EXCELLENTES RELATIONS LIBANO-ITALIENNES
- Y aurait-il quelque contentieux entre le Liban et l’Italie et
comment qualifiez-vous les relations entre les deux pays?
“Je dois dire qu’il n’y a aucun contentieux entre les deux pays; une
seule chose pourrait être améliorée, le rééquilibre
des échanges commerciaux. Nous avons un volume total d’un milliard
de dollars d’échanges, plus que 95% couvrant les exportations de
l’Italie vers le Liban et seulement 5% d’exportations libanaises vers l’Italie.
“Les relations sont excellentes sur le plan politique, culturel et,
même, personnel entre les deux Premiers ministres et les deux présidents
de la République qui se sont visités, mutuellement, avec
fréquence. Il y a, surtout, une proximité humaine, une affinité
qui resserrent les liens plus que toute autre chose.”
- Le gouvernement et les entreprises italiens contribuent-ils, dans
quel domaine ou secteur, à la reconstruction des régions
libanaises ravagées par la guerre ou à la remise en état
de nos infrastructures?
“Nous avons deux volets de contribution. Le volet de coopération
gouvernementale avec les deniers publics qui se fait surtout dans le domaine
sanitaire, rural, hydraulique et énergétique. Il existe,
aussi, un très grand volet purement commercial dont les acteurs
sont les petites et moyennes entreprises italiennes très dynamiques.
Nous chercherons dans le futur à accentuer notre effort gouvernemental
au sud et nous nous engageons, dès maintenant, à être
là, aussitôt que le territoire occupé sera libéré
pour aider les déplacés à rentrer chez eux et leur
procurer des emplois.”
PARTENARIAT EURO-MÉDITERRANÉEN
- Les observateurs n’attendaient rien de concret de la conférence
de Palerme, d’autant que celle-ci ne s’était fixé aucun objectif
politique. Qu’en pensez-vous?
“La conférence de Palerme a eu bien plus de succès qu’on
l’espérait pour faire redémarrer le grand projet de partenariat
euro-méditerranéen. Une grande partie du succès a
été due à la coordination parmi les délégations
arabes assurée par le ministre Bouez.
“L’Italie s’attend à ce que la conférence de Stuttgart
l’année prochaine renouvelle et augmente la dotation financière,
du partenariat qui était, jusqu’à maintenant, de 5 milliards
de dollars environ.”
- Le fait pour le gouvernement de Rome d’avoir affrété
un vol spécial en faveur des ministres arabes des Affaires étrangères
(réunis à Beyrouth) pour se rendre à Palerme, a été
interprété comme un geste d’amitié envers les Etats
arabes. Est-ce exact?
“Bien sûr, le vol spécial était un geste d’amitié
envers les Etats arabes et, aussi, la formule la plus à même
de donner à toutes les délégations la possibilité
d’arriver à Palerme à temps. Mais Rome a beaucoup apprécié
que votre gouvernement ait pu réunir ces délégations
et donner le signal de l’unité arabe à la veille de la conférence
de Palerme.
- Comment le gouvernement italien perçoit-il l’avenir de l’Euro,
notamment au plan de la coordination des politiques économiques
et monétaires et, aussi, par rapport à la politique des changes?
“L’Euro est bien symbolisé par le “gratte-ciel costaud” qui
héberge la banque centrale européenne à Francfort.
L’Italie a payé le prix fort en termes de pressions fiscales pour
joindre le club de l’Euro. L’ironie du destin, c’est qu’on a déployé
un grand effort pour un objectif qui se traduira, aussi, dans une réduction
de notre souveraineté nationale. Car, à partir de l’année
prochaine, toute politique monétaire ne sera plus nationale. C’est
une véritable révolution dans le concept de la souveraineté
étatique. La seule crainte réside dans la non-synchronisation
de l’union monétaire avec l’unification politique. Il faudra donc
voir si la monnaie unique sera capable d’entraîner avec elle l’union
politique.”
LES SOMMETS ITALO-ALLEMAND ET ITALO-FRANÇAIS
- Le sommet Prodi-Kohl, ayant eu lieu les 3-4 juin à Bologne
a porté, dit-on, sur la poursuite de la construction européenne,
après la naissance de l’Euro, sur l’élargissement de l’Europe
vers l’Est, les essais nucléaires en Inde et au Pakistan et a préparé
le sommet européen de Cardiff, des 15 et 16 juin. Quel a été
l’impact des décisions prises?
“Les sommets italo-allemands sont réguliers, ainsi que les sommets
italo-français, anglo-espagnols. Ce sont des occasions précieuses
pour passer en revue toutes les questions européennes, en relançant
des axes bilatéraux pour des secteurs et des questions ponctuelles.
Les derniers sommets italo-allemands ont, surtout, servi à rendre
manifeste à nos partenaires allemands l’effort déployé
par l’Italie pour rejoindre l’Euro.”
LA CRISE DU P.-O., UN CONFLIT DE CULTURES
- L’Italie ne pourrait-elle pas jouer - seule ou dans le cadre de
l’U.E. - un rôle positif, visant à régler le conflit
du Proche-Orient?
“Le gouvernement italien est assez réaliste pour comprendre
qu’une contribution à la paix au Proche-Orient ne se fait pas en
jouant cavalier seul, même les Américains n’arrivent pas à
le faire. Dans le cadre de l’Union, le gouvernement italien est très
actif au plan des concertations qui se font tous les mois à Bruxelles
entre ministres des Affaires étrangères.
“Personnellement, je pense que le conflit du Proche-Orient est aussi
un conflit de cultures. Il faut travailler davantage pour rapprocher les
différentes cultures qui, pendant des millénaires, ont vécu
ensemble dans cette région.”
- La France vient de reconnaître le génocide arménien
de 1915; l’Italie pourrait-elle lui emboîter le pas?
“L’Italie a été un des pays à recevoir les Arméniens
en fuite pendant la Première Guerre mondiale. Beaucoup d’entre eux
ont trouvé un havre de sécurité dans l’île de
San Lazzaro dans la lagune de Venise. Là, il y a, depuis des siècles,
un des plus beaux couvents arméniens. Même en face de ma maison
à Gênes, il y a une église arménienne, j’étais
ici en 1965 quand la communauté arménienne a organisé
le cinquantenaire de 1915, au stade de Beyrouth, avec des milliers de bougies
qui s’allumaient la nuit tombante; j’ai été ému.”
PAS DE RÉFORME CONSTITUTIONNELLE EN
ITALIE
- La réforme de la Constitution italienne suscite des remous
au point qu’un quotidien (la Republica) de centre-gauche, a écrit:
“Seul un miracle peut sauver la réforme constitutionnelle, tout
en ajoutant: Les miracles ne sont pas rares en Italie.”
“C’est vrai que les miracles ne sont pas rares en Italie mais, en général,
ils se limitent à la sphère religieuse. Dans la sphère
politique, il n’y a pas hélas! de miracle, mais des compromis. Malgré
cela la réforme constitutionnelle n’est pas pour demain, c’est pour
après-demain.”
- Silvio Berlusconi qui a été renvoyé en justice
pour “l’achat d’un footballeur”, son procès étant fixé
au 8 juillet, connaîtrait-il le sort de Bernard Tapie en France et
où en est le procès intenté à Bettino Craxi
poursuivi, pour financement illicite du parti socialiste italien?
“Les procès qui concernent M. Berlusconi en tant qu’entrepreneur,
relèvent des autorités judiciaires, non du ressort du gouvernement,
ainsi que les arrêts rendus contre Bettino Craxi.”
- La Scala de Milan s’est produite tout récemment au Liban;
quelles sont vos impressions d’autant plus que vous étiez le promoteur
de cet événement?
“Un de mes espoirs était de venir au Liban, non les mains vides,
mais en présentant le mieux de notre musique pour un public qui
est le meilleur du Proche-Orient. La prestation de la Scala de Milan n’a
pas voulu être seulement un événement de haute qualité
musicale mais, aussi, un hommage à Beyrouth pour marquer la renaissance
de cette ville de ses cendres. Si vous avez remarqué, il y avait
une Aria le cœur de Nabucco, qui est un hymne à l’espérance
d’un peuple en détresse.”
SOUVENIR DE MOGADISCIO
- Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
“J’ai un souvenir cuisant qui me fait encore frissonner; il s’est passé
le 21 janvier 1997 après de longs jours de navette entre Mogadiscio
Nord et Mogadiscio Sud. J’ai réussi à réunir sur la
ligne verte les chefs des deux clans puissants qui se partageaient la ville
depuis 1994. L’arrivée sur la ligne verte des deux délégations
a suscité un cri immense de “You You” de la part de la population
et on a annoncé la dissolution des clivages claniques à Mogadiscio,
la capitale somalienne. Quand je suis sorti, après la réunion
de réconciliation sur la ligne verte, sur ma Jeep arborant le drapeau
européen et non italien, des milliers de gens étaient rassemblés
dans la rue. Une femme m’a crié en italien: “Hai portato la pace,
non lasciarla fuggire!” “Tu as amené la paix, ne la laisse pas échapper”!