Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

LA REVANCHE DE L’ONU

Face au danger, à la duplicité de Saddam Hussein et, d’autre part, à l’intransigeance jupitérienne de Bill Clinton, Kofi Annan a gagné le pari et a réussi son premier grand test diplomatique. 
Toutefois, pour mieux comprendre Saddam Hussein, il fallait se pencher sur l’histoire de ses ancêtres, Nabuchodonosor et Haroun el-Rachid, que sur les manuels de sciences po et les pratiques de la politicardie contemporaine. Kofi Annan, en bon vétéran diplomatique, l’a bien saisi. Dans cette épreuve de force, la France a pesé de tout son poids, en incitant celui-ci à entreprendre sa difficile mission de la dernière heure. 
Il était temps que l’ONU secouât la tutelle américaine et reprît son rôle d’arbitre. Toutefois, quelles leçons faut-il tirer de cette crise? 
Apparemment trois: la première c’est que les Nations-Unies ont récupéré leur rôle prééminent dans la gestion des affaires internationales jusqu’alors assurées par les Etats-Unis, envers et contre tous. 
L’accord que vient de conclure le secrétaire général Kofi Annan avec Bagdad, doit rappeler à chacun et à tous que le monde n’est guère unipolaire, ni bipolaire, mais multipolaire. 
L’événement en lui-même est lourd de significations et devrait amener l’administration américaine et les faucons du Pentagone à réviser sérieusement la manière dont ils devraient désormais assumer leurs responsabilités, dans un monde en perpétuelle mutation qui refuse l’hégémonie d’où qu’elle vienne, surtout quand elle est exercée arbitrairement. 
L’Amérique est investie d’une mission qu’elle s’est attribuée de conduire unilatéralement le monde. Or, ce modèle est révolu. Et l’ironie de l’histoire a voulu que ce gendarme de la planète soit l’ONU, dont le secrétaire général vient de prouver d’être l’homme qu’il faut, non seulement pour gérer les conflits mondiaux, mais aussi pour aider pacifiquement à leur solution. 
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Deuxième leçon à retenir et qui nous concerne en premier, c’est que l’administration américaine ne dispose d’aucune stratégie viable pour le Proche-Orient. Elle s’entête à utiliser la force contre l’Irak, qu’elle qu’en soit l’issue sans aucune raison politique valable qui puisse convaincre l’opinion mondiale, ni ses partenaires occidentaux, encore moins ses alliés arabes les plus proches, surtout que la situation qui prévaut dans la région diffère de celle de 1991. L’embargo imposé à l’Irak, dont sont victimes des milliers de nourrissons manquant de médicaments et de nourritures, - un enfant sur six meurt toutes les six minutes selon l’Unicef, - sans feindre d’oublier les bombardements successifs américains en 92, 93 et 96 témoignent d’un acharnement anti-irakien arbitraire dont les principales pertes sont civiles et ne font que sensibiliser davantage les pays arabes à fraterniser avec le peuple irakien, en dépit de leur méfiance affichée à l’égard de Saddam Hussein. 
Par contre, l’attitude des Etats-Unis à l’égard d’Israël est bien différente. Le redoutable voisin continue, bienveillance yankee aidant, à occuper une partie du Liban, de la Syrie et une bonne partie de la Palestine qu’il occupe arbitrairement au détriment de toutes les lois internationales, comme si de rien n’était, bafouant tous les accords conclus avec ses partenaires naturels, poursuivant au quotidien la colonisation, violant, depuis sa création, toutes les résolutions onusiennes, alors que les Etats-Unis, continuent sans broncher de lui fournir des aides logistiques et financières à gogo. 
N’est-ce pas faire bon marché du droit et le doubler d’un affront sans précédent à la communauté internationale, que celle-ci devrait de sitôt essuyer? N’y a-t-il pas là une raison justifiable pour une croisade de solidarité arabe avec le peuple irakien éprouvé? 
Preuve en est, la plupart des dirigeants arabes, même les plus proches de Washington ont catégoriquement refusé de s’associer au projet de Bill Clinton de bombarder l’Irak, dont les conséquences seraient irréparables. 

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Troisième leçon la plus décevante, peut-être: l’attitude de l’Europe face à l’hégémonie rampante américaine devenue incontournable. 
Jusqu’à quand l’Europe va-t-elle tolérer d’être satellisée par les Etats-Unis? L’Union européenne a démontré son incapacité à s’imposer comme une entité solidaire face à l’intransigeance américaine de bombarder Bagdad, faisant preuve, une fois de plus de désolidarisation. L’Angleterre qui préside actuellement l’Union européenne, s’est dérobée, comme à l’accoutumée, pour s’aligner inconditionnellement sur l’Amérique, en annonçant sa participation à une nouvelle frappe contre l’Irak. Elle a été suivie par l’Italie, l’Allemagne et les pays nordiques. C’est lamentable et pourtant vrai! 
Seule la France, fidèle à ses traditions, a fait exception à cette politique européenne décevante. Dans une implication diplomatique de cette envergure, sa contribution à l’apaisement d’un conflit à hauts risques ne peut qu’être louable. Face à l’outrecuidance et à la démesure américaine, son intervention a porté ses fruits. La diplomatie française a réalisé un travail remarquable qui fera date dans les annales de l’Histoire. L’Amérique tient à la fois le gouvernail et le glaive. A moins que l’Europe n’ait les siens pour lui faire contrepoids, les enjeux resteront les mêmes. La France peut et doit, sur les grands problèmes mondiaux, faire entendre sa voix et essayer sans relâche de faire échec à toutes les tentatives d’hégémonie américaine, toutes les discordances, aussi difficiles fussent-elles. C’est sa vocation. L’opinion mondiale inquiète s’interroge sur qui est le vainqueur? Et le monde contestera que c’est Kofi Annan, mais la suite de l’histoire n’est pas encore écrite, et en tout cas, ce n’est pas pour demain!

 
 “Au nom de la libre circulation de l’information et de la diffusion des images, l’Amérique tient à la fois à faire connaître son mode de vie, ses valeurs et briser le perfectionnisme du génie français.” 

IRWIN WALL 
(Professeur à l’Université  de Riverside “l’Influence américaine en France”) 
 

 

  

 


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