Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

FRANCE-ÉTATS-UNIS: CONFLIT DE CIVILISATIONS

Mercantilisme contre intellectualisme, popculture contre génie créateur, exception culturelle et perfectibilité, contre médiocratie. Voici relancée une bataille tous azimuts entre deux systèmes de penser, deux modes de vie opposés. Pour les Américains, la culture est une industrie comme toutes les autres, soumise aux seules lois du marché, jouissant de toutes les facilités du libre-échangisme. “Une machine à raboter les cultures”, dira l’ancien ministre de la culture Jacques Lang, capable de ravaler la créativité au rang de produit”. 
A l’orée du troisième millénaire, l’impérialisme Yankee domine la planète, il le doit autant à sa suprématie militaire et économique qu’à sa production massive de produits soit-disant culturels, films, médias, musiques, séries télévisées, vides de tout contenu, pour ne citer que ces médiocrités fin de siècle. 
La menace de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) est loin d’être dissipée. La guerre entre le tout-Etat culturel à la française et la “popculture” à l’américaine, date de l’époque d’après-guerre où la France affrontait une des pires étapes de son histoire. Léon Blum, alors chef du gouvernement provisoire, signait à contre cœur, un accord financier, avec les Etats-Unis. De grands inconvénients surgirent, bloquant les pourparlers entre les deux partenaires au sujet de l’importation par la France de films américains et de coca-cola, deux produits emblématiques du mode de vie américain. Depuis, le conflit entre les deux cultures va crescendo; il n’a guère changé de nature. 
C’est toujours au nom de la libre circulation, de l’information et de la diffusion des images, que les Etats-Unis exploitent le marché mondial pour imposer leur “modus vivendi”, rien que pour mettre en échec, toute tentative de perfectionnisme français, toute expansion culturelle, toute forme de créativité dont la France est, depuis un âge lointain, le porte-étendard et le chef-lieu par excellence. 
Les Américains accusent les Français d’élitisme, en prônant haut et fort la culture populaire de masse. Les Français considèrent la production américaine comme un ragoût indigeste, un patchwork incohérent. Ils voient dans leurs concurrents, des apôtres inlassables d’un “salmigondis” planétaire inconcevable qui, dans le meilleur des cas, arase la diversité française et dans le pire débouche sur un “Tchernobyl” culturel dont, à tous prix, il faudrait éviter l’effet délétère. 
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Toutefois, les intellectuels des deux camps, se veulent conciliants. Le philosophe français, Alain Filkielkraut, dans un livre sensationnel, “La défaite de la Pensée”, a marqué le grand écart entre les deux cultures. “La barbarie dit-il, a fini par s’emparer de la méritocratie”. En effet, c’est l’industrie des loisirs, dernier avorton de l’âge technologique qui l’emporte sur les œuvres de l’esprit, les réduisant à l’état de pacotille, ou au dire des Américains, à “l’entertainment”. 
Et Ezra Suleiman, professeur de Sciences Po. à l’Université de Princeton de rétorquer: “Pour nous Américains, il y a, high culture et low culture”, sans plus. Et sur un ton non moins grave, il dira personne ne conteste à la France son patrimoine culturel, même s’il ne touche qu’un petit nombre de personnes, tandis que la culture de masse, celle qui met les biens culturels à la portée du plus grand nombre, la France ne compte pas”. Erreur flagrante d’appréciation. Quantitatif contre qualitatif, deux conceptions différentes de la culture, deux mondes distincts et distants, se disputant une certaine primauté. 
En revendiquant le leadership de la culture populaire, l’Amérique le fait dans un but purement lucratif et ce, pour la plus grande gloire des producteurs et distributeurs qui manipulent à travers la planète une marchandise dont la promotion s’avère de plus en plus ingrate. La France, fière de son patrimoine culturel, voit la culture indissociable de son identité et de sa survie. Pour elle et pour ceux qui constituent l’univers francophone, c’est l’industrie culturelle, de l’immatériel, qui façonne et détermine les valeurs immenses de l’esprit, engendrant autant de bénéfices que toute autre industrie. Hachette, Gallimard, Lafont et Larousse pour ne citer que ceux-là, passent bien avant Pathe, Gaumont, UGC et CNN qui sont les poids - plumes par rapport aux premières. 
L’espace nous l’eût-il permis, que l’énumération aurait été plus nourrie. 
A l’heure où la montée de la violence et de la sexualité à l’écran atteint un niveau insoutenable, la France saura produire des nourritures de qualité pour l’esprit; elle saura, surtout, comment éviter la banalisation sous toutes ses formes et faire respecter ses spécificités et ses différences à tous les niveaux. C’est sa vocation. 
A l’heure où le culte de la fausse réussite, de la monopolisation fait son chemin dans le monde, l’Europe culturelle, la France en tête, défendent avec acharnement leur diversité et leur droit à la différence. 
Désormais, un combat se livre contre la banalisation rampante. Puisse la France et, à travers elle, l’Union européenne, faire triompher ses idéaux, pour l’honneur de la culture et sa pérennité. 
Paraphrasant le général De Gaulle: “contre les menaces et les affres de la concurrence américaine, il n’y a pas de rempart plus solide que la solidarité européenne, c’est une nécessité pour l’équilibre mondial. Il faut que l’Europe sache, qu’au delà de l’adhésion politico-économique et sociale, il y a aussi et surtout, la diversité culturelle des peuples: contre elle, toutes les salves ne sont pas encore tirées. La dernière viendra sûrement d’outre-Atlantique.» 
N’en déplaise aux tartarins de la “culture unique”, les Français, conservateurs comme il se doit, ne vont pas sacrifier leur patrimoine culturel, apanage de toute une civilisation, leur politique européenne, leurs relations séculaires avec le Tiers-monde au caprice de la mythologie américaine. On ne peut pas imposer une hégémonie, quelles qu’en soient les raisons, au reste du monde. A l’heure de vérité, la France ne se trouvera pas seule face à l’assaut supersonique des Etats-Unis, ses copinages et son fatras. La communauté francophone est là pour défendre ses propres et incommensurables valeurs séculaires et former ses propres bataillons. 

 
 “Au nom de la libre circulation de l’information et de la diffusion des images, l’Amérique tient à la fois à faire connaître son mode de vie, ses valeurs et briser le perfectionnisme du génie français.” 

IRWIN WALL 
(Professeur à l’Université  de Riverside “l’Influence américaine en France”) 
 

 

  

 


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