Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

DES PERSONNAGES DE HAUT VOL

Entre le sumo de la république et le cascadeur du gouvernement la lutte apparaît épique et les épisodes à suivre des plus prometteurs. En fait, messieurs Hariri et Joumblatt se sont envoyé tant de gracieusetés que c’en était émouvant. 
Des mots évocateurs dans ce Liban de l’après-guerre, tels que détrousseur de cadavres, tueur en série, margouilleur arnaqueur, frimeur, mégalomane, dictateur... Bien évidemment, ce n’était pas tout à fait les termes exacts des invectives échangées, mais le sens n’en était pas moins explicite. Comme on ne manquera pas de le relever, au niveau de nos responsables, ça vole au ras des pâquerettes. Après tout, n’est pas aigle qui veut ou qui prétend l’être. 
Walid Joumblatt passe pour un spécialiste de ce genre de charge de la brigade légère qu’il mène en virtuose et assaisonne volontiers d’un brin d’humour. Cela lui permet de dire n’importe quoi à n’importe qui. Mais jamais sa verve n’a pris ouvertement pour cible le Premier ministre en personne avec qui, il n’y a pas longtemps encore, il faisait copain-copain. 
Pour le ministre, la principale activité du chef du gouvernement consiste à déplacer du vent, faire du tapage et jeter de la poudre aux yeux. Cela, c’est le côté jardin, plutôt gentil en somme. C’est du côté cour que ça se gâte. Là, Walid bey accuse carrément cheikh Rafic d’avoir, ni plus ni moins, détourné les fonds de la Caisse nationale des déplacés au profit de certaines têtes de chapitres de sa garde prétorienne afin que lesdits vassaux puissent mener leur campagne électorale les doigts dans le nez. 
Ce à quoi, le président Hariri réplique, par la voix de M. Antoine Andraos, ex-directeur de la Caisse en question, que ces fonds ont été littéralement pillés par Joumblatt lui-même dont il a fait cadeau aux “occupants”, au détriment des “occupés” pour l’excellente raison que lesdits “occupants” font partie de la valetaille dont il est le suzerain. 
Malade, réactionnaire, fanatique mythomane, tartarin de réalisations fictives, lance Joumblatt. Démagogue, grossier personnage, menteur, réplique le bureau de presse de Hariri. “En vérité qu’a-t-il fait?, interroge Joumblatt. Il a piétiné les cadavres de tout le monde pour consolider son trône”.. Ce sont là des accusations “triviales, contre-attaque le bureau de presse, sur lesquelles aucun être humain digne de ce nom ne peut s’attarder, non seulement parce qu’elles sont fausses, mais aussi parce qu’elles dépassent ce qui est tolérable sur le plan moral et politique”... 
A la question de savoir quel était le montant des sommes déboursées par l’Etat au bénéfice de la Caisse, le ministre Talal Arslane monte à son tour au créneau pour préciser: “La réinsertion des déplacés dans leurs villages avait été estimée à 450 millions de dollars. Or, l’Etat a déjà payé 800 millions pour n’en réintégrer que 20%...” Mais aussitôt l’émir Talal bat en retraite: “Evidemment, on ne peut jeter le blâme ni sur le ministre Joumblatt, ni sur le président Hariri”... Alors sur qui, le Kosovo, peut-être? 
Ainsi, le gouvernement nous aura infligé une ardoise d’un milliard de dollars que nous devrions suer sang et eau pour éponger, tout en sachant que les déplacés resteront interdits de retour! Pourquoi a-t-on gardé le silence sur ce genre de malversations? 
Si M. Joumblatt savait que M. Hariri avait, avec la complicité de M. Andraos, utilisé ces fonds pour ses candidats aux législatives, pourquoi a-t-il laissé faire et pourquoi surtout a-t-il accepté ces mêmes candidats sur ses propres listes? Et si le Premier ministre avait découvert les abus commis par le ministre des Déplacés, pourquoi s’est-il tu (qui ne dit mot consent, non?) et pour quelle raison a-t-il confié à nouveau le portefeuille des Déplacés au même Joumblatt? Etrange, bien étrange tous ces gens qui se découvrent tout d’un coup une conscience aussi chatouilleuse? 
Quant à M. Fouad Sanioura (il ne faut pas l’oublier celui-là parce qu’il est vraiment inoubliable), comment a-t-il eu le culot de laisser filer ces milliards pour venir ergoter aujourd’hui sur l’échelle des salaires et nous faire régulièrement les poches dans l’espoir de glaner quelques menues monnaies?! 
Nous avons beau être vaccinés depuis longtemps contre le comportement peu ragoûtant de ceux au pouvoir, nous avons de la peine à imaginer l’ampleur des manipulations qui se commettent tous les jours, à tous les niveaux et qui expliquent nos 17 milliards de dettes. Encore heureux - puisque chaque ministre peut détourner impunément un milliard de dollars - que nous n’en soyons pas à 30 milliards. 
Jusqu’à quand allons-nous nous laisser faire? Après tout, bonnes gens c’est nous qu’on gruge, c’est nous qui passons à la casserole. C’est notre bouchée de pain quotidien que l’on nous ôte de la bouche.  Il est vrai que Taëf semble nous avoir transformés tous en moutons. Mais est-il interdit à un mouton, même à Damas, de bêler sur le chemin de l’abattoir? 

Home
Home