Entretien avec M. Larbi Belarbi, directeur de la deuxième chaîne Marocaine 2M.
Quelle est la politique d’avenir de 2M ?
2M est passé du stade d’une chaîne privée et cryptée, à une chaîne contrôlée par l’Etat à 70%. Elle est passée en clair à partir de janvier 1998. Nous perdions beaucoup d’argent, car il était très difficile de réussir les cryptages ; l’Etat a donc décidé, en 1996, de sauver 2M en prenant 70% du capital pour les rétrocéder par la suite au secteur privé après la restructuration de la compagnie. Nous atteindrons nos objectifs dans un an et demi et sommes passés d’une perte annuelle de 70 milliards de dirhams à une amélioration. Nous devrions sortir de 1997 avec un léger bénéfice. Nous sommes donc sur la bonne voie.
Vous êtes actuellement une chaîne locale, avez-vous l’ambition de passer sur satellite ?
Oui, car sur satellite, nous avons des demandes aussi bien des pays du Nord que du Moyen-Orient ou même de France. Il y a un intérêt, un besoin. Le marché est là, mais deux problèmes persistent : la question des droits et du financement.
Y a t-il une volonté de diffuser une culture marocaine ou vos programmes sont-ils imprégnés de culture française ?
Il y a la culture universelle, puis la culture
marocaine. Nos programmes en tiennent compte et c’est pour cela que nous
sommes la première chaîne au niveau de l’audience au Maroc,
malgré une centaine de chaînes satellitaires. Nous sommes
donc une chaîne internationale de proximité . Avez-vous une
pleine liberté d’action ou rencontrez-vous une quelconque forme
de censure ? Je peux vous dire, sans complexes vis-à-vis d’aucune
télévision étrangère, que nos journalistes
et nos équipes de rédaction au Maroc travaillent dans une
atmosphère de liberté, ont la responsabilité des reportages
et des sujets traités et le font professionnellement. Connaissant
les autres chaînes à travers le monde, même celles du
Nord, je dirai que 2M est très ouverte et totalement indépendante
au niveau de la gestion.
Marcel Desvergne, Directeur du CREPAC d’Aquitaine et fondateur du Réseau International des Universités de la Communication.
Vous êtes enseignant…
Oui, je suis instituteur depuis 1963, mais aujourd’hui je travaille à la ligue de l’enseignement, organisme qui agit avec et autour de l’école publique en France. Mon cursus consistait très rapidement, tout en étant enseignant, à me préoccuper des problèmes d’images, de cinéma et des médias, puis des télécommunications.
D’où est partie l’idée des Universités de la Communication ?
Il y avait un stage de découvertes de films en fin de vacances, où des animateurs de cinéclubs se retrouvaient pour traîter de cinéma, visioner des films et voir comment on pouvait les utiliser dans les écoles et associations. A la fin des années 70, je me suis rendu compte que le cinéma ne pouvait pas être le seul support ; qu’il y avait les médias traditionnels, la télévision – très critiquée dans le milieu enseignant – et comme j’habitais justement en Aquitaine, je m’étais bien rendu compte que ce n’est pas ici que se décidaient les évolutions de notre région. J’ai voulu transformer ce stage de cinéma en un lieu de rencontre entre usagers de l’audiovisuel et décideurs des médias, qui déterminaient les programmes que l’on devait regarder. Puis, on s’est ouvert à des techniciens et des politiques, avant de s’étendre au plan international.
Vous dites que l’on critiquait la télévision. Estimez-vous qu’elle s’est améliorée depuis ?
On la critique toujours. Certaines choses se sont améliorées car il y a une multitude de canaux qui se sont créés ; les gens peuvent faire “leur marché” et trouver de bonnes émissions. Est-ce que tout m’intéresse ? Non, je ne regarde que ce qui me convient. Donc c’est plus la relation entre l’offre et la demande qui a vraiment évolué.
Avec l’Audimat (mesure d’audience), la vague actuelle ne tend-elle pas vers une baisse de la qualité ?
Il est évident que l’Audimat amène à s’intéresser au public en lui faisant “plaisir”. Donc on peut estimer que des émissions de jeux, ou des programmes qui ne font pas réfléchir à certaines heures, sont plus intéressants que d’autres. Au niveau de la télévision, je suis plus inquiet au niveau des dérives liées à l’information.
A ce sujet, avec toutes ces manipulations que l’on connaît, peut-on encore croire l’image et quel est le rôle du journaliste ?
Dès la première photo, dès le premier article, il n’y a jamais d’objectivité ; il n’y a que des choix. Je ne crois pas à une information objective, elle est évidemment liée à des choix par rapport au public. Il y a, par contre, peut-être, une éthique et une déontologie qui fait qu’on ne peut pas dire de bêtises ou démolir des gens. L’exemple très récent de l’affaire Clinton, des ragots, qui ont pu être diffusés… où est la déontologie ? Je crois que les éléments d’ordre politique, économique et de stratégies de communication me paraissent être extrêmement forts par rapport à l’objet de l’information. Par contre je fais confiance à la profession de journaliste.
On reproche à l’Université son côté franco-français. Boudez-vous sciemment les Américains ?
On a raison de dire qu’il s’agit d’un réseau francophone. Depuis deux ans, nous prenons conscience qu’on ne peut pas éliminer d’autres grandes zones du monde : l’Amérique (Nord et Sud), l’Asie… Ce qui explique pourquoi, en 1997, on a démarré les manifestations en Océanie où, là, se pose le problème du français par rapport à l’anglais. Il est clair qu’on ne peut pas aborder les sujets présentés cette année, sans avoir une vision saine du développement de la société de l’information qui dépend des choix nord-américains.
La faible couverture médiatique de cet événement est-elle due à son côté “professionnel” ?
Je vois plusieurs raisons : la première, c’est parce qu’on n’a pas su expliquer suffisamment encore comment fonctionnait l’Université de la Communication. Deuxièmement, notre activité n’est pas perçue pour être intégrée dans une couverture médiatique habituelle. On est plus à même d’écouter une déclaration ministérielle que d’essayer d’extraire un papier d’un débat qui a duré deux heures sur tel ou tel sujet. Et enfin, le contexte politique marocain (changement de gouvernement…) a fait qu’un certain nombre de patrons de presse et de journalistes se trouvent ailleurs.
Comment voyez-vous cette course à l’info ? N’y a-t-il pas une sorte de pollution dans cette surinformation ?
Tout dépend de ce que l’on entend par le mot information. Je ne garde pas de ce mot l’aspect de l’information traditionnelle, mais toutes les données. C’est par exemple une entreprise qui expédie des données informatiques sur l’ensemble de son réseau ; ce sont des informations d’images échangées entre les hôpitaux avec des radios de malades pour qu’un médecin situé à des milliers de kilomètres puisse effectuer un diagnostic. Concernant la “pollution”, je dirai qu’il y a un trop plein, il y a tellement d’informations, qu’au bout d’un moment on sature et on élimine. Donc il y a surenchère, il y a des pays qui ont deux chaînes d’information sur la météo, autant on a besoin de savoir quel temps il fait, au bout d’un moment, il y a trop d’éléments. Cette pollution peut être régulée, c’est un équilibre qu’il faut essayer de trouver.
Y a t-il l’espoir de voir un jour votre “bébé” au Liban ?
Il faut que la manifestation de Marrakech se
pérenne ici-même ; que l’on sache que tous les ans à
la même période et au même lieu, il y a une rencontre.
Ma stratégie à long terme est de faire que l’événement
existe sans ambiguïté et qu’ensuite on puisse, effectivement,
choisir de l’autre côté de la Méditerranée un
pays. C’est vrai que le Liban – pays francophone – me paraît un lieu
on l’on doit pouvoir se retrouver, mais pas pour prendre la place du Maroc.
Entretien à trois voix avec :
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Jean Suhas, journaliste, ancien directeur de France 3 Aquitaine. Professeur de journalisme à l’université de Bordeaux, responsable et animateur du Réseau des Universités. Jules Dieudonné, vice-président du conseil départemental de la culture à la Réunion. Pierre Mazagot, du CREPAC d’Aquitaine, animateur de la Mostra.
Qui finance les Universités de la Communication ?
J.D : Le financement provient essentiellement de sponsors, du monde économique, des collectivités locales et des antennes ministérielles : coopérations, éducation nationale ou autres.
Estimez-vous être bien couvert, médiatiquement, car il semble y avoir un manque ? Est-il justifié ?
J.D : Sur la sphère francophone, RFO (Radio-France d’Outremer) avait couvert l’événement.
P.M : C’est justifié dans le sens où la presse ne saisit pas l’importance de ce Réseau dans son aspect international.
J.D : La télévision marocaine a couvert l’événement sur le plan national, mais ces images auront du mal à remonter sur le continent. La difficulté de faire parvenir des données régionales se pose également pour les productions et pas uniquement pour des manifestations de ce genre. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de couverture mais de relais, de financement et de rémanence des sujets.
Ces universités sont essentiellement axées sur les pays francophones ; est-ce voulu ?
J.S : La façon d’aborder le concept du réseau des Universités est une idée qui est à caractère francophone, mais bien entendu que les autres langues se doivent d’être présentes. Ce n’est peut-être pas par hasard que cette idée est née dans des milieux francophones.
On parle souvent de l’hégémonie américaine ; est-ce en réaction à cela ?
J.S : La plupart des grandes idées de liberté sont nées en France, c’est un signe. Dans l’esprit qui anime la langue française, il y a des envies de dire que les espaces de libertés ne sont pas des endroits que l’on affecte aux gens, parce que des organismes politiques ou autres se réunissent et “décident que…” Les espaces de liberté sont des espaces que l’on prend ! Et on ne les prend pas comme cela se fait malheureusement dans certains endroits, les armes à la main. Cela se prend aussi par le rassemblement d’idées. Lorsque des individus comprennent que dans un lieu d’un creuset différent, en réfléchissant, si l’on prend un moyen qui n’est ni politique, ni d’intérêt, ni de rapport de forces et se dire : on va tous essayer de se rassembler, de prendre du temps et de discuter, on s’apercevra que cet espace de liberté que l’on prend, fait avancer d’un pas. Et ce pas, c’est la construction de l’individu, du citoyen. C’est cela l’humanité. Et si ce n’est pas cela… on ne sert peut-être pas à grand chose. L’idée de ces Universités, c’est de se rappeler que la communication n’est jamais qu’un moyen ; on ne va tout de même pas se mettre à adorer les satellites sous prétexte que ça tient en l’air !