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UNE IDÉE SABOTÉE   
 
Apparemment, le Liban traverse une période de crise politique, peut-être même institu-tionnelle, en tout cas une crise beaucoup plus grave que toutes celles qu’on a connues au cours des huit dernières années.
Néanmoins, malgré les apparences, il est difficile de prendre cette crise au sérieux. La dispute sur le mariage civil qui a déclenché les hostilités, semble tout à fait artificielle. Quant au projet de déconfessionnalisation des institu-tions, en général, il paraît si éloigné des préoccupations des représentants de la nation qu’on ne peut mieux le caractériser que par ce commentaire du député Najah Wakim: “Comment voulez-vous croire que ceux qui doivent leur situation au système confessionnel décident de l’abolir?” On ne scie pas la branche sur laquelle on est assis, vous le savez bien.
Alors, qu’est-ce que tout cela signi-fie? Qu’est-ce que toutes ces diatribes, ces polémiques, ces bouderies qui n’ont, pour le moment, d’autre résultat que de paralyser l’Etat? A quoi joue-t-on?
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C’est devenu une constante de la vie politique depuis quelque temps: tout ce que disent ou promettent les détenteurs du pouvoir n’est plus jamais pris au sérieux. Tout simplement, on ne les croit pas. On attribue toujours un dessein caché aux positions qu’ils prennent sur n’importe quel sujet. Cette suspicion ressort assez, depuis une semaine, de la violence inouïe des discours de certains chefs religieux sur le mariage civil.
Mais d’une manière générale, on pourrait même dire ordinaire désormais, qu’il s’agisse du budget et de son déficit, qu’il s’agisse d’impôts et de surtaxes, qu’il s’agisse d’élections municipales, de réforme constitutionnelle ou de réforme adminis-trative, bientôt d’élection présidentielle et mainte-nant de mariage civil, demain de décon-fessionnalisation, ce qui en est dit publiquement est automatiquement jugé suspect et interprété dans une optique de luttes personnelles d’influence et d’intrigues. Les Libanais adorent ce genre de spéculations; ils s’y livrent à tort et à travers. Et par leur comportement, les détenteurs du pouvoir alimentent, généreusement, cette tendance.
C’est un système d’irresponsabilité généralisée. Dès lors que personne ne se trouve tenu de rendre compte à personne, chacun se sent libre de dire et de faire n’importe quoi. Seul l’intérêt personnel ou ce qu’on croit favorable à l’intérêt personnel constitue le guide de ce cinéma.
Si l’on veut une image pour illustrer cette conduite, on peut la trouver à tout instant dans le désordre de la rue: il n’y a, en effet, qu’à voir comment le citoyen ordinaire aussi bien que les représentants de la loi ignorent superbement le code de la route, comment les agents chargés de régler le trafic remplissent leurs fonctions. Un exemple banal: un agent placé à un carrefour fait signe à un automobiliste de passer dans un sens interdit. “Mais ce n’est pas permis!”, s’exclame cet automobiliste. “Et dans quel pays vous croyez-vous donc!”, lui répond l’agent, bon enfant, qui ne cherchait qu’à lui faciliter le passage. Peu importe si une collision pourrait s’en suivre.
Du haut au bas de l’échelle administrative, il n’en va pas autrement; encore qu’à tous les échelons, ce genre de “facilité” est rarement innocent et gratuit.
On a dit que M. Hariri, conscient de ces réalités, a renoncé à réformer l’administration et préfère recourir aux services d’organismes parallèles qu’il compose à sa guise, avec des hommes qui lui sont tout dévoués. Ceux qui critiquent ces méthodes sont-ils capables de faire mieux? Avec de tels arguments, on peut, comme on le constate, se maintenir longtemps au pouvoir.

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Mais voici qu’on vous sort le mariage civil comme un projet de divorce.
Sur les véritables raisons de ce brusque virage, chacun a son explication. Et si vous n’avez rien de mieux à faire, vous pouvez prendre part à ce genre de spéculation et même faire des paris. Pour ma part, je parierais pour une nouvelle diversion bientôt, vers un autre sujet de polémique.
On peut affirmer, en tout cas, que si ce projet de loi n’est pas voté par la Chambre - et tout indique qu’il ne peut plus en être question maintenant - on ne pourra plus le ressortir avant très longtemps, probablement jamais. L’idée même de mariage civil est ainsi pratiquement sabotée. Ceux qui ont conçu cette initiative sans lui paver la voie, n’ont-ils pas mesuré toutes les conséquences?
Combien la République peut-elle tenir ainsi? Indéfiniment peut-être, en tout cas tant qu’elle est sans protection.
On le sait bien, placé sous tutelle, l’individu est plus libre de se livrer à ses frasques que celui qui se sait responsable de ses actes et de son avenir.

 
 
 

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