Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

LE TRIANGLE DES BERMUDES

De par la grâce de notre bien-aimé gouvernement, le Liban est en passe de damer le pion au Triangle des Bermudes.
Qui n’a pas entendu parler des Bermudes, ces îles situées au nord-est des Antilles, disposées en forme de triangle (d’où le nom) et dont la seule évocation suffit à donner la chair de poule. A juste raison, d’ailleurs, puisque selon les rapports officiels d’un grand nombre d’experts, c’est à l’intérieur de la surface délimitée par ce triangle que disparaissent, depuis des années, bateaux et avions militaires et de ligne sans laisser la moindre trace et sans que personne ne sache comment ils ont disparu. C’est l’un des grands mystères des temps modernes.
Bien sûr, la Méditerranée n’est pas la mer des Antilles, mais il existe le long de ses rivages un pays - le Liban en l’occurrence - où beaucoup de choses disparaissent sans laisser de traces. Deux différences, cependant, avec les Bermudes. Primo, là-bas ce sont les bateaux et les avions qu’on ne retrouve plus; ici ce sont les milliards. Deuxio: là-bas, on ne sait pas dans quels fonds ils ont été enfouis, ici on soupçonne qu’ils l’ont été au fond de certaines poches.
Nous savons que nous manquons d’argent. Le Premier ministre et son satellite des Finances nous en martèlent le crâne à longueur de journées. Nous savons que pour se procurer de l’argent, qu’ils dépensent à pleines mains et dont nous n’avons pas le premier sou, nos responsables ont recours aux expédients les plus discutables, voire souvent à des pratiques qui frisent l’illégalité.
Ici, il faudrait peut-être ouvrir une parenthèse pour dire que la science fiscale de M. Sanioura s’arrête à des additions rachitiques, des soustractions scandaleuses et des multiplications somptueuses. Partant de là, notre futur prix Nobel d’Economie se lance à la poursuite, voire à la persécution des petits contribuables tout juste en mesure de survivre à la chasse à l’homme qu’il organise chaque année, avec la bénédiction de son patron. Une de leurs proies favorites, mais hélas! trop sous-alimentée pour figurer, dignement, au menu de leur mardi gras, est le petit monde famélique de la culture et des arts.
A part les théâtres que les Finances rançonnent jusqu’à l’os, la dernière de leur trouvaille est de taxer les festivals internationaux que les différents gouvernements eux-mêmes ont reconnus d’utilité publique. En principe, ces festivals auraient dû - comme par le passé et ce depuis le président Chamoun - être subventionnés par l’Etat. Nul d’entre nous n’ignore de quelle façon bénéfique - avant la guerre - le prestige de Baalbeck avait rejailli sur l’ensemble du pays. Or, malgré les efforts déployés par le ministre Fattouche et son opposition, non seulement ces subventions ont été supprimées, mais ils (les festivals) ont été frappés d’une taxe sur les billets d’entrée. A cela, il faut ajouter les 200 dollars perçus sur chaque visa, les taxes d’aéroport et les amendes arbitraires qu’inventent, selon l’humeur du moment, les fonctionnaires des Douanes.
En Syrie - nous donnons la Syrie comme exemple du moment que nous avons aligné notre comportement et notre politique sur les siens - en Syrie donc les institutions culturelles, artistiques, touristiques ont été exemptées d’impôts pour - première étape - une durée de 7 ans.
Il n’en est pas question! s’est, paraît-il, écrié le Premier ministre, “nous attendons une piastre d’un nuage”, (expression libanaise qui, transposée en français, signifie: nous attendons que le ciel s’ouvre). En attendant donc l’éventualité, peu probable, que le ciel fasse pleuvoir une manne miraculeuse pour renflouer les caisses de M. Sanioura, pouvons-nous demander audit Sanioura et au reste du gouvernement où sont passés les 17 milliards de dollars de dettes accumulées par l’Etat?
Que vous rapportent les festivals, messieurs? Dans le meilleur des cas, trois cent mille dollars, un demi-million... un million... deux millions?! ce qui est insensé. Et même ces deux millions imaginaires, nous serions prêts à mourir de faim pour vous les procurer, s’ils pouvaient ne serait-ce que colmater une petite brèche dans votre budget.
Mais auparavant, dites-nous, où est passé le milliard de dollars que les déplacés n’ont jamais reçu? Vers quelle destination a filé le milliard de dollars déversé sur l’EDL, alors que nous vivons toujours sous le régime des coupures? Vers quels cieux, vers quels comptes numérotés se sont envolés les milliards des timbres disparus du ministère de M. Sanioura? Pourquoi ne parle-t-on plus des malversations qui ont eu lieu aux Douanes? Qu’en est-il de ce chapeau de prestidigitateur qu’est le soi-disant bureau des médicaments et la valse des millions dont il est le théâtre, avant même que d’avoir commencé ses activités, licites s’entend?
Nous aussi, comme vous, monsieur le Premier ministre, nous attendons que le ciel s’ouvre pour nous fournir une réponse. Ce qui, à notre grand regret et au vôtre sans doute, est plus qu’improbable. Car ceux qui en détiennent les clés auraient bien trop peur que M. Sanioura ne leur mette le grappin dessus pour leur faire payer une taxe sur l’au-delà. 

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