QUI SERAIT L’HOMME-MIRACLE? |
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Dans
l’esprit de certains qui prennent volontiers des vessies pour des lanternes,
le compte à rebours a commencé. Qu’attend-on au juste d’un
nouveau sexennat, un Charles de Gaulle, un Winston Churchill, un Franklin
Roosevelt, un superman, un nouveau Messie? Peut-être, les cinq à
la fois, plus un César Auguste mâtiné de Haroun el-Rachid.
Le tout concentré en un seul homme avec les pouvoirs de Staline
mais évoluant transcendantalement vers le bien, le beau, le juste,
dans une super “République” de Platon. Du moins, c’est ainsi qu’on
en parle.
Et qui serait ce phénomène de foire, cet homme-miracle et miraculeux? Eh! bien, tout simplement le futur président de la République. Ce qu’on attend de lui? (Comme on l’entend et le lit tous les jours). Qu’il nous sorte du coma profond où nous nous trouvons plongés. Qu’il mette fin aux malversations pratiquées jusqu’à sur les marches du pouvoir, qu’il sauve l’économie moribonde avant son dernier souffle, qu’il acquitte nos 17 milliards de dettes et nous gratifie de quelques autres, qu’il force les riches à payer plus et les pauvres à casquer moins, qu’il rétablisse une véritable démocratie, garantisse nos libertés, fasse respecter la Constitution, assainisse l’administration... Et une foule d’autres choses, dont la moindre n’est pas de nous réconcilier avec nous-mêmes et de ralentir le pas de charge des deux autres présidents décidés à réinventer une république personnelle, chacun à sa mesure. A part que la chose est difficilement réalisable, même pour un surhomme doté de pouvoirs supranormaux, il y a l’intraversable labyrinthe sous la garde du geôlier appelé Taëf. Placés presque en garde à vue à Taëf, soumis à un odieux chantage: ou vous signez ou bien il ne restera plus pierre sur pierre au Liban, ni même un seul Libanais pour pleurer sur les ruines, les députés de l’époque signèrent... Résultat, une Constitution en dépit du sens commun, hybride, pleine de courants d’air, de culs-de-sac, de traquenards où, non seulement aucun chemin ne mène à une porte de sortie, mais où chaque pas peut au moindre mouvement glisser dans un piège aux conséquences incalculables. Premier fléau: ce monstre tricéphale dénommé “troïka”. Au sein de cette troïka émerge, ou plutôt se trouve submergé, le président de la République. Quelles sont ses prérogatives? A en croire l’article 49 de la Constitution, le président de la République est le garant de l’unité de la nation et du peuple, le gardien de la Constitution, de la souveraineté du pays, de son indépendance et de l’intégrité de son territoire. Il est président du Conseil supérieur de la défense et chef suprême des armées, lesquelles armées sont soumises à l’autorité du Conseil des ministres. Il signe les décrets et nomme le Premier ministre... Du vent... rien que du vent! J’ignore si le propre d’un garant est de laisser violer, sous son nez, ce qu’il est supposé garantir, mais chez nous, le chef de l’Etat n’est doté d’aucun pouvoir pour s’y opposer. Quant à l’unité du pays, il serait ridicule d’en parler. Pour ce qui est de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité du territoire, disons avec Musset “que lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer.” Vient, ensuite, sonnez clairons battez tambours, “le commandant suprême des armées”. Là, le Sphinx lui-même donnerait sa langue au chat. Comment le président de la République peut-il être le “commandant suprême” d’une armée qui n’obéit qu’au Conseil des ministres? Et le commandant, il commande quoi, lui? Les décrets, ça, il les signe. Mais le plus important est de savoir ce qui arrive s’il ne les signe pas... Il arrive qu’après un certain délai, ils deviennent exécutoires, qu’il le veuille ou pas. Surveillé de près comme un prisonnier en liberté conditionnelle, le chef de l’Etat n’a même pas le droit de nommer le Premier ministre, puisque le choix de la majorité parlementaire est contraignant. Il n’a pas non plus le droit de dissoudre la Chambre, Taëf ayant rendu cette dissolution quasiment impossible. Et surtout, surtout ne parlons pas de réformes. Le président Elias Hraoui a proposé, il n’y a pas longtemps, un projet de loi que 80% du peuple libanais réclament. Une loi nécessaire, logique, respectant les droits de l’homme, une loi civilisée - il s’agit comme on le sait du mariage civil facultatif; bien mal lui en prit. Les chefs religieux sont presque descendus dans la rue et certains leaders et dirigeants, à leur tête le chef du gouvernement - mus sans doute par opportunisme politique et confessionnel - ont ameuté contre lui le ban et l’arrière-ban de cette fange populaire où ils recrutent le gros de leurs partisans. Et c’est de cette fonction amputée qu’on prétend attendre le salut! Tout compte fait et les choses, à l’ombre de Taëf, étant ce qu’elles sont, un président de la République, pour quoi faire? |
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