Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

UN SPECTACLE DÉGRADANT

J’y ai mis plus de trois semaines. L’affaire était trop nauséeuse et le comportement des autorités encore plus dégueulasse pour y toucher, même avec des pincettes. Je pensais, aussi, que - peut-être - le temps dédramatiserait suffisamment le sujet pour permettre d’en parler à tête froide. C’était se faire des illusions. Rien ne pourrait atténuer le choc provoqué par le spectacle révoltant et dégradant de cette double pendaison publique à Tabarja.
On me dira que l’événement n’est plus d’actualité, qu’on en a parlé en long et en large et en travers sur tous les tons, que le reste ne relève plus que des archives et que, somme toute, il est un peu tard pour pousser des oh! et des ah! d’indignation. Sans doute. Mais ce n’est pas de cette foule surexcitée et répugnante, qui s’est levée à 4 heures du matin pour aller applaudir l’agonie de deux êtres humains, que je voudrais parler; bien que l’on ne stigmatisera jamais assez le comportement avilissant de ces hommes et de ces femmes accourus pour se repaître, avec une rare délectation, de la terreur qu’exprimait le visage des deux suppliciés.
Ce dont on devrait parler, c’est de la condamnation à mort elle-même. Voilà deux individus dévoyés, deux jeunes salopards qui s’en vont cambrioler une maison, la croyant vide. Ils sont surpris, en plein boulot, par les propriétaires revenus inopinément. Les deux voyous s’affolent. Le premier tire à deux reprises et tue un homme et une femme, tandis que le second, paniqué, décampe en quatrième vitesse. Verdict de la Cour: la mort pour les deux.
On enseigne dans les facultés de droit que la peine de mort ne saurait être requise, prononcée et appliquée qu’en cas d’assassinat crapuleux, commis de sang-froid et avec préméditation. Ce qui n’est pas le cas ici. On enseigne, aussi, que seul celui qui donne la mort est considéré comme l’assassin. Ce qui n’est pas non plus le cas du second larron. Alors? Alors, on ne comprend pas vraiment ce débordement de férocité injustifié et injustifiable de la part de ce troisième pouvoir qu’on appelle étrangement la justice.
De quelle justice s’agit-il? Celle primitive de l’œil pour œil, dent pour dent ou celle expéditive des régimes totalitaires?
Les magistrats, dit-on, sont les premiers à protester contre la loi votée par l’un des parlements de Taëf qui stipule la peine de mort automatique pour qui donne la mort. Certains de ces magistrats pensent qu’en privant ainsi les juges de leur droit d’appréciation et l’accusé de son droit aux circonstances atténuantes, cette loi transforme les tribunaux en machines à sous, les magistrats en pourvoyeurs de potence et les procès en parodie de justice.
Il ne s’agit plus ici de vingt ans de travaux forcés ou de perpétuité. Il s’agit d’une peine définitive où l’erreur judiciaire cause un préjudice extrême et un tort irréparable. L’imagination a peine à concevoir ce genre d’assassinat légal. De là à réclamer l’abolition de la peine de mort...
Et pourquoi pas? L’expérience des pays qui l’ont abolie et celle où elle est encore de rigueur montre que la peine de mort n’est dissuasive dans aucun cas. Le taux de criminalité n’a pas augmenté chez les abolitionnistes et ce taux n’a nullement régressé chez les autres.
De plus, la peine de mort appliquée par une société contre un individu, pour le punir d’avoir commis un crime aussi abominable que d’ôter la vie à autrui, est moralement inacceptable et logiquement inconcevable. On ne peut punir un acte par un acte semblable. Ce ne serait plus de la justice, mais une vendetta qui mettrait la société tout entière sur le même pied d’égalité qu’un vulgaire criminel. Ce qui est scandaleux.
Est-ce à dire qu’il faille supprimer la peine de mort? Sans être de gauche - et pourquoi créditer toujours la gauche des idées généreuses - je suis de ceux qui répondent oui, sauf dans deux cas: pour les crimes de pédophilie et de viol accompagnés de tortures, ainsi que pour les attentats terroristes, le fanatisme religieux ou politique ne devant, en aucun cas, être considéré comme circonstances atténuantes. D’autant plus que ces assassins violeurs, pédophiles et terroristes sont des récidivistes, soit effectifs soit en puissance, donc de véritables bombes ambulantes à retardement.
Malheureusement, chez nous, ce sont ceux-là qui bénéficient d’une très large permissivité et de bienveillantes amnisties. A ceux qui prétendent vouloir abolir la peine de mort pour ce genre de tueurs, on pourrait répondre par le mot d’Alphonse Karr: “Que messieurs les assassins commencent.” 

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