Et
d’ajouter: “Puisse le Liban réussir ces difficiles épreuves
face aux multiples contraintes auxquelles il a été soumis
durant dix-sept ans de guerre. Faisons- lui confiance, le miracle libanais,
n’étant pas un mirage, mais une réalité.”
Toutefois, l’opinion se demande: qui bénéficierait, en
l’occurrence, du miracle libanais: l’oligarchie politico-financière
ou bien les Libanais?
A en croire l’astucieux ministre des Finances, M. Fouad Sanioura, les
Libanais en sont les premiers bénéficiaires. Le Liban, selon
lui, ayant reconquis sa place finan-cière d’antan, désormais,
rien n’est à craindre. Les investisseurs libanais et étrangers,
la Banque mondiale et le Fonds monétaire international sont convaincus
que le Liban a franchi le cap. Depuis l’arrivée au pouvoir de M.
Rafic Hariri, de nombreux objectifs ont été atteints dans
plusieurs domaines. La IIème république peut se flatter d’avoir
tenu toutes ses promesses. Réjouissons-nous donc, tout est rentré
dans l’ordre. Tous les problèmes socio-économiques sont presque
résolus. Les 1200 milliards de livres libanaises pour honorer les
engagements du gouvernement quant à la nouvelle échelle des
salaires du secteur public, après tant de remous, sont déjà
assurés. Les employés du secteur public ont longtemps attendu
cette miraculeuse manne, leur avenir et celui de leurs familles est, dès
lors, garanti. Le gouvernement Hariri finira son mandat en beauté.
Les projets pour la reconstruction du Liban vont bon train, l’application
de la résolution onusienne 425 relative au retrait inconditionnel
d’Israël du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest, viendrait de surcroît.
Ainsi, tous les vœux des Libanais auraient été exaucés.
***
Hélas! Sur le terrain, la réalité est toute autre.
Nous sommes désolés de le dire haut et fort, ne fut-ce que
pour décharger notre conscience vis-à-vis de l’opinion.
Dès l’arrivée de M. Hariri au pouvoir, tout le monde
croyait que le Liban allait bénéficier de toutes les recettes
d’un capitalisme astucieusement adapté à sa mesure, dont
les bienfaits seraient de jour en jour identifiés. Les capitaux
libanais expatriés et étrangers viendraient à la rescousse
d’un Liban épuisé après dix-sept ans d’épreuves
et de contraintes, pour participer avec force à sa reconstruction.
Les grands projets: autoroutes, gratte-ciel, avenues et ports de plaisance,
attireraient les entrepreneurs du monde entier, l’entreprise étant
d’envergure et alléchante à tout point de vue. Que s’est-il
passé au juste?
Le miracle libanais s’est transformé en utopie: la vie quotidienne
au Liban est devenue de plus en plus dure; les inégalités
et les malaises plus criants que jamais, la paix régionale de plus
en plus lointaine et la kyrielle n’en finit pas. Le modèle de développement
tel qu’érigé par M. Rafic Hariri et ses colistiers, adapté
à la mondialisation galopante et à l’ouverture des marchés
qui a fait couler tant d’encre, n’a pas vu le jour. Le Liban de la gestion
économique haririenne est vraiment consternant. Au lieu de taxer
les hauts revenus et les plus-values foncières, dans un pays où
les fortunes colossales se sont accumulées, vente de drogue, blanchiment
d’argent, dont on connaît long sur leurs origines, etc..., il a opté
pour une voie non des moins dangereuses, d’endettement à hauts risques.
En règle générale, au sortir d’une aussi dure mésaventure
telle la nôtre, tout gouvernement qui se respecte, ponctionnerait
les plus riches par une “fiscalité de solidarité”, soit au
moyen de prélèvements exceptionnels, soit par une hausse
de taux de l’impôt direct sur les tranches les plus élevées
et ce, en faveur de la classe qui a le plus enduré, des séquelles
de la guerre, ceux qui ont perdu leurs foyers et leur travail en premier.
Or, le gouvernement Hariri a agi dans le sens contraire. Son premier geste,
fut une baisse spectaculaire de la fiscalité directe, sous prétexte
d’encourager les investissements et de susciter, en conséquence,
un surcroît de recettes fiscales. C’est le contraire qui advint.
La dette publique interne est passée, selon les statistiques officielles,
de 1,5 milliard de dollars, en septembre 92, à la veille de l’arrivée
de M. Hariri au pouvoir, à 13 milliards de dollars, au premier semestre
97, alors que la dette publique externe, a passé durant la même
période, de 300 millions de dollars à 2,2 milliards. Pour
un “PIB” (produit intérieur brut) de 13 milliards de dollars, l’endettement
public total s’élève à plus de 15 milliards, plus
1 milliard d’endettement du secteur bancaire privé auprès
de marchés internationaux. Les recettes de l’Etat ont été
consacrées, à hauteur de 71%, au paiement des seuls intérêts
sur la dette interne et, à hauteur de 5%, au service de la dette
extérieure d’un taux de 90% au premier semestre 97. De 63% des recettes
en 1993, le déficit budgétaire a sauté à 105%
en 1996. Et pour comble, le gouvernement Hariri a augmenté à
plusieurs reprises, comme il l’a fait tout récemment, les impôts
indirects, aggravant ainsi le désespoir d’une population en déprime
que la politique de développement préconisée par son
gouvernement a totalement ignorée.
Et comme pour convaincre l’opinion, M. Hariri arguait que l’explosion
de la dette publique provenait des augmentations des salaires d’une armada
de fonctionnaires et des dépenses sociales. La caisse des déplacés,
elle seule, a dépensé presque un milliard de dollars hors
de tout contrôle. Le versement des indemnités n’a pas aidé
au retour des déplacés à leurs foyers et à
la reconstruction des propriétés totalement détruites,
il n’a fait que profiter à certains chefs de milices et de clans.
Contentons-nous, pour le moment, de cette brève analyse d’un Liban
en mauvaise posture. L’espace qui nous est réservé ne nous
en permet pas plus! Le désenchantement cèdera-t-il la place
à une amélioration tous azimuts, avec le peu de temps qui
reste à l’équipe au pouvoir?
C’est dire combien l’échéance présidentielle en
octobre prochain suscite interrogations et inquiétudes à
tous les niveaux! A l’heure de l’échec de la realpolitik américaine
au Proche-Orient, l’échiquier libanais servira-t-il derechef de
tremplin à une contre-offensive capable de créer un climat
propice à une paix régionale juste et durable dans cette
partie du monde?
N.B.: Pour les statistiques mentionnées dans cette chronique,
il a fallu se référer à une étude exhaustive
de l’économiste Georges Corm, ce dont nous lui savons gré. |
“La maîtrise de l’inflation et des déficits publics
est une première réplique au redressement de l’économique
et du social. Peu de pays ont pu réussir ce difficile exercice”.
(Raymond Barre)
(Valéry Giscard d’Estaing
citant Einstein)
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