En définitive, sur quoi nous discutons? La question financière
n’est pas facile, surtout dans un Etat qui ne dispose pas de beaucoup d’argent.
Que Dieu lui vienne en aide. De toute manière, nous agissons en
vue d’accroître la coopération avec lui et ne l’envions pas,
car le ministère des Finances constitue un lourd fardeau.”
- Comment évaluez-vous la situation du gouvernement, suite
au vote mitigé du projet de budget 98?
“Les circonstances peuvent avoir joué un rôle par rapport
à la proportion du vote. Plusieurs ministres, dont moi-même,
et députés ont eu un empêchement et se sont absentés
au moment de la ratification de la loi de finances. De tout temps, vingt
à vingt-deux membres de l’Assemblée ont voté contre
le projet de budget.”
- Mais le débat budgétaire a placé le Cabinet
dans une mauvaise posture.
“Si le débat s’est quelque peu envenimé, ceci est
un signe de vitalité...”
- Des ministres, tel celui des Ressources hydrauliques et électriques,
ont critiqué le gouvernement à la Chambre...
“Les critiques du ministre des Ressources étaient du camouflage
et une sorte de provocation.”
- Qu’auriez-vous à répondre à ceux qui accusent
les trois présidents d’accaparer les attributions des institutions
étatiques, la “troïka” contribuant à paralyser ces dernières
par leurs divergences?
“Le système politique en lui-même a favorisé l’émergence
de la troïka: les présidences de la République, de l’Assemblée
et du Conseil ne sont-elles pas à l’image de ce système?”
OPPOSITION ET DÉMOCRATIE
- On considère les débats entre le gouvernement
et l’Assemblée nationale comme un dialogue de sourds.
“Peut-être est-ce le nombre des intervenants qui en donne l’impression.
Il est préférable que chaque bloc choisisse un ou deux députés
comme porte-parole durant les débats. Le principe démocratique
doit régir les relations entre opposants et gouvernement. L’opposition
doit essayer d’évaluer la politique du gouvernement, à moins
qu’elle arrive à l’évincer.”
- En réalité, c’est un système d’institutions,
transformé en système de présidents représentant
les institutions.
“A partir de ce qui s’est passé à l’Assemblée
nationale, nous pouvons affirmer que le président Berri ne représente
pas à lui seul le parlement.”
- Mais on lui reproche d’avoir couvert, en quelque sorte, le
gouvernement durant le débat parlementaire sur le budget...
“A l’Assemblée nationale, le président Berri a donné
l’occasion aux députés de l’opposition, ainsi qu’à
tous les intervenants, de s’exprimer librement. Il a mené les débats
avec sagesse et impartialité, ménageant toutes les parties.
Ainsi, on ne peut pas le considérer comme le seul représentant
du parlement.
“Il en est de même du président du Conseil, vu l’existence
de plusieurs courants au sein du Cabinet.”
- Les décisions sont prises, parfois, en Conseil des ministres,
malgré l’opposition d’un grand nombre de ministres.
“Le plus souvent, c’est l’avis de la majorité qui prédomine.
L’essentiel c’est l’approbation unanime de tous les blocs qui constituent
le gouvernement. Des fois, un ministre approuve une décision gouvernementale,
en Conseil des ministres; puis, il change d’avis et fait des déclarations
opposées dans les médias. Ceci va à l’encontre de
notre système gouvernemental.”
POUR UNE SOLUTION RADICALE
- Certains points du projet de la réforme font l’objet
d’accord entre les trois présidents, tandis que d’autres ne le sont
pas encore...
“Le projet de réforme a été approuvé par
les trois présidents. De toute façon, ce n’est ni une loi,
ni un décret, mais une étude d’évaluation et une synthèse
de longs débats portant sur la situation actuelle et les moyens
d’en sortir. Les questions économiques objets des débats,
bien qu’elles aient un impact considérable sur la situation, ne
sont pas le début d’une solution. Il faut commencer à appliquer
les clauses de la réforme: réduire le nombre (210.000) des
fonctionnaires qui surchargent le Trésor. La réforme nécessite
une solution radicale et une action en profondeur.”
- Croyez-vous que le gouvernement prendra une décision
sérieuse à ce sujet?
“Je crois que la décision est en train de mûrir. La période
actuelle est difficile et les circonstances nous poussent à adopter
la réforme et à prendre à son sujet une décision
sérieuse.”
DE “GRAND MONTANA” À DAVOS
- Comment expliquez-vous l’absence du Liban du congrès
de Davos, alors que la plupart des pays y étaient représentés?
“Il y a quelques mois, nous avons assisté au congrès
“Grand Montana” où j’ai représenté le président
du Conseil à la tête d’une délégation officielle
qui comprenait des hommes d’affaires. Ce congrès qui s’est tenu
en Suisse, était pareil à celui de Davos. Il n’est pas nécessaire
d’assister à tous les congrès, surtout qu’à Davos,
Israël était présent.
“Dans la conjoncture régionale, d’autant plus qu’une partie
du Sud est occupée, nous refusons d’être présent avec
Israël à des assises de cette envergure. L’Etat hébreu
était absent de “Grand Montana”, ce qui était une des conditions
exigées par notre chef du gouvernement qui a patronné ce
congrès et en était l’invité d’honneur. Je l’ai représenté,
car il était en visite officielle en Arabie séoudite.”
- L’étape actuelle est-elle provisoire ou porte-t-elle
des échéances internes?
“Cette année porte des échéances et des circonstances
exceptionnelles. La conjoncture régionale défavorable, suite
au conflit irako-américain, aura ses répercussions sur les
pays de la région. Les défis à relever sont nombreux.
Ceci nécessite une cohésion interne et l’unité des
rangs.”
QUID DES MUNICIPALES ET DES PRÉSIDENTIELLES?
- Les élections municipales auront-elles lieu à
la date prévue?
“La décision d’organiser ces élections a été
prise et les préparatifs vont bon train. J’espère qu’elles
auront lieu, parce qu’il y va de l’intérêt du pays. Nous avons
besoin de sang nouveau, capable de réactiver les administrations
municipales.”
- Que pensez-vous des élections présidentielles?
D’autant plus qu’on parle de prorogation, la conjoncture interne et régionale
étant pareille à celle d’il y a trois ans?
“Sans doute, l’histoire dira du bien du président Hraoui qui
est l’homme des décisions courageuses. En effet, il a joué
un grand rôle dans le rétablissement de la sécurité
et de la paix dans le pays.
“Quant à l’échéance présidentielle, il
m’est encore difficile de donner mon avis à son sujet. Le président
Hraoui s’oppose à une seconde reconduction de son mandat, à
moins que les circonstances l’exigent. Mais à chaque chose son temps.
Les candidats sont légion et j’espère qu’on élira
un chef capable et placera l’homme qu’il faut à la place qu’il faut,
apte à mener le navire à bon port.”
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