CLINTON EN CHINE
UN POINT VERS LE TROISIEME MILLENAIRE

 Les Etats-Unis et le monde ne sont pas encore guéris du “Printemps de Pékin”, neuf ans après la tragique nuit du 3 au 4 juin où des centaines de dissidents avaient été écrasés par les chars sur la place Tiananmen, en direct sous les caméras de la CNN.
 
 

Depuis un mois et demi, le mouvement était parti de l’université de Pékin, les dissidents, en majorité des étudiants, campaient sur cette place de 4,4 km2 en forme de “T” déjà haut lieu des déclarations officielles de la Chine impériale, agrandie par Mao qui y a proclamé, le 1er octobre 1949, la naissance de la République populaire. C’est à partir de cette “porte de la paix céleste” qu’ils réclamaient la liberté et la démocratie. Ils furent impitoyablement fauchés, pourchassés, écroués. Dès lors, objet d’une réprobation unanime, la Chine se trouvait isolée sur la scène internationale.
Mais, progressivement, les tabous étaient levés. Les affaires reprenaient le dessus sur les principes de morale. Il devenait pratiquement “impossible de mettre en quarantaine le quart de l’humanité” lancé déjà dans de gigantesques réformes économiques et représentant des marchés fabuleux. Les chefs d’Etat occidentaux ont commencé à prendre la route de Pékin et de Shanghaï; à s’incliner devant les héritiers de l’Empire du Milieu.

Grand succès de Clinton à l’Université de Pékin.
 

PAR-DELÀ LA CONTROVERSE, UN “DIALOGUE CONSTRUCTIF”
En parallèle, la Chine changeait. Les réformes économiques imposaient de nouvelles structures géopolitiques et allégeaient, nécessairement, la pression sur la population qui se trouvait libérée de certaines contraintes du régime communiste passé et évoluait dans un nouvel espace de liberté, mais toujours loin des concepts occidentaux.
Aussi, le voyage de Bill Clinton en Chine a-t-il été perçu comme une réhabilitation de la Chine qui, justement, l’a considéré comme “l’événement politique majeur de la décennie”. Il a été précédé et accompagné d’une vive polémique alimentée aux Etats-Unis, autant par la droite républicaine que la gauche démocrate. Accusé d’être l’homme de tous les compromis, cloué au pilori, Clinton était repêché par les grands journaux à l’instar du “New York Times” et d’anciens hommes politiques influents ayant compté dans le rétablissement des relations Chine-USA à l’instar de Henry Kissinger.
Le monde avait donc les yeux tournés vers la place Tiananmen où Clinton recevait le 27 juin les honneurs de la République et, la main sur la poitrine, écoutait l’hymne national américain. Tapis rouge et 21 coups de canons, rien ne manquait à cette cérémonie d’apparat qui avait été marquée, la veille, par l’arrestation à Xian de quatre dissidents (relâchés par la suite). Tous les ingrédients étaient réunis pour choquer les défenseurs des libertés et ceux qui continuaient à pleurer leurs morts.
Mais Clinton, toujours prêt à rebondir, ayant la chance jusqu’à ce jour de son côté, a su défendre la dimension de “dialogue constructif” qu’il donnait à son voyage et réintroduire au cœur du débat autant le souvenir de Tiananmen que la défense des libertés.
 

 
Clinton et Jiang passant en revue la garde  
d’honneur à la place Tiananmen. 
 
 
Les enfants chinois offrant des bouquets 
de fleurs au président US.
 
Au banquet officiel, Clinton porte un toast à l’amitié 
sino-américaine avez Zhu Rongi, Premier ministre 
et Li Peng, président du parlement.
 
Bill avec Hillary et Chelsea 
à la Cité interdite. 
 
 

“LE RECOURS À LA FORCE ÉTAIT UNE ERREUR”
Le problème des libertés ayant dominé le voyage présidentiel, a fini par éclipser les résultats du sommet Clinton-Zemin tenu le même jour et qui a permis 47 accords bilatéraux, dont le recyclage des têtes nucléaires chinoises pointées vers les Etats-Unis et vice-versa. A l’issue de la déclaration commune suivant le sommet et diffusée en direct par la télévision chinoise, le président Clinton est passé à l’attaque, comme il l’avait fait en recevant à la Maison-Blanche, en novembre dernier, son homologue chinois, en affirmant que la Chine se trouvait du mauvais côté de l’Histoire sur la question des libertés. Mais cette fois, il a été bien plus loin.
“Je crois, a-t-il dit, s’adressant à son hôte, que les Américains croient que le recours à la force était une erreur (...). Là, il y a neuf ans, des citoyens de tous âges ont élevé la voix pour la démocratie. Malgré tous nos points d’accord, nous divergeons toujours sur le sens” à donner à ces événements.
Jiang Zemin lui a rétorqué que seule l’intervention armée a permis de “jouir de la stabilité politique dont nous jouissons aujourd’hui (...) En Chine, nous avons nos lois (...) Toute action contraire à la loi doit être traitée conformément à la loi”.
Les pions étaient posés. Et Clinton a dû, toujours sous les contraintes de l’opinion publique américaine, poursuivre sa défense des libertés. Assistant à un service religieux en l’église protestante de Chongwenmen de Pékin, il a renouvelé son acte de foi dans les valeurs religieuses: “Les peuples américain et chinois sont frères et sœurs en tant qu’enfants de Dieu”, tandis que Madeleine Albright se trouvant dans un autre lieu de culte, affirmait que “ceux qui adorent Dieu ne sont jamais seuls”.

Manifestations à Taipeh condamnant les assurances verbales
de Clinton pour “une seule politique” américaine à l’égard de la Chine.
“LA LIBERTÉ EST INDIVISIBLE”
Après la visite en famille de la Cité interdite et de la grande muraille, Clinton trouvait une occasion en or pour reprendre sa plaidoirie au cours de 75 minutes à l’université de Pékin où il a prononcé un discours suivi d’un débat poursuivi en direct à la télévision par 600 millions de téléspectateurs.
“Nous sommes convaincus, a déclaré Bill Clinton, que la liberté est indivisible, que certains droits sont universels. La liberté comprend le droit d’être traité avec dignité, de s’associer librement avec d’autres, d’exercer ou non son culte, d’exprimer son opinion”. Un discours nouveau que Jiang a pris le risque de rendre accessible au peuple de Chine qui jamais, depuis des décennies, n’en a entendu de pareil. Un discours qui a fini par lever les objections des dissidents qui voyaient dans cette visite “la pire des choses qui pouvaient arriver à la Chine.”
Bill le conquérant, revigoré par ses performances réussies, est ainsi parti pour Shanghaï, la capitale économique de la Chine où ses collaborateurs sont restés jusqu’à jeudi pour conclure des contrats. Beau parleur, il s’y connaît en discours. La puissance des mots, il en usait déjà sur les bancs de l’école.
 
Le voyage de Bill Clinton en Chine, le plus long, le plus controversé et le plus spectaculaire de ses années de présidence, a mobilisé quatre Boeing 747, plusieurs avions-cargos militaires C-141, ainsi qu’une suite de 1.200 personnes dont 300 journalistes. 
Une suite digne de l’Empire du Milieu dont les anciens maîtres croyaient se trouver au centre de la terre, au-delà de laquelle plus rien n’existait. 
Un itinéraire de neuf jours, fabuleux et multiple. Premiers pas à Xian, ancienne capitale impériale, visite finale à Hongkong en passant par Pékin, Shanghaï et Guillin, opérations de charme tous azimuts, bains de foule parmi les écoliers ruraux, direction de la fanfare de l’ALP lors d’un banquet officiel, interprétation de gospels à l’église de Chongwenmen, leçons de morale de haute volée sur les droits de l’homme et les libertés, discours enflammés, percées commerciales, Clinton a joué sur tous les registres, les rôles d’une carrière d’acteur manquée devant un sphinx nommé Jiang. 
Marchant sur les traces de Nixon, dont cinq présidents le séparent, Clinton aurait-il infléchi le cours de l’Histoire? Telle serait sa volonté. Mais la voie royale et conquérante a été pratiquée bien avant lui. Il continue de la défricher. 
Le voyage en Chine: beaucoup de bruit pour rien? Peut-être! Mais des résultats concrets par des contrats à hauteur de milliards de dollars, avec le “pays qui contribuera à définir ce que sera le XXIème siècle.”


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