Me Ibrahim Alfred Traboulsi, avocat
spécialiste du Droit de la Famille et du Droit Canonique (administration
des biens de l’Eglise, des écoles et des wakfs). Inscrit au Barreau
de Beyrouth depuis 1968, il est chargé de cours à la Faculté
de Droit et des Sciences politiques de l’USJ, auteur de plusieurs articles
sur le régime autonome du statut personnel au Liban et d’un projet
de loi sur la protection de la famille libanaise. Son livre, “Le mariage
et ses effets chez les communautés régies par la loi du 2
avril 1951 au Liban”, publié en langue arabe en 1994, comporte une
étude œcuménique et comparative sur les diverses lois du
statut personnel des communautés chrétiennes.
Il a participé avec un groupe
de juristes à l’élaboration du code de statut personnel facultatif
présenté par le président Elias Hraoui.
Me Ibrahim Alfred Traboulsi, avocat
spécialiste du Droit de la Famille et du Droit Canonique (administration
des biens de l’Eglise, des écoles et des wakfs). Inscrit au Barreau
de Beyrouth depuis 1968, il est chargé de cours à la Faculté
de Droit et des Sciences politiques de l’USJ, auteur de plusieurs articles
sur le régime autonome du statut personnel au Liban et d’un projet
de loi sur la protection de la famille libanaise. Son livre, “Le mariage
et ses effets chez les communautés régies par la loi du 2
avril 1951 au Liban”, publié en langue arabe en 1994, comporte une
étude œcuménique et comparative sur les diverses lois du
statut personnel des communautés chrétiennes.
Il a participé avec un groupe
de juristes à l’élaboration du code de statut personnel facultatif
présenté par le président Elias Hraoui.
Licencié en Philosophie,
Théologie et Droit Canonique, Mgr Elias Rahal est, depuis 1972,
défenseur du lien du Tribunal d’appel grec-catholique. Il est promu
archimandrite, en 1991, suite à sa nomination en tant que
vicaire épiscopal judiciaire et président du Tribunal ecclésiastique
de l’évêché grec-catholique de Beyrouth. Il assume
de même le poste de vicaire judiciaire et président du Tribunal
patriarcal de première instance de la communauté arménienne-catholique.
Il prépare, actuellement, un ouvrage sur l’orientation œcuménique
de Vatican II dans le code des canons des Eglises orientales. Le livre
portera, notamment, sur les causes de nullité du mariage.
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Le
projet de mariage civil présenté par le président
de la République soulève un tollé général
et suscite des réactions extrêmes, allant de l’adhésion
totale au rejet catégorique.
Cependant, un courant modéré de tolérance réfléchie
émerge dans la certitude d’un rapprochement possible entre ces deux
positions.
Les appels au dialogue s’élèvent de tous les milieux
et à tous les niveaux. Laïcs et religieux essayent d’établir
un terrain d’entente tenant compte des aspirations de la majorité
des citoyens et des appréhensions des instances religieuses.
Nous avons interrogé, à ce sujet, deux spécialistes
de la question, ayant chacun une vision divergente du problème.
Me Ibrahim Traboulsi milite en faveur du projet de loi qu’il estime positif.
Mgr Elias Rahal tolérerait le mariage civil pour les non-croyants,
tout en exprimant certaines réserves liées à des considérations
d’ordre religieux. Il avance, en même temps, des solutions de rechange.
Nous reproduisons, également, les prises de position des communautés
mahométanes qui, dans leur majorité, se montrent plus ou
moins hostiles à un tel projet.
“LE PROJET DE MARIAGE CIVIL NÉCESSITE UN
DÉBAT NATIONAL LIBRE”
- Qui est le promoteur du projet de mariage civil au Liban?
“Le projet de mariage civil ou plutôt le projet de statut personnel
facultatif remonte aux années 50. C’est en discutant au parlement
du projet de loi du 2 avril 1951 que plusieurs députés demandent
l’instauration d’un code de statut personnel facultatif au Liban. Mais
leur requête n’aboutit pas.
“Les avocats organisent, par la suite, une grève refusant les prérogatives
octroyées aux autorités religieuses en matière de
statut personnel.
“Dans les années 60, plusieurs mouvements laïcs revendiquent
l’instauration d’un code facultatif de statut personnel.
“Les années 70 voient naître le projet de loi du Parti démocrate
rédigé et élaboré par Mes Joseph Moughaizel
et Abdallah Lahoud. Ce projet est présenté à la Chambre
des députés par M. Auguste Bakhos, membre du Parti démocrate.
“En 1975, le Mouvement National présente un projet de statut personnel
facultatif, pilier de la réforme qu’il préparait pour la
laïcisation de l’Etat.
“Ajoutons à ces mouvements, les efforts déployés par
une majorité d’intellectuels libanais militant, sans relâche,
pour faire élaborer un projet de loi sur le mariage civil, encore
une fois, facultatif: il n’a jamais été question d’imposer
une loi obligatoire à laquelle se soumettraient toutes les communautés
libanaises.
“Récemment, le président de la République a présenté
au Conseil des ministres un projet de loi comportant tous les éléments
d’un statut personnel facultatif. C’est la première fois dans l’Histoire
du Liban, que le chef de l’Etat propose un tel projet.”
CONSOLIDATION DE L’UNITÉ NATIONALE
- Pourquoi avoir soulevé ce projet actuellement?
“Le président de la République doit avoir ses raisons. Il
a toujours eu le courage de ses convictions et a, de tout temps, fait preuve
d’une grande lucidité. Il est très probablement convaincu
que ce genre de statut personnel facultatif encouragerait le rapprochement
communautaire et la consolidation de l’unité nationale.”
- En quoi consiste le projet de loi présenté par le
président Hraoui?
“C’est un projet exhaustif regroupant tous les éléments et
tous les dispositifs d’un code de statut personnel allant des fiançailles
jusqu’à la succession, en passant par le mariage, la garde des enfants
et la pension alimentaire.”
- Comment définir le mariage civil et quelles en sont les
conditions de forme?
“Le mariage civil est un contrat entre deux parties (homme et femme), une
association de vie commune dans le but de former une famille. Il est célébré
par un officier d’Etat civil.
“Certaines conditions de forme doivent, cependant, être respectées:
les deux parties ne devraient pas être liées, chacune de son
côté, par un mariage antérieur et la publication des
bans doit se faire 15 jours à l’avance.”
- A qui s’adresse ce projet de mariage civil facultatif?
“Il s’adresse à toute personne désirant contracter un mariage
non soumis au régime religieux.
“Il ne faut pas oublier que l’article 9 de la Constitution libanaise prévoit
la liberté de croyance. Cette liberté est garantie par l’Etat
qui propose un projet facultatif et non obligatoire.
“Le chrétien ou le musulman fort de ses convictions religieuses
et voulant confirmer sa foi, ne le choisira probablement pas. Cependant,
les partisans du mariage civil considèrent qu’il est du devoir de
l’Etat libanais d’élaborer un code civil de statut personnel.
“En outre, le gouvernement libanais a mandaté, dans le passé,
les autorités religieuses pour légiférer dans le domaine
du statut personnel. Mais ce mandat ou, juridiquement parlant, cette délégation
de pouvoir n’est pas définitive et peut être reprise.”
QUELS SONT LES PROBLÈMES À RÉSOUDRE?
- Quels problèmes le mariage civil libanais prétend-il
résoudre?
“Certains problèmes sont d’ordre dogmatique. Une musulmane, à
titre d’exemple, ne peut pas épouser un chrétien. La charia
islamique l’interdit. Un musulman, par contre, peut épouser une
chrétienne.
“D’autres problèmes relèvent de l’héritage. Quand
l’un des deux époux est musulman et l’autre chrétien, si
l’un d’eux décède, le survivant n’est pas en mesure d’hériter.
“Le mariage civil évite de même la fraude à la loi
pratiquée par bon nombre de Libanais qui changent de rite ou de
communauté dans le seul but de se libérer de leur mariage.
Motif: on ne leur a pas donné la liberté de choisir. Appartenant
à telle ou telle communauté, ils sont, par le fait même,
soumis à un régime auquel ils ne croient pas et les contraint
à garder le lien conjugal.
“Bien que l’arrêté 60 LR permet aux conjoints de quitter ensemble
leur communauté d’origine pour adhérer à une autre
capable de résilier leur contrat, ce stratagème reste, à
mes yeux, une fraude à la loi.
“Par ailleurs, lorsque les époux contractent un mariage civil à
l’étranger, le juge libanais est obligé de les soumettre
à la loi étrangère. C’est une atteinte et une infraction
directe à la souveraineté juridique du Liban.”
- Selon certaines instances religieuses chrétiennes, le mariage
civil va à l’encontre du caractère sacramentel du mariage
religieux. Elles proposent donc la création d’une nouvelle communauté
pour non-croyants qui, seule, jouirait du code civil de statut personnel.
Qu’en pensez-vous?
“Choisir un régime de statut personnel ne signifie pas abandonner
son appartenance religieuse. Si un chrétien refuse de donner à
son mariage la couverture sacramentelle, il est libre de son choix. L’Eglise,
d’ailleurs, n’admettrait pas qu’il accepte le sacrement sans conviction.
Refuser la simulation ne serait pas renier sa relgion.
“Chaque jour dans les tribunaux ecclésiastiques, des dizaines de
couples demandent l’annulation de leur mariage. Ils ont joué le
jeu de la simulation et ne croient pas aux propriétés essentielles
du sacrement à savoir: l’indissolubilité, la fidélité
et la procréation des enfants.
“Par ailleurs, la création d’une nouvelle communauté ne se
pose même pas, puisque la couverture juridique et constitutionnelle
est présente (l’arrêté 60 LR, article 14, stipule la
création d’une communauté de droit commun régie par
la loi civile) et que l’appartenance religieuse restera inscrite au registre
de l’état civil.”
MARIAGE CIVIL ET CONTEXTE LIBANAIS
- Le projet de mariage civil tient-il compte du contexte libanais?
“Ceux qui contestent le mariage civil au Liban, prétendent que cette
institution détruira la famille. Or, ce projet a été
“libanisé”. Il comporte des dispositions très sévères
concernant les causes du divorce:
“Les époux doivent patienter trois ans après la célébration
du mariage, avant de pouvoir présenter une action en divorce, à
moins que le mariage soit vicié par l’existence d’une cause de nullité!
“Ils ne peuvent divorcer par consentement mutuel. Ces dispositions et garanties
sont prévues pour assurer la pérennité du mariage
et donner du sérieux au régime matrimonial civil.
“Le divorce est admis pour cause d’adultère. L’annulation du mariage
civil est, aussi, pratiquée pour erreur sur la personne, dol et
contrainte.
“Cependant, d’une façon générale, le divorce ou la
résiliation d’un contrat sont soumis à des conditions assez
sévères.
“Il n’est plus permis de croire que le mariage civil est un contrat à
terme, à durée limitée et peut être facilement
dissous. Ce contrat a pour but de constituer une vie à deux et de
former une famille.”
64% DES JEUNES FAVORABLES À UNE LOI SUR
LE STATUT PERSONNEL
- Que pensez-vous des déclarations rejetant, catégoriquement,
le mariage civil et la possibilité d’en débattre?
“Tout en respectant l’avis des autorités laïques ou religieuses
hostiles au mariage civil, je trouve inadmissible l’intransigeance de certains
discours interdisant toute discussion à ce sujet et enjoignant au
président de la République de retirer son projet.
“Comment peut-on prétendre empêcher les Libanais d’en débattre
et refuser de reconnaître l’état de fait actuel? D’après
un sondage publié dans “Nahar el-Chabab”, 64% des jeunes interrogés
sont en faveur de l’instauration d’une loi sur le statut personnel.
“Si le projet de loi présenté par le président de
la République passe du Conseil des ministres à la Chambre
des députés, un grand débat national sera institué.
“Dans un pays qui se veut démocrate, il est indispensable de laisser
les choses prendre leur cours juridique normal.
“En somme, le projet de mariage civil ne représente qu’un aspect
du statut personnel. Inspiré des traditions libanaises et adapté
au contexte local, il se veut facultatif et non obligatoire. Un tel projet,
ne mérite-t-il pas un débat national libre?
Mgr ELIAS RAHAL
“Le projet de loi instaurant le mariage civil au Liban ne peut concerner
les croyants, car il porte atteinte au caractère sacramentel du
mariage”
“Je propose, la création d’une dix-neuvième communauté
regroupant les non-croyants et régie, exclusivement, par un code
civil de statut personnel.”
En réponse aux appels réitérés réclamant
l’institution du mariage civil et tout en vouant un profond respect au
président de la République, Mgr Rahal se propose d’exposer,
clairement, la doctrine de l’Eglise concernant le concept du mariage, en
général et celui du mariage civil, en particulier. Cette
mise au point semble nécessaire pour dissiper toute confusion et
faire face aux partisans du mariage civil qui crient haut et fort la liberté
de conviction religieuse et la sauvegarde des droits de l’homme.
DU POINT DE VUE PUREMENT THÉOLOGIQUE
L’Eglise considère que l’institution matrimoniale revêt, contrairement
à toute autre institution, une double grâce divine: la grâce
naturelle issue de la création par Dieu de l’être humain.
“Il les a créés, mâle et femelle (Gen I,27) et Il leur
a donné le pouvoir de la procréation (Croissez, multipliez-vous
et remplissez la terre, Gen I, 28).
Vient s’ajouter la grâce surnaturelle, lorsque le Christ bénit
le mariage par sa présence à Cana de Galilée. Le mariage
naturel est, désormais, élevé au rang de sacrement
à travers lequel l’amour réciproque et l’union de deux êtres
sont identiques à l’union surnaturelle et inséparable du
Christ et de son Eglise.
“Aux pharisiens qui réclament le droit à l’homme de divorcer
de sa femme, le Christ réplique: “N’avez-vous pas lu qu’à
l’origine le Créateur les a fait homme et femme? Pour cela, l’homme
quittera son père et sa mère et vivra avec sa femme, car
ils seront tous deux une seule chair et ce que Dieu a uni l’homme ne pourra
le séparer.” (Math 19,6).
Il écarte, ainsi, toute possibilité à l’homme de répudier
sa femme et vice versa (St Marc X,11 et St Luc XVI,18).
Le lien matrimonial entre chrétiens est donc indissoluble tant que
les deux conjoints sont vivants. (St. Paul 1 Cor VII,10).
FONDEMENT JURIDIQUE DE L’ÉGLISE
A travers les temps, l’Eglise a fait face à différentes législations
civiles, païennes et romaines. Elle a, sans doute, subi l’influence
de l’Islam pour admettre, dans certains cas, l’annulation du mariage surtout
pour cause d’adultère.
“Cependant, au lendemain du Concile de Trente, l’Eglise occidentale s’est
pourvue d’une codification nette et claire définissant le caractère
sacramentel et l’indissolubilité du mariage chrétien. Cette
notion se répète dans les récents codes des Eglises
occidentale et orientale où il est stipulé qu’entre baptisés,
il ne peut exister de contrat matrimonial valide qui ne soit par le fait
même un sacrement (Can. 1055 du code occidental de 1983 et Can. 776
du code oriental de 1991).
Seuls sont valides, les mariages conclus suivant un rite sacré et
contractés devant l’ordinaire du lieu, l’évêque ou
le curé, ainsi qu’en présence de deux témoins (Can.
1108 code occidental et Can. 776 code oriental).
L’Eglise catholique permet le mariage d’un homme chrétien catholique
avec une femme de rite ou de religion différents, si certaines conditions
sont respectées: dispense de disparité de culte et éducation
des enfants selon le rite catholique.
Elle permet, également, le mariage d’une femme catholique avec un
homme de culte différent, pourvu que leur union soit célébrée
selon le rite catholique et que soient respectées les conditions
mentionnées.
L’Eglise reconnaît, toutefois, la légitimité du mariage
civil pour le non chrétien et celle du lien matrimonial dans les
communautés religieuses non chrétiennes.
La dissolution du mariage valide légitime, naturel ou sacramentel
est, quant à elle, bannie par la législation de l’Eglise.
“Le mariage conclu et consommé ne peut être dissous par aucune
puissance humaine, ni pour aucune raison, sauf la mort”. (Can. 1141 occidental
et 853 oriental).
NON AU DIVORCE, OUI À L’ANNULATION
L’Eglise ne tolère donc pas le divorce qui, selon elle, équivaudrait
à la dissolution d’un mariage valide et enfreindrait la loi divine.
Selon Mgr Rahal, le mariage civil qui ouvre la porte au divorce, ne vise
pas le bien-être de la société. Bien au contraire,
il mène à la perturbation et à la destruction de la
famille. La révolution française a voulu émanciper
les Français du joug de la loi religieuse qui interdisait le divorce.
Elle a, par conséquent, imposé le mariage civil qui a été
codifié par Napoléon.
Résultat? Nous constatons, actuellement, que le taux de divorce
augmente dramatiquement pour atteindre les 50% dans certaines régions
françaises.
Si nous revenons aux statistiques des tribunaux chrétiens au Liban,
nous constatons que le taux d’échec des mariages ne dépasse
pas les 5%.
La communauté grecque-catholique célèbre, chaque année,
plus de 2000 mariages et ne dénombre que 50 cas d’échec.
Que dire, alors, de la communauté maronite qui célèbre
trois fois plus de mariages avec seulement deux fois plus de cas d’échec?
On impute, souvent, au mariage religieux la rigidité et la fermeture.
Toutefois, si l’Eglise rejette le divorce, elle n’hésite pas à
reconnaître l’annulation de certains mariages “non valides”. Les
nouveaux codes de mariage des Eglises occidentale et orientale développent
et élargissent les causes d’annulation, à tel point que tout
cas d’échec de vie conjugale provoquerait l’annulation du mariage
par simple constat de défaut de consentement.
COMMENT JUSTIFIER LA NULLITÉ DU CONTRAT
MATRIMONIAL?
L’adultère peut, à titre d’exemple, justifier la nullité
du contrat matrimonial sous plusieurs chefs:
- La condition implicite posée par chacun des contractants d’observer
la fidélité conjugale toute la vie.
- La nullité pour erreur sur la personne. En contractant le mariage,
l’homme et la femme s’attendent à ce que leur conjoint jouisse d’une
qualité essentielle: la fidélité.
Or, l’adultère met en doute cette qualité.
- La nullité pour dol.
- La nullité pour cause psychique.
C’est le cas des personnes qui, pour des causes psychiques, sont incapables
d’assumer les obligations essentielles du mariage. Le tribunal religieux
recourt donc à l’avis d’un psychiatre. Si ce dernier est convaincu
de l’échec du mariage, il délivre un rapport en faveur de
l’annulation.
C’est dire combien de portes ouvertes et de solutions possibles sont offertes
aux couples dont le mariage périclite.
Par ailleurs, les tribunaux religieux sont souvent injustement accusés
de percevoir d’énormes sommes d’argent pour le jugement et les formalités
d’annulation. Or, les frais supportés par les intéressés
représentent, en grande partie, les indemnités et la pension
alimentaire octroyées à la femme; elles atteignent un minimum
de 30.000 dollars et un maximum de 300.000 dollars.
LE MARIAGE CIVIL AU LIBAN
Proposé comme projet de loi par le Parti démocrate libanais
depuis des dizaines d’années et, récemment, par le président
de la République, le mariage civil peut être défini
comme suit:
“C’est un contrat juridique et solennel, par lequel un homme et une femme
s’unissent pour constituer une vie commune et stable entre eux” (Le Parti
démocrate).
Selon l’article 3 du projet de loi proposé par le président
Hraoui: “Le mariage est un contrat ayant pour but de constituer une vie
commune et stable entre un homme et une femme.”
Ce projet de loi, malgré les multiples raisons évoquées
dans l’exposé des motifs, est rejeté par la quasi-majorité
des communautés religieuses musulmanes et chrétiennes du
Liban. Il porte atteinte aux droits de Dieu sur le mariage par rapport
aux musulmans et aux droits du Christ qui a prodigué au mariage
naturel un caractère sacramentel. Le mariage entre chrétiens
n’est plus conclu à deux mais à trois: l’homme, la femme
et le Christ, garant éternel de cette union par la grâce du
Saint-Esprit.
Si nous opérons une rétrospective historique sur les mariages
contractés au Liban dans le passé lointain, nous constatons
qu’ils étaient régis par différents statuts personnels,
avec interférence de compétence civile assez fréquente.
C’est en 1936, sous le mandat français, que le haut commissaire,
C. de Martel, promulgue l’arrêté 60 LR reconnaissant, officiellement,
les communautés confessionnelles libanaises et le droit à
chacune d’elles de constituer un statut personnel au triple plan législatif,
administratif et judiciaire.
Cet arrêté a été qualifié de “régime
fermé”, du moment qu’il imposait aux citoyens libanais une appartenance
obligatoire à leur communauté confessionnelle de par leur
naissance et leur mariage.
Soucieux de sauvegarder le droit à la liberté de conviction
garantie par la charte des Nations Unies et l’article 9 de la Constitution
libanaise, l’arrêté 60 LR soumet à la loi civile les
Libanais n’appartenant à aucune des communautés religieuses
reconnues et ceux adhérant à la communauté de droit
commun.
Mgr Rahal voit de bon œil l’application de ce projet de loi libanais, au
lieu “d’importer” un statut personnel étranger. Il serait donc pour
l’instauration du mariage civil, mais sous certaines réserves.
Il a bien voulu nous exposer le projet de loi que lui-même propose
et dans lequel il énumère les raisons d’être du mariage
civil, ainsi que les conditions de son adoption.
PROJET DE LOI-SOLUTION
Pour préserver la liberté de conviction religieuse de tous
les Libanais,
pour éviter aux membres des communautés confessionnelles
de changer de rite ou de religion; dans le but de résoudre les problèmes
que pose leur mariage (l’article 23 de l’arrêté 60 LR),
pour éviter à tous les Libanais, sans distinction, de recourir
aux législations étrangères à l’effet de contracter
un mariage civil,
pour tranquilliser les différentes autorités religieuses
jalouses de leur influence sur les membres de leur communauté,
et pour faciliter la vie des citoyens et la tâche des gens du Barreau
qui souffrent de la complexité et de la diversité des statuts
personnels au Liban,
je propose à son Excellence le président de la République
de faire élaborer un statut personnel civil qui régirait
les différentes étapes de vie d’une nouvelle communauté
libanaise.
Cette dix-neuvième communauté engloberait les Libanais non-croyants,
athées, déistes et théistes, ainsi que ceux n’appartenant
à aucune des communautés confessionnelles reconnues.
Les membres des trois communautés religieuses monothéistes,
selon l’expression du Vatican II auront, quant à eux, le droit d’adhérer
à cette dix-neuvième communauté, par respect des libertés
de convictions religieuses, mais devront se conformer aux deux conditions
sine qua non suivantes:
1) Le Libanais qui réclame le droit de contracter un mariage civil,
doit se désister, officiellement, de sa religion primitive, étant
donné que la double appartenance est interdite et constitue une
fraude à la loi.
2) La double appartenance étant interdite, il n’est de même
pas permis après avoir contracté un mariage civil, de rebrousser
chemin et d’implorer une nouvelle incardination dans une communauté
religieuse déterminée.
Dans le cas où le projet de loi sur le mariage civil n’est pas adopté
par le parlement, Mgr Rahal propose une solution de rechange:
Offrir la possibilité aux Libanais désireux de contracter
un mariage civil, de le faire dans les ambassades étrangères
établies au Liban, celles-ci étant considérées
sur le plan juridique comme un territoire relevant du pays qu’elles représentent.
En un mot, Mgr Rahal rejette le mariage civil, parce que dépourvu
du caractère sacramentel. Il le tolère, uniquement, pour
les non-croyants et sous conditions. Il propose comme solution la création
d’une dix-neuvième communauté groupant les non-croyants.
Dans le cas où le projet de mariage civil est rejeté par
le parlement, il suggère d’autoriser la conclusion du mariage civil
au Liban, même dans une ambassade étrangère selon la
notion d’extra-territorialité!
Le mufti Kabbani
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L’imam Chamseddine.
|
Cheikh Fadlallah.
|
LES PRISES DE POSITION
DES CHEFS SPIRITUELS
DES COMMUNAUTÉS MAHOMÉTANES
La réaction des chefs spirituels musulmans au projet de mariage
civil a été largement diffusée par les mass media.
Nous citons, en particulier, les déclarations des autorités
religieuses sunnites et chiites.
Le mufti de la République, cheikh Mohamed Kabbani adopte une
position ferme refusant, systématiquement, le projet de mariage
civil, même facultatif, pour les musulmans. Selon lui, “un musulman
ne peut appliquer la règle d’un tel mariage sur sa personne et sur
ses fils.”
L’imam Mohamed Mahdi Chamseddine, président du Conseil Supérieur
chiite, après avoir rappelé que le régime matrimonial
musulman est proche du mariage civil, considère que “la législation
libanaise ne doit pas permettre l’institution d’une telle union maritale
sans l’approbation des institutions religieuses.”
Le mufti du Liban-Nord, cheikh Taha Sabounji a, pour sa part, souligné
que “le mariage civil signifie la chute du système familial et des
valeurs familiales. Il est, de plus, totalement en contradiction avec les
principes de l’Islam et la Constitution libanaise qui garantit la protection
des croyances.”
Cheikh Mohamed Hussein Fadlallah considère, quant à lui,
“qu’aucun problème de fond n’empêche la concrétisation
d’un tel projet.”
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QUELQUES CONCEPTS DE MARIAGE
Après avoir mis en évidence deux positions divergentes
relatives au concept du mariage civil, nous jugeons utile de passer en
revue les différentes institutions de mariage pratiquées
en Europe et au Liban.
Mariage catholique
L’Eglise catholique considère le mariage comme un acte religieux.
Pour elle comme pour les Eglises orientales, le mariage est un sacrement
un lien sacré, distinct d’un contrat civil.
De son point de vue, l’union intime de l’homme et de la femme est confortée
par une grâce qui est l’image et le symbole de l’alliance unissant
le Christ et l’Eglise. Cette union ne peut être célébrée
que par un prêtre.
Il s’agit d’un lien indissoluble qui n’autorise pas le divorce.
Mais, actuellement, le nouveau code de l’Eglise occidentale, aussi bien
qu’orientale, développe et élargit les causes d’annulation,
offrant ainsi des solutions possibles aux nombreux cas d’échecs
de vie conjugale.
Mariage protestant
Le mariage protestant n’est pas un sacrement, mais un acte de responsabilité.
La cérémonie religieuse manifeste que cet engagement libre
des époux est pris devant Dieu. L’Eglise leur annonce la parole
de Dieu qui bénit leur union et leur donne l’occasion de témoigner
de leur foi au sein de la communauté réunie.
Tout en enseignant l’indissolubilité du mariage, l’Eglise protestante
se refuse le pouvoir de limiter juridiquement le pardon de Dieu et sa grâce.
Elle refuse de condamner ceux qui, reconnaissant loyalement leur échec,
désirent un commencement nouveau.
Une “Commission de remariage” est constituée à cet effet.
Mariage musulman
Dans l’Islam, le mariage est un contrat basé sur le libre consentement
des deux parties. Il a comme fondement l’amour et la compassion que Dieu
a infusés dans le cœur de l’homme et de la femme, afin qu’ils forment
un couple. (Verset du Coran nÞ21 Sourate 30)
Un musulman peut épouser une non-musulmane. Mais une musulmane
ne peut épouser un non-musulman.
L’Islam autorise la polygamie et permet le divorce par décision
unilatérale ou bilatérale.
Mariage civil
Le mariage civil est un contrat qui intervient entre les futurs époux.
C’est un acte civil et solennel qui confère une légitimité
à leur union.
Ce contrat constitue, en même temps, un véritable statut
pécuniaire de l’association conjugale.
Le mariage civil est une célébration publique qui se fait
à la mairie, en présence de l’officier de l’état civil.
Institué en France par la loi du 20-9-1792, il doit précéder
la célébration du mariage religieux, sinon celui-ci est de
“nul effet” du point de vue “droit civil”.
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