AMBASSADEUR D'ITALIE A BEYROUTH
GIUSEPPE CASSINI: "UNE PROXIMITE ET DES AFFINITES HUMAINES RESSERRENT LES LIENS ENTRE NOS DEUX PEUPLES"

Mon premier poste, nous confie M. Cassini, a été celui de vice-consul en Belgique, en 1971, dans une zone minière où près de 14.000 Italiens étaient établis.
“Trois années plus tard, j’ai été muté à Alger en tant que conseiller commercial. A ce moment, ont été entamés les pourparlers en vue de l’installation du gazoduc qui, partant du territoire algérien, avait sa station terminale en Italie.”
Puis, il a assumé les fonctions de premier conseiller à Cuba de 1977 à 1979, avant d’être transféré à Philadelphia (Etats-Unis) en 1982 en tant que consul général.
Par la suite, il a été délégué (de 1986 à 89) auprès des Nations Unies à Genève et du GATT, avant d’être rappelé à Rome où il a assumé les fonctions de conseiller diplomatique pour l’environnement au moment où se tenait à Rio de Janeiro le “sommet de la Terre”.
M. Cassini a été, dernièrement, en poste en Somalie où il a œuvré en vue de mettre fin aux conflits entre les clans antagonistes, la communauté internationale ayant vidé les lieux après le retrait de l’UNOSOM.
“Enfin, avoue-t-il, j’ai eu le bonheur d’être muté au Liban où j’ai présenté mes

EXCELLENTES RELATIONS LIBANO-ITALIENNES
- Y aurait-il quelque contentieux entre le Liban et l’Italie et comment qualifiez-vous les relations entre les deux pays?
“Je dois dire qu’il n’y a aucun contentieux entre les deux pays; une seule chose pourrait être améliorée, le rééquilibre des échanges commerciaux. Nous avons un volume total d’un milliard de dollars d’échanges, plus que 95% couvrant les exportations de l’Italie vers le Liban et seulement 5% d’exportations libanaises vers l’Italie.
“Les relations sont excellentes sur le plan politique, culturel et, même, personnel entre les deux Premiers ministres et les deux présidents de la République qui se sont visités, mutuellement, avec fréquence. Il y a, surtout, une proximité humaine, une affinité qui resserrent les liens plus que toute autre chose.”

- Le gouvernement et les entreprises italiens contribuent-ils, dans quel domaine ou secteur, à la reconstruction des régions libanaises ravagées par la guerre ou à la remise en état de nos infrastructures?
“Nous avons deux volets de contribution. Le volet de coopération gouvernementale avec les deniers publics qui se fait surtout dans le domaine sanitaire, rural, hydraulique et énergétique. Il existe, aussi, un très grand volet purement commercial dont les acteurs sont les petites et moyennes entreprises italiennes très dynamiques. Nous chercherons dans le futur à accentuer notre effort gouvernemental au sud et nous nous engageons, dès maintenant, à être là, aussitôt que le territoire occupé sera libéré pour aider les déplacés à rentrer chez eux et leur procurer des emplois.”

PARTENARIAT EURO-MÉDITERRANÉEN
- Les observateurs n’attendaient rien de concret de la conférence de Palerme, d’autant que celle-ci ne s’était fixé aucun objectif politique. Qu’en pensez-vous?
“La conférence de Palerme a eu bien plus de succès qu’on l’espérait pour faire redémarrer le grand projet de partenariat euro-méditerranéen. Une grande partie du succès a été due à la coordination parmi les délégations arabes assurée par le ministre Bouez.
“L’Italie s’attend à ce que la conférence de Stuttgart l’année prochaine renouvelle et augmente la dotation financière, du partenariat qui était, jusqu’à maintenant, de 5 milliards de dollars environ.”

- Le fait pour le gouvernement de Rome d’avoir affrété un vol spécial en faveur des ministres arabes des Affaires étrangères (réunis à Beyrouth) pour se rendre à Palerme, a été interprété comme un geste d’amitié envers les Etats arabes. Est-ce exact?
“Bien sûr, le vol spécial était un geste d’amitié envers les Etats arabes et, aussi, la formule la plus à même de donner à toutes les délégations la possibilité d’arriver à Palerme à temps. Mais Rome a beaucoup apprécié que votre gouvernement ait pu réunir ces délégations et donner le signal de l’unité arabe à la veille de la conférence de Palerme.

- Comment le gouvernement italien perçoit-il l’avenir de l’Euro, notamment au plan de la coordination des politiques économiques et monétaires et, aussi, par rapport à la politique des changes?
“L’Euro est bien symbolisé par le “gratte-ciel costaud” qui héberge la banque centrale européenne à Francfort. L’Italie a payé le prix fort en termes de pressions fiscales pour joindre le club de l’Euro. L’ironie du destin, c’est qu’on a déployé un grand effort pour un objectif qui se traduira, aussi, dans une réduction de notre souveraineté nationale. Car, à partir de l’année prochaine, toute politique monétaire ne sera plus nationale. C’est une véritable révolution dans le concept de la souveraineté étatique. La seule crainte réside dans la non-synchronisation de l’union monétaire avec l’unification politique. Il faudra donc voir si la monnaie unique sera capable d’entraîner avec elle l’union politique.”

LES SOMMETS ITALO-ALLEMAND ET ITALO-FRANÇAIS
- Le sommet Prodi-Kohl, ayant eu lieu les 3-4 juin à Bologne a porté, dit-on, sur la poursuite de la construction européenne, après la naissance de l’Euro, sur l’élargissement de l’Europe vers l’Est, les essais nucléaires en Inde et au Pakistan et a préparé le sommet européen de Cardiff, des 15 et 16 juin. Quel a été l’impact des décisions prises?
“Les sommets italo-allemands sont réguliers, ainsi que les sommets italo-français, anglo-espagnols. Ce sont des occasions précieuses pour passer en revue toutes les questions européennes, en relançant des axes bilatéraux pour des secteurs et des questions ponctuelles. Les derniers sommets italo-allemands ont, surtout, servi à rendre manifeste à nos partenaires allemands l’effort déployé par l’Italie pour rejoindre l’Euro.”

LA CRISE DU P.-O., UN CONFLIT DE CULTURES
- L’Italie ne pourrait-elle pas jouer - seule ou dans le cadre de l’U.E. - un rôle positif, visant à régler le conflit du Proche-Orient?
“Le gouvernement italien est assez réaliste pour comprendre qu’une contribution à la paix au Proche-Orient ne se fait pas en jouant cavalier seul, même les Américains n’arrivent pas à le faire. Dans le cadre de l’Union, le gouvernement italien est très actif au plan des concertations qui se font tous les mois à Bruxelles entre ministres des Affaires étrangères.
“Personnellement, je pense que le conflit du Proche-Orient est aussi un conflit de cultures. Il faut travailler davantage pour rapprocher les différentes cultures qui, pendant des millénaires, ont vécu ensemble dans cette région.”

- La France vient de reconnaître le génocide arménien de 1915; l’Italie pourrait-elle lui emboîter le pas?
“L’Italie a été un des pays à recevoir les Arméniens en fuite pendant la Première Guerre mondiale. Beaucoup d’entre eux ont trouvé un havre de sécurité dans l’île de San Lazzaro dans la lagune de Venise. Là, il y a, depuis des siècles, un des plus beaux couvents arméniens. Même en face de ma maison à Gênes, il y a une église arménienne, j’étais ici en 1965 quand la communauté arménienne a organisé le cinquantenaire de 1915, au stade de Beyrouth, avec des milliers de bougies qui s’allumaient la nuit tombante; j’ai été ému.”

PAS DE RÉFORME CONSTITUTIONNELLE EN ITALIE
- La réforme de la Constitution italienne suscite des remous au point qu’un quotidien (la Republica) de centre-gauche, a écrit: “Seul un miracle peut sauver la réforme constitutionnelle, tout en ajoutant: Les miracles ne sont pas rares en Italie.”
“C’est vrai que les miracles ne sont pas rares en Italie mais, en général, ils se limitent à la sphère religieuse. Dans la sphère politique, il n’y a pas hélas! de miracle, mais des compromis. Malgré cela la réforme constitutionnelle n’est pas pour demain, c’est pour après-demain.”

- Silvio Berlusconi qui a été renvoyé en justice pour “l’achat d’un footballeur”, son procès étant fixé au 8 juillet, connaîtrait-il le sort de Bernard Tapie en France et où en est le procès intenté à Bettino Craxi poursuivi, pour financement illicite du parti socialiste italien?
“Les procès qui concernent M. Berlusconi en tant qu’entrepreneur, relèvent des autorités judiciaires, non du ressort du gouvernement, ainsi que les arrêts rendus contre Bettino Craxi.”

- La Scala de Milan s’est produite tout récemment au Liban; quelles sont vos impressions d’autant plus que vous étiez le promoteur de cet événement?
“Un de mes espoirs était de venir au Liban, non les mains vides, mais en présentant le mieux de notre musique pour un public qui est le meilleur du Proche-Orient. La prestation de la Scala de Milan n’a pas voulu être seulement un événement de haute qualité musicale mais, aussi, un hommage à Beyrouth pour marquer la renaissance de cette ville de ses cendres. Si vous avez remarqué, il y avait une Aria le cœur de Nabucco, qui est un hymne à l’espérance d’un peuple en détresse.”

SOUVENIR DE MOGADISCIO
- Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
“J’ai un souvenir cuisant qui me fait encore frissonner; il s’est passé le 21 janvier 1997 après de longs jours de navette entre Mogadiscio Nord et Mogadiscio Sud. J’ai réussi à réunir sur la ligne verte les chefs des deux clans puissants qui se partageaient la ville depuis 1994. L’arrivée sur la ligne verte des deux délégations a suscité un cri immense de “You You” de la part de la population et on a annoncé la dissolution des clivages claniques à Mogadiscio, la capitale somalienne. Quand je suis sorti, après la réunion de réconciliation sur la ligne verte, sur ma Jeep arborant le drapeau européen et non italien, des milliers de gens étaient rassemblés dans la rue. Une femme m’a crié en italien: “Hai portato la pace, non lasciarla fuggire!” “Tu as amené la paix, ne la laisse pas échapper”!

JEANNE MASSAAD

Home
Home