LA CLAQUE PRESIDENTIELLE
L'INCIDENT HRAOUI-SABRA AU POINT MORT
SANS CHERCHER LA CONFRONTATION AVEC BAABDA,
LA PRESSE ESTIME AVOIR DRIT A DES EXCUSES

 
M. Hassan Sabra.
Le président Hraoui.
 
Rappelons “l’affaire” à l’intention de ceux de nos lecteurs qui n’en connaissent pas les détails: au moment où le président de la République présentait, samedi dernier à Bteghrine, ses condoléances à M. Michel Murr, vice-président du Conseil, ministre de l’Intérieur, suite au décès de sa mère, M. Hassan Sabra, secrétaire de l’Ordre de la Presse, propriétaire d’Ach-Chirah, est arrivé et après avoir serré la main à M. Murr, s’est approché du chef de l’Etat pour lui présenter ses hommages. Mais M. Hraoui qui s’entretenait, à cet instant, avec le général Emile Lahoud, commandant en chef de l’Armée, a feint de ne pas le voir.
 

Notre confrère s’est, alors, adressé au président en ces termes: “Pourquoi refusez-vous de me rendre le salut?”. Ceci a provoqué une saute d’humeur de la part du président de la République qui, voulant l’éloigner de lui, a effleuré de sa main le front du journaliste.
Par la suite, le président Hraoui a pris contact avec MM. Mohamed Baalbaki et Melhem Karam, présidents des Ordres de la Presse et des journalistes, pour les informer de l’incident. Aussitôt, ceux-ci se sont concertés à propos de l’affaire, avant de gagner le domicile de M. Sabra, d’où ils se sont rendus au palais de Baabda pour rechercher avec le président une formule de nature à sauvegarder la dignité de la première magistrature et de la Presse.
Le chef de l’Etat s’est montré compréhensif et tout laissait prévoir un heureux épilogue dans l’après-midi de dimanche.

RÉUNION CONJOINTE DES ORDRES DE LA PRESSE ET DES JOURNALISTES
Lundi, les Ordres de la Presse et des journalistes tenaient une réunion conjointe, l’atmosphère s’étant embrouillée la veille, pour on ne sait quel motif.
A l’issue de la réunion, un communiqué a été diffusé qui a été mal accueilli par le président Hraoui, parce qu’il a relevé une fermeté de ton jugée inacceptable... certains termes du texte portant atteinte, à son avis, à la première magistrature.
Pourtant, les deux Ordres ont évité l’escalade en n’adoptant pas des propositions de certains confrères qui préconisaient le boycottage du palais de Baabda et une grève générale.
Le communiqué considère que “l’acte du président menace les fondements de la pratique démocratique au Liban et les relations entre les institutions étatiques et la Presse, tout en laissant une marque d’infamie dans l’histoire de ces relations.”
Aussi, la Presse demandait-elle “une initiative courageuse de la part du chef de l’Etat, destinée à effacer les séquelles de l’incident”, estimant que ce dernier dépasse la personne de M. Hassan Sabra pour atteindre la profession dans son ensemble et, partant, constitue un dangereux précédent, d’autant qu’il a provoqué une grande effervescence, non seulement dans les milieux médiatiques, mais dans l’opinion.”

PROTÉGER LE CITOYEN
“L’un des principes du système démocratique, ajoute le communiqué, est la protection du citoyen face au pouvoir. Nous ne devons pas être contraints de réclamer que la dignité du pouvoir lui-même soit protégée contre le comportement de certains de ses symboles.”
Et d’enchaîner: “Quelle que soit sa volonté de préserver la dignité des instances étatiques, la Presse, pilier de la démocratie, ne peut laisser compromettre sa propre dignité, ni sacrifier sa liberté.”
Puis, après avoir rappelé qu’en démo-cratie il exis-te des insti-tutions dont la fonction consiste à sauvegarder les droits des instances di-rigeantes et des citoyens, face au mauvais usage du droit d’opinion, le communiqué conclut: “C’est parce que nous respectons le prestige de la présidence que nous avons demandé au chef de l’Etat de présenter des excuses pour une faute commise sous le coup de la colère.”

LA “GIFLE” OCCULTÉE EN CONSEIL DES MINISTRES...
Jusqu’à jeudi, aucune solution à l’incident de Bteghrine n’était en vue. De plus, le Conseil des ministres a passé sous silence et la “gifle présidentielle” et les dossiers chauds, notamment les difficultés auxquelles l’Office de l’Electricité du Liban se trouve en butte, se traduisant par le rétablissement des coupures prolongées de courant (fait à signaler: le ministre des Ressources hydrauliques et électriques n’a pas assisté à la réunion ministérielle)...
Selon des sources informées, “on laisserait au temps le soin d’arranger les choses”... l’affaire du soufflet devant connaître sa fin heureuse à la faveur d’une visite que les présidents des Ordres de la Presse et des journalistes effectueraient, incessamment, au palais de Baabda, en compagnie du rédacteur en chef d’Ach-Chirah.
La date de cette visite serait fixée au cours d’une rencontre au siège de l’Ordre de la Presse, d’un membre du gouvernement (M. Chaouki Fakhoury, ministre de l’Agriculture, probablement, l’un des proches du palais).
Cependant, selon certains milieux, le président de la République persiste dans sa position dure et l’on soupçonne des parties non encore identifiées de le monter contre la Presse.
De fait, interrogé sur le point de savoir si M. Sabra lui rendrait visite dans les prochains jours, en compagnie de M. Murr (ou Fakhoury), le président Hraoui a répondu par la négative.
Tout indique donc que Baabda n’est disposé à entreprendre aucune initiative susceptible de dissiper la tension causée par l’esclandre de Bteghrine. Au contraire, il a tendance à laisser les choses se tasser, du moins pour le moment.

KARAM DÉMENT...
En effet, dans une déclaration à “Saout Ach-Chaab”, à la BBC, à l’agence d’information “Al-Markazia”, M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes, a démenti la nouvelle selon laquelle la démarche entreprise par M. Michel Murr auprès du chef de l’Etat aurait porté ses fruits.
“Plusieurs ministres, a-t-il précisé, avaient été chargés d’intervenir auprès du palais de Baabda avant la réunion conjointe des Ordres de la Presse et des journalistes et la diffusion du communiqué adopté par les deux corporations. Mais leurs tentatives ont échoué.
“Nous respectons le président de la République, mais nous ne pouvons passer sous silence cet incident; aussi, avons-nous résolu de marcher sur les ronces.
“Mon confrère Mohamed Baalbaki et moi-même, avons répondu aux nombreux télégrammes et communications parvenus des syndicats de la Presse arabe et internationale, en leur exprimant notre affection et notre gratitude, tout en insistant sur le fait que le président de la République a habitué les médias à leur réserver un excellent traitement.”
Le président Hariri a tenté, vainement jusqu’ici, de régler cette déplorable affaire, M. Hraoui répétant qu’aucun conflit ne l’oppose à la Presse et qu’il s’agit d’un “incident personnel” avec M. Sabra. C’est pourquoi, il ne se considère tenu d’entreprendre aucune initiative pour le régler.
Aux dernières nouvelles, M. Hariri a effectué un contact avec M. Abdel-Halim Khaddam, vice-président syrien, qu’il a mis au courant des derniers développements de l’affaire. D’aucuns s’attendent que Damas déploie des efforts en vue de dissiper le malaise entretenu par la “gifle présidentielle”.

NADIM EL-HACHEM

Home
Home