Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

Parmi les leaders de la planète avec lesquels Chirac s’est concerté, au cours de la récente crise du Golfe, figure en bonne place notre Premier ministre. C’est à la fois surprenant et flatteur.
Surprenant, parce que c’est bien la première fois que quelqu’un songe à nous consulter sur quelque chose. N’avons-nous pas toujours été à la traîne des pays arabes? Ne sommes-nous pas considérés, dans la région, comme un insignifiant et-cetera? Flatteur, parce que, ainsi catapultés hors de notre insignifiance, nous nous retrouvons au rang de ceux dont les avis comptent.
Au jeu de la vérité la question serait: si le président de la république française n’avait pas été Jacques Chirac et si Rafic Hariri n’avait pas occupé le fauteuil de Premier ministre du Liban, aurions-nous été consultés? Personnellement, j’en doute. D’autant plus que nous n’avons jamais vu le président Mitterrand se précipiter au téléphone pour appeler Salim Hoss ou solliciter l’avis de Omar Karamé.
Cela signifie quoi, au juste? Cela signifie - qu’on le veuille ou pas - que Rafic Hariri jouit d’un prestige international que peu de nos dirigeants (pour ne pas dire aucun) ont eu avant lui et cela, forcément, rejaillit sur nous tous. Ce dont d’ailleurs nous lui sommes reconnaissants. Nous l’aurions été bien davantage si ce crédit et  ce prestige s’étaient étendus au plan local et si le fermier du Kesrouan, le paysan de la Békaa, le déplacé du Chouf, l’ouvrier, l’employé, le smicard, le crève-la-faim du Akkar avaient pu bénéficier de cet état de grâce dans lequel baigne notre Premier ministre en dehors des frontières de son pays.
Inutile de remettre sur le tapis la crise socio-économique et ses retombées catastrophiques sur le pays et sa population. Mais on ne peut s’empêcher de penser que cette crise semble être le cadet des soucis du chef du gouvernement. Etat d’esprit qu’illustre le retrait du projet de l’échelle des salaires du bureau de la Chambre des députés pour le remettre (probablement en question) en conseil des ministres.
Mieux ou pis encore, harcelé par l’opposition, attaqué sur tous les fronts par ses concurrents (à la 3ème présidence), désavoué par l’opinion publique, “croc-en-jambé” (si j’ose me permettre ce néologisme) par les deux tiers d’une troïka qui n’en finit pas de mourir, taraudé par une dette publique qui tourne à l’apocalypse, le président Hariri semble avoir opté pour la fuite en avant. En effet, refoulant tous ces problèmes en marge de ses préoccupations, le voilà qui consacre temps et énergie à une véritable frénésie de consultations tous azimuts destinées à déboucher sur... sur quoi au juste, on se le demande.
Est-il, sous l’impulsion des décideurs, en train de virer de bord et s’apprête-t-il à prendre le train en marche (comme il a su si bien le faire à ses débuts) pour garder au chaud une place qui a fait de lui - à travers un parcours ultra-rapide et quasi miraculeux - un des principaux décideurs sur la scène locale et un leader politique de première grandeur? Ou bien toutes ces manœuvres ne tendent-elles qu’à faire face aux présidentielles programmées dans moins de sept mois?
A en croire les rumeurs qui circulent dans certains milieux politiques réputés bien informés, ces présidentielles ne sont pas encore jouées. On laisse entendre que, en dépit des violentes dénégations du principal intéressé, l’éventualité d’une prolongation - voire d’un renouvellement - du  mandat  du président Hraoui n’est pas du tout à écarter. Dans ce cas, ajoute-t-on, le maintien de Hariri à la tête du gouvernement  serait des plus aléatoires vu qu’Elias Hraoui accepterait difficilement de faire équipe avec son actuel Premier ministre trois ou six ans de plus. Sans compter Nabih Berri qui risquerait, pour le moins, une rupture d’anévrisme.
Mais tous ces scénarios ne sont que “supputations délirantes de journalistes”, selon l’expression consacrée de nos hommes politiques. Rien, à l’heure actuelle, ne permet d’étayer ou d’infirmer telle thèse ou telle autre. C’est une navigation au jugé, à travers une purée de pois où tout semble se diluer, dans un brouillard que la situation internationale et, par contre-coup, les intentions des grands décideurs épaississent de jour en jour.
En un mot, il faudrait être doué d’une tête chercheuse pour savoir ce qui motive cette course contre la montre à laquelle M. Rafic Hariri se livre actuellement. Est-il à la recherche du temps perdu? Procède-t-il à une sorte d’agiornamento ou bien serait-ce là les premiers pas (à moins que ce ne soient les derniers) vers un  dépôt de bilan? Seul l’avenir - s’il nous est donné d’en avoir un - nous le dira.
* Titre de l’œuvre de Marcel Proust.

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