Mercantilisme
contre intellectualisme, popculture contre génie créateur,
exception culturelle et perfectibilité, contre médiocratie.
Voici relancée une bataille tous azimuts entre deux systèmes
de penser, deux modes de vie opposés. Pour les Américains,
la culture est une industrie comme toutes les autres, soumise aux seules
lois du marché, jouissant de toutes les facilités du libre-échangisme.
“Une machine à raboter les cultures”, dira l’ancien ministre de
la culture Jacques Lang, capable de ravaler la créativité
au rang de produit”.
A l’orée du troisième millénaire, l’impérialisme
Yankee domine la planète, il le doit autant à sa suprématie
militaire et économique qu’à sa production massive de produits
soit-disant culturels, films, médias, musiques, séries télévisées,
vides de tout contenu, pour ne citer que ces médiocrités
fin de siècle.
La menace de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI)
est loin d’être dissipée. La guerre entre le tout-Etat culturel
à la française et la “popculture” à l’américaine,
date de l’époque d’après-guerre où la France affrontait
une des pires étapes de son histoire. Léon Blum, alors chef
du gouvernement provisoire, signait à contre cœur, un accord financier,
avec les Etats-Unis. De grands inconvénients surgirent, bloquant
les pourparlers entre les deux partenaires au sujet de l’importation par
la France de films américains et de coca-cola, deux produits emblématiques
du mode de vie américain. Depuis, le conflit entre les deux cultures
va crescendo; il n’a guère changé de nature.
C’est toujours au nom de la libre circulation, de l’information et
de la diffusion des images, que les Etats-Unis exploitent le marché
mondial pour imposer leur “modus vivendi”, rien que pour mettre en échec,
toute tentative de perfectionnisme français, toute expansion culturelle,
toute forme de créativité dont la France est, depuis un âge
lointain, le porte-étendard et le chef-lieu par excellence.
Les Américains accusent les Français d’élitisme,
en prônant haut et fort la culture populaire de masse. Les Français
considèrent la production américaine comme un ragoût
indigeste, un patchwork incohérent. Ils voient dans leurs concurrents,
des apôtres inlassables d’un “salmigondis” planétaire inconcevable
qui, dans le meilleur des cas, arase la diversité française
et dans le pire débouche sur un “Tchernobyl” culturel dont, à
tous prix, il faudrait éviter l’effet délétère.
***
Toutefois, les intellectuels des deux camps, se veulent conciliants.
Le philosophe français, Alain Filkielkraut, dans un livre sensationnel,
“La défaite de la Pensée”, a marqué le grand écart
entre les deux cultures. “La barbarie dit-il, a fini par s’emparer de la
méritocratie”. En effet, c’est l’industrie des loisirs, dernier
avorton de l’âge technologique qui l’emporte sur les œuvres de l’esprit,
les réduisant à l’état de pacotille, ou au dire des
Américains, à “l’entertainment”.
Et Ezra Suleiman, professeur de Sciences Po. à l’Université
de Princeton de rétorquer: “Pour nous Américains, il y a,
high culture et low culture”, sans plus. Et sur un ton non moins grave,
il dira personne ne conteste à la France son patrimoine culturel,
même s’il ne touche qu’un petit nombre de personnes, tandis que la
culture de masse, celle qui met les biens culturels à la portée
du plus grand nombre, la France ne compte pas”. Erreur flagrante d’appréciation.
Quantitatif contre qualitatif, deux conceptions différentes de la
culture, deux mondes distincts et distants, se disputant une certaine primauté.
En revendiquant le leadership de la culture populaire, l’Amérique
le fait dans un but purement lucratif et ce, pour la plus grande gloire
des producteurs et distributeurs qui manipulent à travers la planète
une marchandise dont la promotion s’avère de plus en plus ingrate.
La France, fière de son patrimoine culturel, voit la culture indissociable
de son identité et de sa survie. Pour elle et pour ceux qui constituent
l’univers francophone, c’est l’industrie culturelle, de l’immatériel,
qui façonne et détermine les valeurs immenses de l’esprit,
engendrant autant de bénéfices que toute autre industrie.
Hachette, Gallimard, Lafont et Larousse pour ne citer que ceux-là,
passent bien avant Pathe, Gaumont, UGC et CNN qui sont les poids - plumes
par rapport aux premières.
L’espace nous l’eût-il permis, que l’énumération
aurait été plus nourrie.
A l’heure où la montée de la violence et de la sexualité
à l’écran atteint un niveau insoutenable, la France saura
produire des nourritures de qualité pour l’esprit; elle saura, surtout,
comment éviter la banalisation sous toutes ses formes et faire respecter
ses spécificités et ses différences à tous
les niveaux. C’est sa vocation.
A l’heure où le culte de la fausse réussite, de la monopolisation
fait son chemin dans le monde, l’Europe culturelle, la France en tête,
défendent avec acharnement leur diversité et leur droit à
la différence.
Désormais, un combat se livre contre la banalisation rampante.
Puisse la France et, à travers elle, l’Union européenne,
faire triompher ses idéaux, pour l’honneur de la culture et sa pérennité.
Paraphrasant le général De Gaulle: “contre les menaces
et les affres de la concurrence américaine, il n’y a pas de rempart
plus solide que la solidarité européenne, c’est une nécessité
pour l’équilibre mondial. Il faut que l’Europe sache, qu’au delà
de l’adhésion politico-économique et sociale, il y a aussi
et surtout, la diversité culturelle des peuples: contre elle, toutes
les salves ne sont pas encore tirées. La dernière viendra
sûrement d’outre-Atlantique.»
N’en déplaise aux tartarins de la “culture unique”, les Français,
conservateurs comme il se doit, ne vont pas sacrifier leur patrimoine culturel,
apanage de toute une civilisation, leur politique européenne, leurs
relations séculaires avec le Tiers-monde au caprice de la mythologie
américaine. On ne peut pas imposer une hégémonie,
quelles qu’en soient les raisons, au reste du monde. A l’heure de vérité,
la France ne se trouvera pas seule face à l’assaut supersonique
des Etats-Unis, ses copinages et son fatras. La communauté francophone
est là pour défendre ses propres et incommensurables valeurs
séculaires et former ses propres bataillons. |
“Au nom de la libre circulation de l’information et de la
diffusion des images, l’Amérique tient à la fois à
faire connaître son mode de vie, ses valeurs et briser le perfectionnisme
du génie français.”
IRWIN WALL
(Professeur à l’Université de Riverside “l’Influence
américaine en France”)
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