Société de l'Information : Vers un estompement de l'écart Nord-Sud ?

Pour sa 2ème édition, l’Université de la Communication des Pays de la Méditerranée (UCPM) a choisi le Maroc. Organisé par le CREPAC d’Aquitaine (Centre Régional d’Education Permanente et d’Action Culturelle), en collaboration avec la chaîne marocaine 2M, ce symposium d’une durée de trois jours s’est déroulé cette année à Marrakech. Les journées ont eu pour but d’exposer les différences et de combiner les talents des diverses cultures. De traiter, également, des problèmes de sociétés propres à chaque nation, les différentes méthodes, les craintes et espoirs ainsi que les enjeux de cette civilisation de l’information, certes balbutiante mais promise à une croissance exponentielle. Le thème de cette année : “Stratégie et réalités des sociétés méditerranéennes de l’information”, a mis en évidence les mutations imposées et les devants qui doivent être pris en fonction de ce changement ; ou l’émergence du local sur le global. Sans oublier l’aspect relationnel de l’homme et de la machine qui ne doit pas nous déshumaniser.
500 personnes, 100 intervenants, 15 pays
Spécialistes de l’audiovisuel, de la communication, industriels, universitaires et médias de tous pays s’étaient donné rendez-vous du 26 au 28 février 1998, à l’occasion de cette 31ème édition d’une série débutée en 1980. Francophones et arabophones ont longuement débattu de sujets aussi divers que la liberté d’expression, l’évolution des marchés publicitaires, le chassé-croisé télévisuel entre public et privé, la transformation des métiers (presse écrite), Internet et les PME ou encore les choix méditerranéens entre politiques américaines ou européennes… Initiations, consultations et surfing se sont déroulés à la “Mostra”, sorte de cyber-café, où des démonstrations permanentes sur les nouvelles technologies et l’Internet ont eu lieu. Cette deuxième édition marocaine de l’UCPM, confirme la volonté d’ouverture, comme l’a annoncé M. André Azoulay, conseiller de Sa Majesté le Roi Hassan II, lors de son discours inaugural : “Le Maroc veut être un acteur à part entière de la société de l’information.”
Transformation
Dans un monde en perpétuelle mutation, l’informatique, à plus d’un niveau, a révolutionné l’ensemble de l’information. Et Internet par sa croissance exponentielle est en train de changer les mentalités, de même que notre propre perception de cette information. De la même manière que l’arrivée de logiciels de mise en page et de retouche photo a chamboulé toute la chaîne de l’édition classique, accéléré sa productivité et amélioré sa qualité ; l’Internet façonne de nouveaux comportements en rendant la diffusion des données instantanées et planétaires. C’est, fort de ces convictions, que s’est déroulé un des débats auxquels participait à bâtons rompus, “La Revue du Liban”, intitulé : “Presse en ligne, pour une révolution ?”
Menace ?
Le mot révolution sous-tend destruction d’une chose qui sera remplacée par une nouvelle. Internet n’a d’autre vocation que de répandre des données de par le monde et de répondre à des besoins de plus en plus exigeants face à une information grandissante. Il ne s’agit pas de voir un ennemi en le Réseau, mais bien un complément. Le plaisir et la transportabilité du papier ne sont pas prêts d’être substitués, du moins pas avant longtemps. Rien ne remplacera le plaisir, le toucher d’un bon livre. Enfin, on craint l’écran, mais la lecture sur moniteur est loin d’être des plus agréables… Dans 80% des cas, la finalité des documents importants est d’être imprimés. La télévision n’a pas tué la presse écrite, la vidéo a encore moins menacé le cinéma, ces médias se sont adaptés les uns aux autres, devenant complémentaires.
La presse se porte bien, merci
S’il y a un médium qui doit craindre le rayonnement du Net, c’est bien le broadcast (diffusion télévisuelle), qui risque de pâtir le plus de cette vague. La télévision est boudée depuis que le Réseau des réseaux offre des données sur mesure et de l’information “active”. Des études ont démontré que les utilisateurs d’Internet regardent de moins en moins la petite boîte noire, alors qu’ils ne rechignent jamais à se plonger dans un bon livre. En conclusion, les acteurs de la société de l’information resteront probablement les mêmes, mais devront pour survivre, adapter leur rôle à des scénarios de plus en plus variés. Le prochain rendez-vous est fixé du 11 au 15 mai 1998 à Montréal (Canada), dans le cadre de la 2ème Mission d’études en Amérique du Nord intitulée “Comment l’Amérique du Nord utilise-t-elle les inforoutes ?” Et pourquoi pas dans un proche avenir la tenue d’une Université de la Communication au Liban ?


Larbi Belarbi

Entretien avec M. Larbi Belarbi, directeur de la deuxième chaîne Marocaine 2M.

Quelle est la politique d’avenir de 2M ?

2M est passé du stade d’une chaîne privée et cryptée, à une chaîne contrôlée par l’Etat à 70%. Elle est passée en clair à partir de janvier 1998. Nous perdions beaucoup d’argent, car il était très difficile de réussir les cryptages ; l’Etat a donc décidé, en 1996, de sauver 2M en prenant 70% du capital pour les rétrocéder par la suite au secteur privé après la restructuration de la compagnie. Nous atteindrons nos objectifs dans un an et demi et sommes passés d’une perte annuelle de 70 milliards de dirhams à une amélioration. Nous devrions sortir de 1997 avec un léger bénéfice. Nous sommes donc sur la bonne voie.

Vous êtes actuellement une chaîne locale, avez-vous l’ambition de passer sur satellite ?

Oui, car sur satellite, nous avons des demandes aussi bien des pays du Nord que du Moyen-Orient ou même de France. Il y a un intérêt, un besoin. Le marché est là, mais deux problèmes persistent : la question des droits et du financement.

Y a t-il une volonté de diffuser une culture marocaine ou vos programmes sont-ils imprégnés de culture française ?

Il y a la culture universelle, puis la culture marocaine. Nos programmes en tiennent compte et c’est pour cela que nous sommes la première chaîne au niveau de l’audience au Maroc, malgré une centaine de chaînes satellitaires. Nous sommes donc une chaîne internationale de proximité . Avez-vous une pleine liberté d’action ou rencontrez-vous une quelconque forme de censure ? Je peux vous dire, sans complexes vis-à-vis d’aucune télévision étrangère, que nos journalistes et nos équipes de rédaction au Maroc travaillent dans une atmosphère de liberté, ont la responsabilité des reportages et des sujets traités et le font professionnellement. Connaissant les autres chaînes à travers le monde, même celles du Nord, je dirai que 2M est très ouverte et totalement indépendante au niveau de la gestion.


Marcel Desvergne

Marcel Desvergne, Directeur du CREPAC d’Aquitaine et fondateur du Réseau International des Universités de la Communication.

Vous êtes enseignant…

Oui, je suis instituteur depuis 1963, mais aujourd’hui je travaille à la ligue de l’enseignement, organisme qui agit avec et autour de l’école publique en France. Mon cursus consistait très rapidement, tout en étant enseignant, à me préoccuper des problèmes d’images, de cinéma et des médias, puis des télécommunications.

D’où est partie l’idée des Universités de la Communication ?

Il y avait un stage de découvertes de films en fin de vacances, où des animateurs de cinéclubs se retrouvaient pour traîter de cinéma, visioner des films et voir comment on pouvait les utiliser dans les écoles et associations. A la fin des années 70, je me suis rendu compte que le cinéma ne pouvait pas être le seul support ; qu’il y avait les médias traditionnels, la télévision – très critiquée dans le milieu enseignant – et comme j’habitais justement en Aquitaine, je m’étais bien rendu compte que ce n’est pas ici que se décidaient les évolutions de notre région. J’ai voulu transformer ce stage de cinéma en un lieu de rencontre entre usagers de l’audiovisuel et décideurs des médias, qui déterminaient les programmes que l’on devait regarder. Puis, on s’est ouvert à des techniciens et des politiques, avant de s’étendre au plan international.

Vous dites que l’on critiquait la télévision. Estimez-vous qu’elle s’est améliorée depuis ?

On la critique toujours. Certaines choses se sont améliorées car il y a une multitude de canaux qui se sont créés ; les gens peuvent faire “leur marché” et trouver de bonnes émissions. Est-ce que tout m’intéresse ? Non, je ne regarde que ce qui me convient. Donc c’est plus la relation entre l’offre et la demande qui a vraiment évolué.

Avec l’Audimat (mesure d’audience), la vague actuelle ne tend-elle pas vers une baisse de la qualité ?

Il est évident que l’Audimat amène à s’intéresser au public en lui faisant “plaisir”. Donc on peut estimer que des émissions de jeux, ou des programmes qui ne font pas réfléchir à certaines heures, sont plus intéressants que d’autres. Au niveau de la télévision, je suis plus inquiet au niveau des dérives liées à l’information.

A ce sujet, avec toutes ces manipulations que l’on connaît, peut-on encore croire l’image et quel est le rôle du journaliste ?

Dès la première photo, dès le premier article, il n’y a jamais d’objectivité ; il n’y a que des choix. Je ne crois pas à une information objective, elle est évidemment liée à des choix par rapport au public. Il y a, par contre, peut-être, une éthique et une déontologie qui fait qu’on ne peut pas dire de bêtises ou démolir des gens. L’exemple très récent de l’affaire Clinton, des ragots, qui ont pu être diffusés… où est la déontologie ? Je crois que les éléments d’ordre politique, économique et de stratégies de communication me paraissent être extrêmement forts par rapport à l’objet de l’information. Par contre je fais confiance à la profession de journaliste.

On reproche à l’Université son côté franco-français. Boudez-vous sciemment les Américains ?

On a raison de dire qu’il s’agit d’un réseau francophone. Depuis deux ans, nous prenons conscience qu’on ne peut pas éliminer d’autres grandes zones du monde : l’Amérique (Nord et Sud), l’Asie… Ce qui explique pourquoi, en 1997, on a démarré les manifestations en Océanie où, là, se pose le problème du français par rapport à l’anglais. Il est clair qu’on ne peut pas aborder les sujets présentés cette année, sans avoir une vision saine du développement de la société de l’information qui dépend des choix nord-américains.

La faible couverture médiatique de cet événement est-elle due à son côté “professionnel” ?

Je vois plusieurs raisons : la première, c’est parce qu’on n’a pas su expliquer suffisamment encore comment fonctionnait l’Université de la Communication. Deuxièmement, notre activité n’est pas perçue pour être intégrée dans une couverture médiatique habituelle. On est plus à même d’écouter une déclaration ministérielle que d’essayer d’extraire un papier d’un débat qui a duré deux heures sur tel ou tel sujet. Et enfin, le contexte politique marocain (changement de gouvernement…) a fait qu’un certain nombre de patrons de presse et de journalistes se trouvent ailleurs.

Comment voyez-vous cette course à l’info ? N’y a-t-il pas une sorte de pollution dans cette surinformation ?

Tout dépend de ce que l’on entend par le mot information. Je ne garde pas de ce mot l’aspect de l’information traditionnelle, mais toutes les données. C’est par exemple une entreprise qui expédie des données informatiques sur l’ensemble de son réseau ; ce sont des informations d’images échangées entre les hôpitaux avec des radios de malades pour qu’un médecin situé à des milliers de kilomètres puisse effectuer un diagnostic. Concernant la “pollution”, je dirai qu’il y a un trop plein, il y a tellement d’informations, qu’au bout d’un moment on sature et on élimine. Donc il y a surenchère, il y a des pays qui ont deux chaînes d’information sur la météo, autant on a besoin de savoir quel temps il fait, au bout d’un moment, il y a trop d’éléments. Cette pollution peut être régulée, c’est un équilibre qu’il faut essayer de trouver.

Y a t-il l’espoir de voir un jour votre “bébé” au Liban ?

Il faut que la manifestation de Marrakech se pérenne ici-même ; que l’on sache que tous les ans à la même période et au même lieu, il y a une rencontre. Ma stratégie à long terme est de faire que l’événement existe sans ambiguïté et qu’ensuite on puisse, effectivement, choisir de l’autre côté de la Méditerranée un pays. C’est vrai que le Liban – pays francophone – me paraît un lieu on l’on doit pouvoir se retrouver, mais pas pour prendre la place du Maroc.


Entretien à trois voix avec :

Jules Dieudonné
Jean Suhas
Pierre Mazagot

Jean Suhas, journaliste, ancien directeur de France 3 Aquitaine. Professeur de journalisme à l’université de Bordeaux, responsable et animateur du Réseau des Universités. Jules Dieudonné, vice-président du conseil départemental de la culture à la Réunion. Pierre Mazagot, du CREPAC d’Aquitaine, animateur de la Mostra.

Qui finance les Universités de la Communication ?

J.D : Le financement provient essentiellement de sponsors, du monde économique, des collectivités locales et des antennes ministérielles : coopérations, éducation nationale ou autres.

Estimez-vous être bien couvert, médiatiquement, car il semble y avoir un manque ? Est-il justifié ?

J.D : Sur la sphère francophone, RFO (Radio-France d’Outremer) avait couvert l’événement.

P.M : C’est justifié dans le sens où la presse ne saisit pas l’importance de ce Réseau dans son aspect international.

J.D : La télévision marocaine a couvert l’événement sur le plan national, mais ces images auront du mal à remonter sur le continent. La difficulté de faire parvenir des données régionales se pose également pour les productions et pas uniquement pour des manifestations de ce genre. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de couverture mais de relais, de financement et de rémanence des sujets.

Ces universités sont essentiellement axées sur les pays francophones ; est-ce voulu ?

J.S : La façon d’aborder le concept du réseau des Universités est une idée qui est à caractère francophone, mais bien entendu que les autres langues se doivent d’être présentes. Ce n’est peut-être pas par hasard que cette idée est née dans des milieux francophones.

On parle souvent de l’hégémonie américaine ; est-ce en réaction à cela ?

J.S : La plupart des grandes idées de liberté sont nées en France, c’est un signe. Dans l’esprit qui anime la langue française, il y a des envies de dire que les espaces de libertés ne sont pas des endroits que l’on affecte aux gens, parce que des organismes politiques ou autres se réunissent et “décident que…” Les espaces de liberté sont des espaces que l’on prend ! Et on ne les prend pas comme cela se fait malheureusement dans certains endroits, les armes à la main. Cela se prend aussi par le rassemblement d’idées. Lorsque des individus comprennent que dans un lieu d’un creuset différent, en réfléchissant, si l’on prend un moyen qui n’est ni politique, ni d’intérêt, ni de rapport de forces et se dire : on va tous essayer de se rassembler, de prendre du temps et de discuter, on s’apercevra que cet espace de liberté que l’on prend, fait avancer d’un pas. Et ce pas, c’est la construction de l’individu, du citoyen. C’est cela l’humanité. Et si ce n’est pas cela… on ne sert peut-être pas à grand chose. L’idée de ces Universités, c’est de se rappeler que la communication n’est jamais qu’un moyen ; on ne va tout de même pas se mettre à adorer les satellites sous prétexte que ça tient en l’air !

  Saër KARAM.