Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

LE COMPTE À REBOURS

Si Torquemada avait vécu sous le règne de notre IIème république, il n’en aurait pas cru ses oreilles. Trouver des gens plus prompts que lui à allumer des bûchers l’aurait à jamais dégoûté de se livrer à ce sport salvateur dont il s’imaginait être le champion toutes catégories. Eh! bien, nous sommes en route pour lui damer le pion. Partout, autour de nous, ça commence à flamber ferme et nous assistons, médusés, au seuil du troisième millénaire, à un remake de l’inquisition.
C’est à croire que seuls les procès de sorcières sont capables de sortir de sa torpeur un pays qui a subi sans réagir une paupérisation galopante, qui a été à la fois témoin et victime d’incroyables dénis de justice, du viol systématique de toutes les libertés, de la marginalisa-tion d’une composante essentielle de la population, de l’exploitation impitoyable du plus faible par le plus fort, de la dégradation des mœurs politiques.
Pourquoi faut-il que nous ne vibrions d’un même accord que sous le coup du fanatisme religieux? Que signifient cette hémorragie verbale d’une violence inouïe (qui nous a ramenés aux plus mauvais jours de la guerre), ce genre d’incitation à l’émeute, cette mobilisation forcée de la rue et cette stupéfiante déclaration d’un dignitaire religieux, laissant entendre que la primauté du spirituel sur le temporel établit du même coup la prééminence des autorités religieuses sur les autorités civiles et que, de ce fait, ces dernières doivent obéissance aux premières?
S’agit-il de remplacer la démocratie par la théocratie et sont-ce là les prémices d’un changement de notre régime institution-nel? Nous espérons bien que non, que ce n’est pas là un lapsus à la Freud, mais le fruit d’une éloquence surchauffée. D’autant plus que la théocratie - qui paraît à certains si tentante - n’existe que dans un seul pays au monde.
Par contre, le mariage civil, sujet de ces vociférations, existe partout ailleurs. Ainsi, au seul titre d’exemple, pourquoi les musulmans français - qui sont plus nom-breux que leurs coreligionnaires libanais - n’ont-ils jamais protesté, puisque ce genre de mariage porte atteinte à la religion? Pourquoi n’ont-ils pas cloué Jacques Chirac au pilori? Et si parce que la France est à majorité chrétienne, qu’en est-il de la Turquie? Qu’en est-il de la Tunisie à presque cent pour cent musulmane?
Quant aux catholiques, surtout à certains de leurs évêques, les exemples sont encore plus nombreux. Le premier pays à rendre obligatoire le mariage civil, n’est-ce pas la France, fille aînée de l’Eglise? Le mariage civil existe aussi sans provoquer des émeutes en Autriche, la très catholique; en Irlande où l’on se bat encore pour le catholicisme; en Italie qui abrite le Vatican et le successeur de Pierre; en Pologne, pays de Jean-Paul II, et j’en passe... Et personne ne songe à sonner le tocsin. Les musul-mans et les catholiques libanais seraient-ils, sur les six milliards d’individus qui peuplent la planète, les seuls détenteurs de clés du Royaume?
Faut-il croire que la seule force dont est capable le Liban est celle de l’habitude? Nous avons tellement pris le pli d’obéir aux ordres venus de l’étranger plutôt qu’à notre intérêt national, d’agir en individus non en société, en communautés non en Etat, en tribus non en nation, que nous sommes devenus la caisse de résonance de tous les conflits, de toutes les mauvaises querelles, de tous les faux problèmes et perdu notre identité.
Et ce n’est pas ce pouvoir en errance qui pourrait nous la rendre. Ce pouvoir qui - selon la définition donnée par Churchill du socialisme à la Christophe Colomb - est parti sans savoir où il allait, est arrivé sans savoir où il était et a fait tout ça avec l’argent des autres.
Le compte à rebours de notre chancelante démocratie aurait-il déjà commencé?

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