Le risque d’une action militaire est écarté dans l’immédiat
Le mot de la fin à Washington et au Conseil de Sécurité Kofi Annan: “Mission accomplie”

   


La rencontre historique Annan-Hussein: la guerre semble évitée.


Saddam Hussein annonçant à la télévision l’accord conclu avec l’ONU.

 



 
 
 
 

Le président Saddam Hussein avait troqué sa tenue militaire contre un complet-veston-cravate, afin de rencontrer Kofi Annan, alors que les yeux du monde étaient fixés sur cette mission de la dernière chance. Chacun retenait son souffle.
Qualifiée de “sacrée”, par le secrétaire général de l’ONU, cette médiation a abouti à un accord écrit qui fut signé le 23 février entre le responsable onusien et Tarek Aziz, vice-président du Conseil irakien.
Accueilli avec satisfaction et quelques réserves, cet accord éloigne, du moins, dans l’immédiat, les risques d’une frappe militaire contre l’Irak. N’empêche que le mot de la fin revient au Conseil de Sécurité, à Washington surtout et, bien sûr, aux dispositions du président irakien à appliquer dans leur intégralité les résolutions de l’ONU, votées après la seconde guerre du Golfe.  

“De mon point de vue, les termes de cet accord écrit sont tout à fait acceptables et lèvent un obstacle majeur à l’application intégrale des résolutions du Conseil de Sécurité.”
Par ces mots, le secrétaire général des Nations Unies exprime, devant un impressionnant parterre de journalistes venus des quatre coins du globe, sa satisfaction de l’accord qu’il vient tout juste de signer avec le vice-président du Conseil irakien, Tarek Aziz. “Je considère, ajoute-t-il, cet accord auquel nous avons abouti avec le gouvernement irakien, équilibré et conforme par le texte, à l’esprit et à l’intention aux résolutions du Conseil de Sécurité. J’espère qu’il sera accepté par tous les membres de ce Conseil.”
Dans le cadre de la conférence de presse ayant suivi la signature, les clauses et détails de l’accord n’ont pas été rendus publics, mais M. Annan devait indiquer que Bagdad avait accepté l’un des principaux points du litige: les inspecteurs de l’ONU pourront fouiller et contrôler tous les sites présidentiels, “sans limite dans le temps”. L’important, dit-il, est que l’action soit achevée en un temps raisonnable. Tout dépendra de la durée que les inspecteurs de l’UNSCOM et de l’agence atomique mettront pour finir leur tâche.”

L’ACCORD, UNE VICTOIRE POUR BAGDAD
M. Tarek Aziz qui a signé cet accord au nom du gouvernement irakien, le qualifie, aussitôt, de “victoire pour l’Irak”. “Je crois, affirme-t-il, que Bagdad a réalisé un grand acquis, car il a eu l’opportunité d’exposer sa juste cause devant le monde représenté en la personne du secrétaire général de l’ONU. Nous n’avons pas peur de la vérité et l’accord auquel nous sommes parvenus avec M. Kofi Annan confirme les vérités que nous n’avons cessé de réaffirmer, de même qu’il confirme les mensonges et exagérations à propos de notre situation.”
Tarek Aziz ajoute que “la sagesse, l’équilibre, la volonté diplomatique des Nations Unies ont rendu cet accord possible et non le bruit des sabres.”
A l’issue de la cérémonie de signature qui s’est déroulée en grande pompe, sous les caméras des chaînes de télévision du monde, M. Annan devait visiter, en compagnie de M. Tarek Aziz, deux palais présidentiels, avant de quitter Bagdad à bord d’un avion mis à sa disposition par le président Chirac.
Après une brève escale à Amman, il passe la nuit à Paris et arrive le mardi 24 à New York, afin de soumettre son rapport au Conseil de Sécurité.
Entre-temps, à Bagdad le commandement de la révolution et celui du parti Baas tenaient une réunion sous la présidence de Saddam Hussein. Dans un communiqué, le commandement général estimait que “l’accord est équilibré” et montre que “l’Irak est plus sincère que l’Amérique et la Grande-Bretagne”.
Le communiqué annonce, aussi, que le 23 février sera, désormais, célébré comme le jour “où la volonté des Irakiens a vaincu la volonté du mal.”

LONGUES TRACTATIONS
Le secrétaire général de l’ONU était arrivé à Bagdad le vendredi 20 février pour une médiation de la dernière chance qu’il a qualifiée lui-même de “mission sacrée”.
A sa descente d’avion - un “Mystère 900” français qui l’avait amené de Paris - Kofi Annan choisit d’afficher de l’optimisme: “En tant que secrétaire général de l’ONU, dit-il, j’ai une obligation juridique et morale d’essayer de réduire les tensions internationales où que ce soit. C’est la raison de ma visite ici et j’espère quitter Bagdad avec un arrangement acceptable.”
Venu l’accueillir, le vice-président du Conseil irakien, Tarek Aziz se place sur la même longueur d’onde: “Nous allons entamer des discussions constructives sur la situation actuelle et je partage l’optimisme du secrétaire général sur leur résultat.”
Pourtant, la “mission sacrée” est loin d’être facile. Mais cet optimisme de départ sera de bon augure en dépit de tout: une véritable armada dans le Golfe prête à passer à l’action, un Saddam Hussein qui refuse d’ouvrir les sites présidentiels aux inspecteurs internationaux et un message explicite du président Clinton aux nations arabes exigeant: “un accès libre et inconditionnel à ces sites. A Kofi Annan de convaincre les Irakiens, sinon les armes parleront.”
La journée du samedi 21 février est marquée par une série de rencontres et de discussions, soit en tête-à-tête entre Tarek Aziz et Kofi Annan, soit avec les membres des deux délégations. M. Annan rencontre, aussi, collectivement les ambassadeurs étrangers en poste à Bagdad; puis, en privé, les ambassadeurs de France et de Russie, ces deux pays étant très impliqués dans la recherche d’une solution par la voie diplomatique. Le monde retient son souffle et Kofi Annan se veut toujours optimiste: “Les entretiens sont constructifs et utiles; je ne suis pas découragé.”

SADDAM HUSSEIN EN COMPLET VESTON ET CRAVATE
La rencontre attendue entre le président Saddam Hussein et le secrétaire général de l’ONU a lieu, finalement, le dimanche 22 février dans l’après-midi. Trois heures d’entretiens ont abouti à un accord, concernant la crise sur le désarmement.
Le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, M, Fred Eckhard affirme, aussitôt, après cette rencontre: “Le secrétaire général pense que cet accord répond aux deux principes qu’il avait en venant ici: le respect des résolutions du Conseil de Sécurité et l’intégrité du processus d’inspection de la commission spéciale de l’ONU chargée de désarmer l’Irak” (Unscom).
Il précise, également, que M. Annan est entré en contact avec les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité après sa rencontre avec Saddam Hussein et qu’il espère une réaction favorable de leur part.
Une dernière réunion de travail a lieu dimanche soir entre MM. Annan et Aziz pour mettre au point l’accord écrit qui est donc signé le lundi 23 février.

LES RÉACTIONS À L’ACCORD
Dès l’annonce de la conclusion de l’accord, les Irakiens laissent éclater leur joie et les médias parlent de “victoire de Saddam face aux Etats-Unis”. Au sein du monde arabe, la signature de l’accord est accueillie par un sentiment de soulagement, car la confrontation est évitée. La Ligue arabe, à travers la déclaration de son secrétaire adjoint, Mohamed Zakariya Ismaïl réclame, toutefois, “la fixation d’une date-limite à la fin des inspections et la levée des sanctions.”
En Israël où la tension était très vive ces dernières semaines par crainte d’un bombardement irakien, en cas de frappe militaire, le Premier ministre préfère connaître, d’abord, les détails de l’accord avant de se prononcer: “Il semble, dit-il, que Saddam Hussein ait fait marche arrière, mais il est très possible qu’une nouvelle crise éclate.”
La presse israélienne ne partage pas son point de vue et le “Yédiot Aharanot” titrait: “victoire pour Saddam; défaite pour Israël”.

WASHINGTON: OUI, MAIS...
Ailleurs dans le monde, l’accord est accueilli avec une satisfaction évidente pour les uns, plus tempérée pour les autres. Du côté de la France, le ministre des A.E., Hubert Védrine affirme: “Nous sommes heureux de l’annonce d’un accord et espérons qu’il répondra aux attentes que chacun connaît”.
Pour le président russe, Boris Eltsine, “cet accord est la preuve de la viabilité de l’action diplomatique par rapport à l’option militaire.”
En Grande-Bretagne, l’accord est accueilli avec une satisfaction prudente.
Reste le principal intéressé. Dans un premier temps, Washington observe une attitude d’expectative, en attendant de connaître “les détails de l’accord” et le président Clinton évite de se prononcer. Mais dans le courant de la journée du 23 février et après avoir entrepris une série de consultations téléphoniques avec le Premier ministre britannique, Tony Blair, les présidents Boris Eltsine et Jacques Chirac, il apporte l’appui prudent de Washington à l’accord, tout en précisant qu’il y a encore “des détails à régler”. Il a de même annoncé que les troupes américaines déployées dans le Golfe resteraient dans cette région “jusqu’à, précise-t-il, que nous soyons persuadés que l’Irak respecte ses engagements.”

LE DERNIER MOT AU CONSEIL DE SÉCURITÉ
Alors que le secrétaire général de l’ONU menait sa “mission sacrée” à Bagdad, plusieurs manifestations se déroulaient dans les capitales arabes et occidentales pour dénoncer l’option militaire. Sur le campus de l’université de Aïn Chams au nord du Caire, plus de 10.000 étudiants ont défilé, dénonçant les menaces américaines et l’embargo imposé à l’Irak, brûlant les drapeaux américains et israéliens. Des manifestations ont, de même, eu lieu dans plusieurs grandes villes de Cisjordanie, tout comme à Istanbul et Téhéran. Un fait était évident: dans la région proche-orientale et, surtout, dans le monde arabe, la rue désapprouvait l’option militaire et exprimait sa solidarité avec le peuple irakien et les souffrances qu’il endure depuis l’embargo imposé après la guerre du Golfe. La vue des cercueils d’un nouveau groupe de plus de soixante enfants morts par manque de nourriture et de médicaments, montré au cours du dernier week-end à la télévision irakienne, n’a fait qu’exacerber ce sentiment.
En parallèle à la mission de Kofi Annan, à la réaction des masses, au monde qui retenait son souffle, à la tension vive en Israël et au Koweït par crainte d’une attaque en cas de guerre, l’Amérique, la Grande-Bretagne et leurs alliés mettaient au point les ultimes préparatifs d’une possible frappe militaire.
L’accord du 23 février a, pour l’instant, écarté le risque d’une telle éventualité dont les conséquences imprévisibles auraient été désastreuses.

 


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