Saint-Pétersbourg
LE DERNIER VOYAGE DE NICOLAS II

 Dix-neuf coups de canon ont accompagné la mise en terre de la dépouille de Nicolas II dans l’enceinte de la cathédrale Pierre et Paul à la forteresse de Saint-Pétersbourg où sont enterrés les tsars depuis Pierre le Grand.
Boris Eltsine, son épouse Naïna, le maire de Saint-Pétersbourg, plus de soixante descendants de la dynastie des Romanov venus en Russie pour la première fois, avec à leur tête le chef de cette dynastie Nikolaï Romanovitch, 75 ans, quelque 3000 invités et journalistes, des figures de proue de la classe politique russe, le général Alexandre Lebed, gouverneur de Krasnoïarsk, Grigori Iavlinski, chef du Iabloko, une délégation de la Chambre haute du parlement, des députés présents à titre individuel, un représentant de la couronne d’Angleterre: tous témoins de la réhabilitation du tsar, le 17 juillet 1998, 80 ans, jour pour jour, après son horrible assassinat.
Neuf cercueils ont été inhumés dans un caveau collectif: le tsar, son épouse Alexandra Federovna, trois de ses filles Olga, Tatiana, Anastasia (le tsarevitch Alexeï et sa sœur Maria introuvables ont, peut-être, été brûlés), le médecin de la famille et leurs trois domestiques.
A l’extérieur, 200 monarchistes s’insurgeaient contre un enterrement indigne du tsar, d’autres défilaient avec portraits et icônes. Enfin, des contestataires criaient leur colère justifiant la mort d’un “tueur”. 1200 commandos veillaient sur la cérémonie, soutenus par des vedettes de la police sillonnant la Néva.

ELTSINE: REPENTIR ET RÉCONCILIATION
La présence de Boris Eltsine, décidée en dernier ressort après le désistement du patriarche Alexis II qui doute de l’authenticité des restes, a donné quelque lustre à la cérémonie envenimée par la polémique. Celle-ci s’est déroulée en l’absence des têtes couronnées d’Europe et dans le cadre de la nouvelle politique de rigueur imposée par une économie en déroute.
“Pendant 80 ans, on a caché la vérité, on n’a rien dit. Demain, je dois dire cette vérité (...) Ce sera un acte de justice humaine”, avait déclaré le président russe, la veille du 17 juillet. Il entendait tourner “une des pages les plus honteuses de notre Histoire.”
Acte de repentir de toute une nation qui renie son passé sanglant et veut situer ses tsars comme ses dirigeants dans la véritable trajectoire de l’Histoire. “En rendant à la terre le corps des innocents tués, nous voulons expier les péchés de nos aïeuls. Ceux qui ont commis cet acte barbare et ceux qui l’ont approuvé pendant des décennies sont coupables.”
Mais si l’heure est au “repentir”, elle est également à la “réconciliation”. Et “nous devons terminer ce siècle qui a été celui du sang et de l’illégalité.”
Terminer le siècle en enterrant Nicolas II mais, également, celui de son bourreau Lénine qui continue à narguer Eltsine dans son cercueil de verre, à son mausolée de la place Rouge, à deux pas du Kremlin et que la moitié des Russes ont voulu maintenir en place. Eltsine a donc réussi à enterrer la victime sans pouvoir se débarrasser de son bourreau.
 

 
Cérémonie parallèle du patriarche Alexis 
II en présence de la grande-duchesse Léonida,  
sa fille Maria et son petit-fils, prétendant  
au trône, le prince Gueorgui, 16 ans. 
 
 
Boris Eltsine et son épouse Naïna s’inclinant  
devant les cercueils de Nicolas II et sa famille.
 
Nikolaï Romanov jetant symboliquement  
un peu de terre sur les restes du dernier tsar russe. 
 
 
Au cours de la cérémonie, des partisans royalistes 
tiennent à l’extérieur de la cathédrale des portraits d 
e Nicolas II et de l’impératrice Alexandra.
DANS LA NUIT DU 16 AU 17 JUILLET 1918
C’est sur ordre de Lénine que le tsar et les membres de sa famille furent exécutés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918. Un représentant de la Tchéka, police politique bolchévique, le commandant Iakov Iourovski avait été rejoint à la maison du marchand Ipatiev à Ekaterinbourg dans l’Oural où la famille impériale se trouvait prisonnière, par deux collaborateurs, six tireurs lettons et surtout le commissaire militaire spécial, Piotr Ermakov.
Lorsqu’il s’assura de la présence de Piotr Ermakov, Iakov Iourovski monta à l’étage où dormaient paisiblement les membres de la famille impériale: le tsar, son épouse Alexandra, leurs quatre filles, leur fils, leurs trois domestiques. Il enjoignit au docteur Botkine de réveiller toute la famille afin de la déplacer vers un lieu plus sûr. Tous sont debout à part Alexeï, malade, que l’on transporte vers la cave.
Comble du cynisme, Iourovski annonce aux prisonniers qu’il va les photographier, mais leur lit une sentence donnant l’ordre de les fusiller, “du fait que vos parents continuent leur offensive contre la Russie soviétique”. Le tsar n’en revient pas. Il est le premier mitraillé. La tsarine et sa fille aînée Olga se signent. Plusieurs chargeurs se vident sur les victimes qui n’en finissent pas de mourir sous les coups de crosse et de baïonnette. Il est trois heures du matin.
Piotr Ermakov charge les cadavres dans son camion et les jette dans une mine au cœur d’une forêt des alentours. La page n’est pas pour autant tournée. La peur de voir la maison du marchand Ipatiev se transformer en lieu de pèlerinage, taraude les soviétiques pendant longtemps. La tâche de la raser en 1977 incomba au premier secrétaire du parti de la région de Sverlovsk (Ekaterinbourg). Il s’appelait Boris Eltsine.
Des officiers russes portant les restes de Nicolas II
et de sa famille. Un membre de la famille Romanov les accueille à genoux.
SEPT ANS POUR AUTHENTIFIER LE TSAR
Les recherches pour retrouver les restes du tsar et de sa famille sont entreprises dès 1919 par un limier de la police du tsar, Nicolas Solokov dans la maison Ipatiev, alors que l’armée blanche est présente à Ekaterinbourg. Conclusion: les dépouilles ont été brûlées et enfouies sous terre.
L’enquête dont les résultats sont publiés en Europe est reprise en 1979 par un historien amateur, natif d’Ekaterinbourg, Alexandre Avdonine et par un auteur de romans policiers Geli Ryabov qui mènent, à titre personnel et dans le secret, leurs propres investigations jusqu’en 1989.
En 1991, le président Eltsine entre en ligne. Les ossements sont exhumés. Des recherches sont entreprises par des laboratoires anglais et américains pour effectuer des analyses d’ADN. Un échantillon de sang prélevé sur le duc d’Edimbourg, descendant direct de la tsarine Alexandra, permet d’identifier les ossements de celle-ci. Des chercheurs russes se joignent aux investigations. Les empreintes génétiques d’un prince Romanov dissipent les doutes. En 1993, l’authenticité des restes attribués au tsar est certaine à 98,5%.
En novembre dernier, le président Eltsine franchit un pas décisif en désignant Boris Nemtsov, premier vice-Premier ministre à la tête de la commission d’authentification et les préparatifs de l’inhumation officielle du tsar s’accélèrent. Ekaterinbourg et Moscou se disputent l’honneur de son inhumation. C’est Saint-Pétersbourg, ancienne capitale impériale, qui a l’avantage.
L’Eglise russe qui se propose de canoniser le tsar et les membres de sa famille, considérés comme des martyrs, de même qu’une partie de l’émigration russe, doutent de l’authenticité des restes prouvée finalement à 99,8%. Une double cérémonie a lieu. Le 17 juillet annoncé dans toutes les églises russes au pays et à l’étranger comme un jour de prière. Parallèlement à la cérémonie d’inhumation officielle, un office est présidé par Alexis II au monastère Sergueïev Possad, à 60 kilomètres de Moscou, en présence de la grande-duchesse Maria et de son fils le prince Gueorgui, 16 ans, prétendant au trône.

LES ROMANOV: UNE DYNASTIE, 300 ANS D’ÂGE
Le sabre et les armoiries des Romanov illustrés sur une bannière recouvrant les cercueils de la famille impériale, ont ravivé les souvenirs d’une dynastie qui remonte à 1613 et a gouverné la Russie jusqu’en 1917. 300 ans achevés dans un bain de sang auquel ont pu échapper les aïeux des Romanov, aujourd’hui, disséminés à travers le monde.
Dans leur majorité, ces Romanov sont descendants du tsar Nicolas 1er et, non seulement n’ont aucune prétention au trône, mais ne pensent pas à un retour prochain de la monarchie en Russie. Leur doyen, Nikolaï Romanov, 75 ans, qui vit actuellement en Suisse et a participé aux cérémonies de Saint-Pétersbourg, a été officiellement salué par Boris Eltsine.
Le prétendant au trône est le jeune prince Gueorgui, fils de la grande-duchesse Maria Wladimirovna, elle-même fille de la duchesse Léonida et petite-fille du cousin germain de Nicolas II.
Le prince Gueorgui avait visité plus d’une fois la capitale russe et des bruits de son prochaine intronisation avaient couru lorsque Eltsine, absent de Moscou, affrontait de graves problèmes de santé. Mais ce jeune prince est le fils d’un Hohenzollern et ne descendrait de Nicolas II que par les femmes. La Maison Romanov lui conteste ainsi d’éventuels droits de succession.


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