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Depuis un mois et demi, le mouvement était parti de l’université
de Pékin, les dissidents, en majorité des étudiants,
campaient sur cette place de 4,4 km2 en forme de “T” déjà
haut lieu des déclarations officielles de la Chine impériale,
agrandie par Mao qui y a proclamé, le 1er octobre 1949, la naissance
de la République populaire. C’est à partir de cette “porte
de la paix céleste” qu’ils réclamaient la liberté
et la démocratie. Ils furent impitoyablement fauchés, pourchassés,
écroués. Dès lors, objet d’une réprobation
unanime, la Chine se trouvait isolée sur la scène internationale.
Mais, progressivement, les tabous étaient levés. Les
affaires reprenaient le dessus sur les principes de morale. Il devenait
pratiquement “impossible de mettre en quarantaine le quart de l’humanité”
lancé déjà dans de gigantesques réformes économiques
et représentant des marchés fabuleux. Les chefs d’Etat occidentaux
ont commencé à prendre la route de Pékin et de Shanghaï;
à s’incliner devant les héritiers de l’Empire du Milieu.
PAR-DELÀ LA CONTROVERSE, UN “DIALOGUE
CONSTRUCTIF”
En parallèle, la Chine changeait. Les réformes économiques
imposaient de nouvelles structures géopolitiques et allégeaient,
nécessairement, la pression sur la population qui se trouvait libérée
de certaines contraintes du régime communiste passé et évoluait
dans un nouvel espace de liberté, mais toujours loin des concepts
occidentaux.
Aussi, le voyage de Bill Clinton en Chine a-t-il été
perçu comme une réhabilitation de la Chine qui, justement,
l’a considéré comme “l’événement politique
majeur de la décennie”. Il a été précédé
et accompagné d’une vive polémique alimentée aux Etats-Unis,
autant par la droite républicaine que la gauche démocrate.
Accusé d’être l’homme de tous les compromis, cloué
au pilori, Clinton était repêché par les grands journaux
à l’instar du “New York Times” et d’anciens hommes politiques influents
ayant compté dans le rétablissement des relations Chine-USA
à l’instar de Henry Kissinger.
Le monde avait donc les yeux tournés vers la place Tiananmen
où Clinton recevait le 27 juin les honneurs de la République
et, la main sur la poitrine, écoutait l’hymne national américain.
Tapis rouge et 21 coups de canons, rien ne manquait à cette cérémonie
d’apparat qui avait été marquée, la veille, par l’arrestation
à Xian de quatre dissidents (relâchés par la suite).
Tous les ingrédients étaient réunis pour choquer les
défenseurs des libertés et ceux qui continuaient à
pleurer leurs morts.
Mais Clinton, toujours prêt à rebondir, ayant la chance
jusqu’à ce jour de son côté, a su défendre la
dimension de “dialogue constructif” qu’il donnait à son voyage et
réintroduire au cœur du débat autant le souvenir de Tiananmen
que la défense des libertés.
![]() Clinton et Jiang passant en revue la garde d’honneur à la place Tiananmen. |
![]() Les enfants chinois offrant des bouquets de fleurs au président US. |
![]() Au banquet officiel, Clinton porte un toast à l’amitié sino-américaine avez Zhu Rongi, Premier ministre et Li Peng, président du parlement. |
![]() Bill avec Hillary et Chelsea à la Cité interdite. |
“LE RECOURS À LA FORCE ÉTAIT
UNE ERREUR”
Le problème des libertés ayant dominé le voyage
présidentiel, a fini par éclipser les résultats du
sommet Clinton-Zemin tenu le même jour et qui a permis 47 accords
bilatéraux, dont le recyclage des têtes nucléaires
chinoises pointées vers les Etats-Unis et vice-versa. A l’issue
de la déclaration commune suivant le sommet et diffusée en
direct par la télévision chinoise, le président Clinton
est passé à l’attaque, comme il l’avait fait en recevant
à la Maison-Blanche, en novembre dernier, son homologue chinois,
en affirmant que la Chine se trouvait du mauvais côté de l’Histoire
sur la question des libertés. Mais cette fois, il a été
bien plus loin.
“Je crois, a-t-il dit, s’adressant à son hôte, que les
Américains croient que le recours à la force était
une erreur (...). Là, il y a neuf ans, des citoyens de tous âges
ont élevé la voix pour la démocratie. Malgré
tous nos points d’accord, nous divergeons toujours sur le sens” à
donner à ces événements.
Jiang Zemin lui a rétorqué que seule l’intervention armée
a permis de “jouir de la stabilité politique dont nous jouissons
aujourd’hui (...) En Chine, nous avons nos lois (...) Toute action contraire
à la loi doit être traitée conformément à
la loi”.
Les pions étaient posés. Et Clinton a dû, toujours
sous les contraintes de l’opinion publique américaine, poursuivre
sa défense des libertés. Assistant à un service religieux
en l’église protestante de Chongwenmen de Pékin, il a renouvelé
son acte de foi dans les valeurs religieuses: “Les peuples américain
et chinois sont frères et sœurs en tant qu’enfants de Dieu”, tandis
que Madeleine Albright se trouvant dans un autre lieu de culte, affirmait
que “ceux qui adorent Dieu ne sont jamais seuls”.
Le voyage de Bill Clinton en Chine, le plus long, le plus controversé
et le plus spectaculaire de ses années de présidence, a mobilisé
quatre Boeing 747, plusieurs avions-cargos militaires C-141, ainsi qu’une
suite de 1.200 personnes dont 300 journalistes.
Une suite digne de l’Empire du Milieu dont les anciens maîtres croyaient se trouver au centre de la terre, au-delà de laquelle plus rien n’existait. Un itinéraire de neuf jours, fabuleux et multiple. Premiers pas à Xian, ancienne capitale impériale, visite finale à Hongkong en passant par Pékin, Shanghaï et Guillin, opérations de charme tous azimuts, bains de foule parmi les écoliers ruraux, direction de la fanfare de l’ALP lors d’un banquet officiel, interprétation de gospels à l’église de Chongwenmen, leçons de morale de haute volée sur les droits de l’homme et les libertés, discours enflammés, percées commerciales, Clinton a joué sur tous les registres, les rôles d’une carrière d’acteur manquée devant un sphinx nommé Jiang. Marchant sur les traces de Nixon, dont cinq présidents le séparent, Clinton aurait-il infléchi le cours de l’Histoire? Telle serait sa volonté. Mais la voie royale et conquérante a été pratiquée bien avant lui. Il continue de la défricher. Le voyage en Chine: beaucoup de bruit pour rien? Peut-être! Mais des résultats concrets par des contrats à hauteur de milliards de dollars, avec le “pays qui contribuera à définir ce que sera le XXIème siècle.” |