Critiquant la politique du Pouvoir
Rouchaïd el-Khazen:
 “L’absence d’un plan de développement global a conduit le pays à la situation actuelle”

 
Rouchaïd el-Khazen 
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M. Rouchaïd el-Khazen se distingue par la solidité de ses principes et de ses options. Le député du Kesrouan, contrairement à bien des hommes politiques, ne renonce pas à ses convictions politiques ou ne les troque pas contre d’autres au gré des circonstances, tant locales que régionales. 
Il ne fait pas de l’opposition pour le plaisir ou par dépit et ne se range pas de l’avis des gouvernants par complaisance. Ses prises de position traduisent son souci permanent de défendre et de préserver l’intérêt supérieur de la patrie. 

L’ACCORD ANNAN-AZIZ A  ÉVITÉ LA CATASTROPHE
Au moment où nous avons rencontré M. el-Khazen, le secrétaire général des Nations Unies venait de signer un accord à Bagdad, dont le premier avantage a été d’éloigner le spectre de la frappe militaire que l’Amérique se proposait d’asséner à l’Irak.
A la question: “Le langage de la force a-t-il été abandonné par Washington?”, il répond: “Cet accord nous a permis de respirer, après avoir retenu notre souffle. L’inspection des sites présidentiels doit être entreprise sans retard, ce qui enlève tout prétexte que les Américains pourraient invoquer pour user de la manière forte”.
- S’agissait-il, en fait, d’une mise en scène?
“Certainement pas. Sans l’accord Annan-Aziz, la catastrophe se serait produite. Le président Clinton a-t-il fait marche arrière ou bien le président Saddam Hussein a-t-il pris conscience du danger? On peut répondre par l’affirmative à cette double interrogation.
“Il ne faut pas perdre de vue que les dirigeants arabes, en tête desquels le roi Fahd, les présidents Moubarak et Assad se sont opposés à la frappe militaire.
“Puis, les stratèges américano-britanniques, les plus impliqués dans cette opération, n’ont pas caché leurs appréhensions quant aux retombées de cette aventure et à ses séquelles. Il va sans dire que les attaques aériennes auraient causé des milliers de victimes parmi la population civile irakienne et provoqué des réactions en chaîne contre les Etats-Unis dans la région proche-orientale.
“En ce qui concerne le but de la crise irakienne, celle-ci visait à exécuter un projet tendant à partager les Etats de la région, en suscitant des conflits entre les différentes ethnies qui y cohabitent ou à “renflouer” le régime de Saddam Hussein qui a servi les Etats-Unis davantage qu’aucun autre leader.”
- L’accord conclu entre l’ONU et Bagdad peut-il échouer?
“Tous les Etats et les forces ayant contribué à rendre cet accord possible, sont tenus d’en assurer l’application et de le protéger.”

L’ACCORD DE BAGDAD ET LA CRISE DU P.O.
- L’arrangement intervenu avec l’Irak - s’il venait à se perpétuer - ouvrirait-il la voie au règlement du conflit du Proche-Orient?
“Les peuples de cette région aspirent à la paix et toute initiative pouvant en favoriser le processus serait la bienvenue, à condition que la solution soit conforme aux résolutions de la légalité internationale.
“Le Liban, la Syrie et toutes les parties arabes ont accepté l’opération de paix dont les principes ont été définis à Madrid, mais Israël l’a rejetée par la suite, tout en faisant fi des résolutions du Conseil de Sécurité, notamment la 425 qui exige son retrait inconditionnel du Liban-Sud.
“Nous souhaitons que le règlement, même provisoire, de la crise irakienne, favorise la solution du conflit israélo-arabe.”

TOUT LE MONDE EST RESPONSABLE
- Les consultations effectuées au cours des derniers jours par le chef du gouvernement aideront-elles à mettre fin à la crise socio-économique?
“Tous les efforts doivent être conjugués pour sauver notre pays et le sortir de cette situation socio-économico-financière dans laquelle il se débat.”
- Qu’est-ce qui l’a conduit à cette situation?
“La politique suivie, l’absence d’un plan de développement global et la mentalité prévalant au niveau du Pouvoir. Tout le monde est responsable.”
- Comment peut-on résumer les sujets de plaintes?
“Les questions suivantes sont à l’origine de la vague de mécontentement généralisé: la négligence des personnes déplacées, la non-réalisation du développement équilibré, la non généralisation de la perception des impôts et taxes et l’imposition de surcharges fiscales, le peu de cas fait par les gouvernants au problème social; le gonflement de la dette publique, alors que le gaspillage bat son plein et les dépenses improductives n’ont pas été réduites.”

CHANGER LA MENTALITÉ DES GOUVERNANTS
- Approuvez-vous le retrait, par le Cabinet, de son projet relatif à l’échelle des salaires?
“En prenant une telle décision, le gouvernement a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de l’Administration étatique.”
- La solution résiderait-elle dans le changement de gouvernement?
“Lorsque le navire menace de couler, tous ceux qui se trouvent à bord sont appelés à le sauver du naufrage. Mais il faut faire payer aux responsables le prix de leurs erreurs.
“Nous devons empêcher le temple de s’effondrer sur nos têtes. Par la suite, nous réclamerons des comptes à tous ceux qui auront provoqué la catastrophe et les châtieront.
“Nous nous trouvons, aujourd’hui, devant un avenir incertain et angoissant. Quant à la solution, elle ne réside pas dans le départ d’une personne et son remplacement par une autre, mais dans le changement de la mentalité.”

QUID DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE
- Le Conseil constitutionnel a rejeté la demande en invalidation du budget 98 présentée par les députés Wakim, Daccache et Saad. Comment expliquez-vous cela; le budget est-il équilibré?
“D’abord, je n’ai rien à dire au sujet de cette demande ni de près, ni de loin et de son rejet par le Conseil constitutionnel qui est connu pour l’objectivité et la sagesse de ses membres.
“Quant à mon avis au sujet du budget, je peux le résumer en ces points:
 1- Pour la première fois, le gouvernement adopte une politique de dépenses raisonnable, consistant à réduire le gaspillage. Le rôle de la commission parlementaire des Finances et du Budget dans ce sens est louable.
2- Je souhaite que le gouvernement réduise les dépenses, bien que les cinq années précédentes aient été décevantes sur ce plan, le déficit ayant augmenté, passant successivement de 20% en 1994; à 16 ou 17% en 1995, à 19% en 1996 et à 24% en 1997, alors qu’il ne devrait pas dépasser 3 ou 4% du PNB. Ce déficit a un impact négatif sur la situation monétaire.
3- Dans le budget actuel, le déficit ne dépasse pas 37% des dépenses. A moins d’en douter, j’espère que ce rapport sera juste et le prélude à une nouvelle politique.
“Dans cette situation socio-économique déplorable, on se demande au sujet de la fiabilité de ces chiffres. Le gouvernement aura-t-il recours à de nouveaux impôts que le citoyen ne peut plus supporter, ou à davantage d’endettement qui augmenterait le problème financier?

POLITIQUE PRÉJUDICIABLE DU CASINO À L’ÉGARD DU KESROUAN
- Ce qui est arrivé à M. Habib Lteif, président du conseil d’administration du Casino du Liban, atténue-t-il l’hostilité que vous portez envers la politique suivie par cette institution?
“Je regrette ce qui est arrivé à M. Lteif auquel me lie une amitié. Mais je reproche à l’administration du Casino de suivre une politique préjudiciable à l’égard des fils du caza de Ftouh-Kesrouan.”
- Qu’est-ce que vous reprochez, précisément, à cette politique?
“Mes reproches portent sur la question des emplois. Parmi les 1400 postes, 200 seulement sont occupés par mes concitoyens. J’ai lancé plus d’un appel en faveur de l’attribution de postes supplémentaires aux Kesrouanais, qui ne manquent pas de compétence, mais l’administration engage des employés d’autres régions.”
- M. Lteif en est-il responsable?
“Oui, mais il n’est pas seul... Des responsables politiques et financiers le sont aussi, car ils ne prennent pas en considération les règles d’usage. A titre d’exemple, la Constitution libanaise ne stipule pas que les présidents de la République, du Conseil et du parlement soient respectivement maronite, sunnite et chiite, mais cet état de fait s’explique par les règles d’usage.
“Il en est de même pour les institutions. Selon les convenances, les employés d’une institution dans une région donnée, doivent dans leur majorité être recrutés parmi les habitants de localités environnantes.
“Parmi les employés et ouvriers (dont le nombre dépasse les 5000) des usines de Selaata et Chekka, il n’existe pas un seul du Kesrouan. Il en est de même du port de Beyrouth, de l’AIB, des palais de Beiteddine, de l’émir Amine et de la bibliothèque nationale de Baakline. Un habitant du Kesrouan peut-il travailler dans ces différentes institutions? On a constaté, dernièrement, l’emportement des députés de Beyrouth et du président du Conseil qui ont demandé l’engagement d’une majorité de Beyrouthins à la municipalité de Beyrouth, malgré l’organisation de concours à cet effet par le conseil de la fonction publique.
“Jusqu’à maintenant, cette municipalité compte parmi ses fonctionnaires une majorité de Beyrouthins. Est-ce donc un crime de revendiquer l’emploi de Kesrouanais au Casino, dont 60% des recettes proviennent des habitants de ce caza? Pourquoi suivre la politique de deux poids deux mesures?
“La négligence manifestée à l’égard du Kesrouan est la politique suivie, actuellement. A la suite de l’appel que j’ai lancé durant la rencontre de Meyrouba, ils ont procédé au licenciement de 70 parmi les 105 employés étrangers, dont les salaires s’élèvent à un million de dollars par mois, sans qu’on engage des Libanais aux postes vacants. Les salaires au Casino sont élevés (5000 à 6000 dollars par mois), pourquoi mes concitoyens n’auraient-ils pas le droit d’y travailler? Qui est responsable de cette injustice? Faut-il toujours obtenir ses droits par la force ou sous la pression des grèves?”

DÉSOBÉISSANCE CIVILE?
- Les députés du Kesrouan partagent-ils votre avis?
“Il est regrettable que certains d’entre eux n’élèvent pas la voix, bien qu’ils soient convaincus de l’injustice et du tort causés à leurs concitoyens. Même les projets manquent dans la région, depuis 1964, malgré les promesses faites par les responsables.
“Peut-être serons-nous poussés un jour à déclarer la désobéissance civile et à fermer le Casino qui est devenu un lieu de perdition. Comment la région de Ftouh-Kesrouan, peut-elle accepter cette situation préjudiciable? Le vase déborde, bien que nous tentons de calmer les gens. Bientôt, les fils de ce caza manifesteront leur mécontentement et prendront les mesures voulues pour obtenir gain de cause.”


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