QUALIFIANT LA SITUATION ÉCONOMICO-FINANCIÈRE DE “PARTICULIÈREMENT DÉLICATE” GEBRANE TOK:
“IL FAUT CONSTITUER UN NOUVEAU GOUVERNEMENT APTE À RÉPONDRE AUX IMPÉRATIFS DE L’HEURE”

 
Gebrane Tok  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

Lhomme est connu autant pour sa pondération que pour sa compétence en matière économico-financière. De plus, il a opté pour la transparence dans son action politique, d’où la clarté qui caractérise son analyse des faits et des événements et ses réponses à toutes les questions qu’on lui pose. 
De l’état de la sécurité dans la région de Baalbeck à la politique d’emprunt, en passant par les pérégrinations du Premier ministre et le budget 98 qui a été au centre d’une vive controverse au parlement, M. Gebrane Tok, député de Bécharré, ne mâche pas ses mots et dit avec une franchise parfois brutale son point de vue. 

HOMMAGE À L’ARMÉE 
Tout d’abord, il se réjouit du rétablissement de l’ordre et de la stabilité dans la région de Baalbeck, tout en déplorant les pertes en vies humaines parmi les militaires et les civils. 
“On peut dire, observe-t-il, que l’Armée libanaise s’est comportée avec sagesse et fermeté à la fois. Ceci a permis à l’Etat de faire respecter la loi et d’instaurer la justice. Aussi, doit-on féliciter le commandement militaire pour avoir exécuté la consigne du Pouvoir et mis fin à la rébellion. Je réitère mes regrets pour le sang versé à Aïn Bourday.” 
- Qu’est-il advenu des 150 milliards promis à la région de Baalbeck? 
“Je crois que le gouvernement est déterminé à se pencher sur les régions sous-développées: la Békaa, le Akkar et d’autres encore, car l’accord de Taëf fait état d’un développement équilibré. Naturellement, il faudrait en assurer l’application dans son esprit et sa lettre. 
“De toute manière, la conjoncture est délicate et il est impérieux de consolider notre front intérieur, car nous nous trouvons à une croisée de chemins, nécessitant une parfaite coordination avec la Syrie dans l’intérêt mutuel des deux pays.” 
- Vous avez parlé d’une conjoncture délicate; à quoi faites-vous allusion? 
“La situation qui a prévalu au cours des derniers mois dans la Békaa-nord, se répercutait, négativement, sur la sécurité intérieure et la paix civile, d’autant que notre situation économico-financière laisse à désirer. Il importe de consolider cette situation dont la normalisation est à la base de notre unité nationale, en ne perdant pas de vue les machinations de l’Etat hébreu qui a intérêt à faire perpétuer l’instabilité dans le voisinage. 
“Ce qui se passe dans le nord de l’Irak et le Golfe, doit nous inciter à plus de vigilance.” 

LE CHANGEMENT DE CABINET, NÉCESSAIRE 
- Etes-vous pour un changement de gouvernement? 
“Les circonstances actuelles exigent un Cabinet de politiciens connus pour leur compétence, leur probité et leur longueur de vue. Ceci suppose un gouvernement représentatif de toutes les tendances, apte à se pencher sur les problèmes auxquels le pays est confronté dans tous les domaines et, surtout, à leur trouver les solutions adéquates. 
“Si le Cabinet ne peut résoudre les questions dépassant ses possibilités, qu’il s’occupe au moins des problèmes intéressant les citoyens dans leur vie quotidienne.” 
- A votre avis, cheikh Soubhi Toufayli sera-t-il arrêté et déféré en justice? 
“L’affaire est entre les mains de la Cour de justice, la plus haute instance judiciaire qui la traite avec le sérieux qui s’impose.” 
- Pouvons-nous avoir votre opinion à propos du budget 98 et le gouvernement est-il en mesure de maintenir le déficit budgétaire autour 37 pour cent, comme il l’a promis? 
“Depuis 1993, date de formation du premier Cabinet haririen, le déficit du budget dépasse les prévisions de la loi de finances. 
“En ce qui concerne le budget de l’année courante, bien des tares l’affectent et il surcharge le citoyen, car l’Etat se soucie d’accroître les rentrées du Trésor pour réduire, justement, ce déficit.” 

DÉFICIT BUDGÉTAIRE ET DETTE PUBLIQUE 
- Les recettes ont enregistré un surplus de l’ordre de 80% l’année dernière... 
“Oui, mais les dépenses ont augmenté dans une forte proportion, alors que la dette publique ne cesse de s’amplifier, ce qui porte la proportion du déficit au-delà de 95%, selon les dernières statistiques du ministère des Finances et de la Banque du Liban.” 
- Quel est l’impact de cet état de choses sur la dette publique? 
“La hausse du déficit a entraîné une augmentation de la dette publique, les dépenses ayant excédé de loin le produit national. 
“La dette intérieure a augmenté, l’année dernière, de 2,6 milliards de dollars US, portant la proportion à près de 31 pour cent, alors que la dette extérieure a augmenté de 600 millions de dollars, soit dans une proportion de 34,3% la totalité de la dette publique (intérieure et extérieure) s’étant élevée à 14,3 milliards. L’accroissement était de 4 milliards de dollars par rapport à la proportion de la dette publique en 1996, soit une proportion de 39 pour cent.” 

RESSOURCES FINANCIÈRES 
- Quelle est donc la solution? 
“Cela suppose la recherche de nouvelles ressources financières, autres que les impôts et taxes pour couvrir les dépenses. 
“Le chiffre global du budget 98 se monte à 7.900 milliards de livres, le déficit se situant autour de 40%. On en déduit que le gouvernement évalue les rentrées globales en 1998 à 3,750 milliards de dollars, le déficit budgétaire devant régresser jusqu’à 1,4 milliards à la fin de l’année. A ce chiffre, il faudra ajouter la dette publique qui atteindra 15,7 milliards de dollars. 
“Ceci laisse craindre une baisse dans le volume des services et les prestations sociales. Les chiffres portent donc au pessimisme.” 
- Comment jugez-vous les planificateurs de la politique économique? 
“Cette politique suscite des critiques, car elle ne peut conduire le pays sur la voie d’une économie saine; au contraire, elle accroîtra la perturbation au double plan économique et financier. 
“Je suis opposé à ceux qui prônent une telle politique et j’appelle à sa rectification avant que le temple s’effondre sur nos têtes.” 

LE “DÉPÔT” SÉOUDIEN 
- Qu’auriez-vous à dire au sujet du “dépôt” séoudien? 
“Quiconque observe l’évolution de la situation, détecte une détermination à ne pas laisser ce pays faire marche arrière. Cela apparaît, clairement, à travers le dépôt séoudien, qui ne sera pas le dernier geste de la part du royaume envers le Liban. 
“Puis, les transferts de fonds opérés par les Libanais de l’étranger constituent un apport à ne pas dédaigner. Il y a lieu d’indiquer que le mouvement des capitaux a atteint sept milliards de dollars US en 1997, ce qui a permis de réaliser un excédent appréciable dans la balance commerciale.” 
- La crise sociale est-elle aussi grave que d’aucuns le disent? 
“C’est une réalité palpable dont pâtit le contribuable libanais, à l’ombre d’une crise économique étouffante, à tel point que la situation s’engage à présent dans une courbe descendante. 
“Ceci est dû au marasme économique et à la régression du développement jusqu’à 8 pour cent en 1994, cette proportion ayant atteint 6,5% en 1995; 4% en 1996 et moins que 3 pour cent aujourd’hui.” 

MUNICIPALES ET CONJONCTURE RÉGIONALE 
- Les élections municipales auront-elles lieu dans le délai prévu? 
“Ce qui se passe dans la région pourrait créer un climat de nature à renverser tous les comptes de fond en comble. Si d’impor-tants développements ne se produisaient pas dans les mois à venir, les élections municipales et les autres échéances interviendraient dans les délais fixés par le gouvernement.” 
- Sommes-nous en état de faire face à de tels développements et de les dépasser? 
“Les problèmes intérieurs deviennent dérisoires face à des problèmes bien plus grands auxquels nous pourrions être confrontés. D’aucuns pensent que la frappe militaire dont était menacé l’Irak, pourrait ne pas avoir pour but de détruire les armes de destruction massive, mais de viser la région dans son ensemble, dans l’intention d’en modifier la carte; ce qui pourrait se répercuter sur bien des Etats. Le pacte turco-israélo-américain figure en tête des plans élaborés à cet effet. 
“Ceci doit nous inciter à plus de cohésion interne, de coordination avec la Syrie et de solidarité interarabe, aux fins de faire face à toutes les éventualités au double plan politique et sécuritaire. 
“Nous sommes tous appelés à plus de sagesse, de vigilance et d’éveil national. Cependant, je crois et suis persuadé que les Etats-Unis continueront à dominer la situation et à la contrôler, en dépit du vent de pessimisme qui obscurcit l’horizon. 
“Quoique l’image soit sombre en ce moment, j’insiste sur la nécessité de consolider le front intérieur, en assainissant le climat socio-économique qui, de toute évidence, laisse à désirer.” 

Propos recueillis par JOSEPH MELKANE

Home
Home