Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 
LE MIRACLE LIBANAIS, MYTHE OU RÉALITÉ?
Et d’ajouter: “Puisse le Liban réussir ces difficiles épreuves face aux multiples contraintes auxquelles il a été soumis durant dix-sept ans de guerre. Faisons- lui confiance, le miracle libanais, n’étant pas un mirage, mais une réalité.”
Toutefois, l’opinion se demande: qui bénéficierait, en l’occurrence, du miracle libanais: l’oligarchie politico-financière ou bien les Libanais?
A en croire l’astucieux ministre des Finances, M. Fouad Sanioura, les Libanais en sont les premiers bénéficiaires. Le Liban, selon lui, ayant reconquis sa place finan-cière d’antan, désormais, rien n’est à craindre. Les investisseurs libanais et étrangers, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international sont convaincus que le Liban a franchi le cap. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Rafic Hariri, de nombreux objectifs ont été atteints dans plusieurs domaines. La IIème république peut se flatter d’avoir tenu toutes ses promesses. Réjouissons-nous donc, tout est rentré dans l’ordre. Tous les problèmes socio-économiques sont presque résolus. Les 1200 milliards de livres libanaises pour honorer les engagements du gouvernement quant à la nouvelle échelle des salaires du secteur public, après tant de remous, sont déjà assurés. Les employés du secteur public ont longtemps attendu cette miraculeuse manne, leur avenir et celui de leurs familles est, dès lors, garanti. Le gouvernement Hariri finira son mandat en beauté. Les projets pour la reconstruction du Liban vont bon train, l’application de la résolution onusienne 425 relative au retrait inconditionnel d’Israël du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest, viendrait de surcroît. Ainsi, tous les vœux des Libanais auraient été exaucés.

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Hélas! Sur le terrain, la réalité est toute autre. Nous sommes désolés de le dire haut et fort, ne fut-ce que pour décharger notre conscience vis-à-vis de l’opinion.
Dès l’arrivée de M. Hariri au pouvoir, tout le monde croyait que le Liban allait bénéficier de toutes les recettes d’un capitalisme astucieusement adapté à sa mesure, dont les bienfaits seraient de jour en jour identifiés. Les capitaux libanais expatriés et étrangers viendraient à la rescousse d’un Liban épuisé après dix-sept ans d’épreuves et de contraintes, pour participer avec force à sa reconstruction. Les grands projets: autoroutes, gratte-ciel, avenues et ports de plaisance, attireraient les entrepreneurs du monde entier, l’entreprise étant d’envergure et alléchante à tout point de vue. Que s’est-il passé au juste?
Le miracle libanais s’est transformé en utopie: la vie quotidienne au Liban est devenue de plus en plus dure; les inégalités et les malaises plus criants que jamais, la paix régionale de plus en plus lointaine et la kyrielle n’en finit pas. Le modèle de développement tel qu’érigé par M. Rafic Hariri et ses colistiers, adapté à la mondialisation galopante et à l’ouverture des marchés qui a fait couler tant d’encre, n’a pas vu le jour. Le Liban de la gestion économique haririenne est vraiment consternant. Au lieu de taxer les hauts revenus et les plus-values foncières, dans un pays où les fortunes colossales se sont accumulées, vente de drogue, blanchiment d’argent, dont on connaît long sur leurs origines, etc..., il a opté pour une voie non des moins dangereuses, d’endettement à hauts risques. En règle générale, au sortir d’une aussi dure mésaventure telle la nôtre, tout gouvernement qui se respecte, ponctionnerait les plus riches par une “fiscalité de solidarité”, soit au moyen de prélèvements exceptionnels, soit par une hausse de taux de l’impôt direct sur les tranches les plus élevées et ce, en faveur de la classe qui a le plus enduré, des séquelles de la guerre, ceux qui ont perdu leurs foyers et leur travail en premier. Or, le gouvernement Hariri a agi dans le sens contraire. Son premier geste, fut une baisse spectaculaire de la fiscalité directe, sous prétexte d’encourager les investissements et de susciter, en conséquence, un surcroît de recettes fiscales. C’est le contraire qui advint. La dette publique interne est passée, selon les statistiques officielles, de 1,5 milliard de dollars, en septembre 92, à la veille de l’arrivée de M. Hariri au pouvoir, à 13 milliards de dollars, au premier semestre 97, alors que la dette publique externe, a passé durant la même période, de 300 millions de dollars à 2,2 milliards. Pour un “PIB” (produit intérieur brut) de 13 milliards de dollars, l’endettement public total s’élève à plus de 15 milliards, plus 1 milliard d’endettement du secteur bancaire privé auprès de marchés internationaux. Les recettes de l’Etat ont été consacrées, à hauteur de 71%, au paiement des seuls intérêts sur la dette interne et, à hauteur de 5%, au service de la dette extérieure d’un taux de 90% au premier semestre 97. De 63% des recettes en 1993, le déficit budgétaire a sauté à 105% en 1996. Et pour comble, le gouvernement Hariri a augmenté à plusieurs reprises, comme il l’a fait tout récemment, les impôts indirects, aggravant ainsi le désespoir d’une population en déprime que la politique de développement préconisée par son gouvernement a totalement ignorée.
Et comme pour convaincre l’opinion, M. Hariri arguait que l’explosion de la dette publique provenait des augmentations des salaires d’une armada de fonctionnaires et des dépenses sociales. La caisse des déplacés, elle seule, a dépensé presque un milliard de dollars hors de tout contrôle. Le versement des indemnités n’a pas aidé au retour des déplacés à leurs foyers et à la reconstruction des propriétés totalement détruites, il n’a fait que profiter à certains chefs de milices et de clans. Contentons-nous, pour le moment, de cette brève analyse d’un Liban en mauvaise posture. L’espace qui nous est réservé ne nous en permet pas plus! Le désenchantement cèdera-t-il la place à une amélioration tous azimuts, avec le peu de temps qui reste à l’équipe au pouvoir?
C’est dire combien l’échéance présidentielle en octobre prochain suscite interrogations et inquiétudes à tous les niveaux! A l’heure de l’échec de la realpolitik américaine au Proche-Orient, l’échiquier libanais servira-t-il derechef de tremplin à une contre-offensive capable de créer un climat propice à une paix régionale juste et durable dans cette partie du monde?

N.B.: Pour les statistiques mentionnées dans cette chronique, il a fallu se référer à une étude exhaustive de l’économiste Georges Corm, ce dont nous lui savons gré.

 
 “La maîtrise de l’inflation et des déficits publics est une première réplique au redressement de l’économique et du social. Peu de pays ont pu réussir ce difficile exercice”.

(Raymond Barre)

(Valéry Giscard d’Estaing 
citant Einstein) 

 
 

 

  

 


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