tribune
 
QUAND LA PAIX N’EST PAS L’OBJECTIF 
 
Dans son édition du 23 janvier 1998, le journal “Le Monde” publie, sous la signature de son ancien directeur, André Fontaine, une rétrospective du problème kurde depuis ses origines. Abordant l’époque contemporaine, il rappelle le soutien que Barzani devait trouver, dans les années 70, auprès du chah d’Iran, alors en conflit avec Bagdad sur le contrôle du Chatt el-Arab. André Fontaine écrit:
“Pas question, cependant, devait nous confier le souverain lui-même, d’aider Barzani à obtenir un statut d’autonomie pour les Kurdes d’Irak. “L’Iran et les Etats-Unis, peut-on lire dans un mémorandum de la CIA de l’époque, espèrent bien bénéficier d’une situation insoluble dans laquelle l’Irak est intrinsèquement affaibli par le refus des Kurdes de renoncer à leur semi-autonomie. Ni les Etats-Unis, ni l’Iran n’aimeraient voir la situation résolue d’une manière ou d’une autre.”
***

Ce même cynisme ne gouverne-t-il pas, aujourd’hui encore, la politique américaine aussi bien vis-à-vis de l’Irak que dans la conduite du processus de paix arabo-israélien?
Ne jamais aboutir à une solution. Maintenir tous les acteurs dans l’ensemble de la région suspendus à des promesses que l’Amérique n’entend pas tenir ou qu’elle n’a pas les moyens de tenir. Entretenir les conflits tout en faisant semblant, pour pouvoir les garder sous contrôle, de vouloir les régler, alors qu’on est persuadé qu’on n’en a pas les moyens ou qu’on n’y a pas intérêt. (Le cas kurde est, à cet égard, typique).
Et c’est probablement à ces tactiques que M. Netanyahu pensait quand il déclarait, il y a quelques jours, à Madrid, que les Européens ne comprenaient rien aux problèmes du Proche et du Moyen-Orient.
L’Europe a, en effet, pris des positions très nettes sur les conditions de la paix arabo-israélienne, aussi bien que sur le rétablissement de l’Irak dans la communauté internationale. Seule l’Amérique tergiverse dans le premier cas et continue d’agiter des menaces dans le second, sans jamais offrir une solution.
Ce comportement américain fait l’affaire d’un Netanyahu qui poursuit son entreprise de colonisation. Ni avec les Palestiniens, ni avec la Syrie, il “n’aimerait voir la situation résolue d’une manière ou d’une autre”, pour exprimer les choses comme le faisait la CIA en 1974 à propos des Kurdes et des intentions des Etats-Unis et de son allié, le chah.

***

Au moment où, le 20 janvier dernier, il était invité à Washington pour présenter à M. Clinton, un plan de retrait de Cisjordanie “crédible et significatif”, M. Netanyahu avait préparé un projet qui laissait aux Palestiniens un territoire saucissonné, entièrement à la merci des colons.
Netanyahu voulait conserver “une zone occidentale de sécurité” de plusieurs kilomètres de large, le long de l’ancienne frontière séparant Israël de la Cisjordanie; “une zone de sécurité orientale” sur 10 à 20 km de large, le long de la frontière jordanienne; une “zone de sécurité autour de “la région” de Jérusalem”; “les zones occupées par les 127 colonies juives”; “le contrôle des infrastructures” (telles que sources d’eau, électricité, routes); “des sites militaires” d’importance stratégique ou relevant de la capacité de dissuassion d’Israël; “des zones autour des routes latérales et longitidunales vitales” à la sécurité générale et la sécurité des communautés israéliennes; “les sites historiques sacrés” pour le peuple juif.”
Dans l’esprit de M. Netanyahu, cela s’appelle un plan de paix!
A propos de ce plan, Yossi Bellin, ancien ministre travailliste, signataire des accords d’Oslo, faisait ce commentaire: “Le Premier ministre cherche à tromper tout le monde. Est-ce que le président Clinton acceptera de jouer le rôle de l’imbécile dans cet absurde scénario?”
A la même époque, Netanyahu rejetait un accord de coopération sécuritaire négocié entre généraux palestiniens et israéliens sous la supervision d’agents de la CIA. Et Ahmed Tibi, conseiller d’Arafat, faisait ce commentaire: “En fait, si l’OLP tout entière se réunissait pour chanter l’hymne du Bétar (organisation ancêtre du Likoud, fondée par le père de Benjamin Netanyahu), Netanyahu trouverait encore autre chose pour ne pas remplir ses obligations.”
Depuis, on voit bien que tout cela n’a abouti à rien. N’était-ce pas bien le but recherché? La pression s’est reportée sur l’Irak. Et maintenant que, grâce à Kofi Annan, la crise irakienne est entrée dans une phase de calme, M. Netanyahu, craignant un retour de la pression sur lui, est reparti en campagne pour dévier cette pression vers le Liban et la Syrie; et c’est à l’Europe qu’il s’est adressé pensant que l’Europe serait mieux écoutée à Damas et à Beyrouth, au moment où l’Amérique perd de plus en plus de sa crédibilité dans l’opinion arabe.
Hier, il déniait à l’Europe tout rôle dans le processus de paix, la priant de limiter ses interventions à une aide économique aux territoires palestiniens qu’il ruine en les soumettant à un blocus rigoureux. Aujourd’hui, il sollicite sa médiation auprès de la Syrie et du Liban. Pour ensuite la mettre en échec.

***

Si les Etats-Unis dominent vraiment la scène internationale pour instaurer un “ordre nouveau”, quelles solutions proposent-ils? Où réside leur “intérêt national” pour user du langage de Mme Albright? Dans une vraie paix ou dans un état de trouble permanent “sous contrôle”?
Mais M. Netanyahu s’emploie à nous persuader que les Etats-Unis ne savent pas ce qu’ils veulent ou qu’ils ne peuvent rien - et qu’il vaut mieux que chacun compte sur soi-même. Il a peut-être bien raison... Quant à lui, il sait sur quoi il peut compter pour entretenir cet état de trouble: la protection de l’Amérique ne lui fera jamais défaut.

 
 
 

Home
Home