Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

ANATHÈME AMÉRICAIN SUR LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Les incartades américaines ne se comptent plus à tous les niveaux et dans presque tous les domaines. En voilà une et non des moins révoltantes. Il s’agit, cette fois, de l’anathème voué à l’instauration d’une Cour pénale internationale approuvée à Rome le 18 du mois en cours par 160 pays. Seule l’Amérique et six autres de ses satellites se sont abstenus. Mais qu’à cela ne tienne. La Justice a eu gain de cause et c’est elle en fin de compte, qui a prévalu contre les Etats et les forces opposés à l’instauration d’une Cour pénale permanente pour juger les crimes contre l’humanité. La Cour criminelle internationale est désormais une réalité. Il était grand temps.
Les Etats-Unis et comme toujours, partent en guerre contre la création de cette nouvelle juridiction, longtemps attendue. Plusieurs sénateurs américains et non des moins influents, dont le président de la Commission des Affaires étrangères, Jess Helms, ont crié haro sur l’instauration d’une justice pénale permanente, brandissant le retrait des forces américaines stationnées à l’étranger. “Le rejet de ce traité s’avère insuffisant, nous devons le combattre”, aurait affirmé le sénateur Helms, rappelant que ce tribunal serait appelé à juger même les citoyens des pays non signataires. Et d’ajouter: “Le cas échéant, le gouvernement américain doit renégocier les accords sur le statut de nos forces stationnées en Allemagne et dans d’autres pays. Ceux qui refusent, nous les forcerons à reconsidérer le maintien de nos troupes sur leur territoire et leur participation au maintien de la paix, ainsi que nos engagements vis-à-vis de l’OTAN”. Sommation qui ne prête à aucune équivoque. Mais il y a plus répugnant: le porte-parole du département d’Etat, James Rubin, dans un ton non moins grave, conteste ledit traité: “Les Etats-Unis, dit-il, se réservent le droit de s’opposer à la nouvelle Cour de Justice, au cas où ses promoteurs ne procèdent pas aux corrections nécessaires, afin que les Etats-Unis puissent avaler ce traité, arguant, que Washington en conteste plusieurs aspects. Ce traité entrera en vigueur 60 jours après que le 160ème Etat aura déposé sa ratification auprès du Secrétaire général des Nations-Unies. Parmi ceux-ci, l’universalité de la juridiction du nouveau tribunal et son indépendance vis-à-vis du Conseil de sécurité de l’ONU où les Etats-Unis disposent d’un droit de veto. “La ratification de ce traité par quelque pays que ce soit, aura de graves répercussions sur nos relations bilatérales”, aurait averti le sénateur Helms”. Et de rechigner: “Quelle aurait été l’attitude d’un tel tribunal face aux interventions américaines au Panama, à la Grenade, à Tripoli ou à Bagdad? Aurait-il mis en cause les forces américaines?” Et de rappeler que la Cour internationale de La Haye avait ordonné aux Etats-Unis, en 1984, de cesser son minage des ports du Nicaragua et en 1986 pour violation du droit international, Washington avait ignoré la décision de cette Cour.
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Le siècle qui s’achève aurait été celui de tous les provocations, les injustices et les abus. L’impunité des crimes contre l’humanité en est la preuve évidente, érigée en règle commune, défiant la justice, outrageant, impunément, les victimes, à l’échelle planétaire, que ce soit en Afrique, en Asie, en Europe centrale, en Russie, au Moyen-Orient ou ailleurs.
Dans un siècle souillé de génocides, l’humanité tout entière avide de justice, souhaitait de tous ses vœux, la création d’une Cour internationale chargée de réprimer les crimes commis à son encontre. D’où l’importance de la nouvelle juridiction, entravée de réserves et de réticences à la conférence tenue à Rome le 18 juillet, en présence de 160 pays.
Force est de rappeler, en l’occurrence, que le Tribunal de Nuremberg; puis, celui de Tokyo, furent la première expression de cette exigence universelle, alors que ces deux tribunaux symbolisaient la justice des vainqueurs appliquée aux vaincus. Ceci étant, il fallait mettre en place un tribunal international permanent, indépendant des Etats. La convention de 1948 contre les génocides imposait le principe d’une telle juridiction, néanmoins les obstacles demeuraient presque incontournables, même après l’effondrement de l’URSS.
Les génocides, les déportations massives et les tortures impliquent une organisation particulière, une volonté collective capable de les réprimander. Toutefois et pourquoi ne pas le dire à cor et à cri, la poursuite des crimes contre l’humanité s’est toujours heurtée à la scandaleuse realpolitik internationale ou à la fameuse et hypocrite raison d’Etat. L’exemple du tribunal international pour l’ex-Yougoslavie en est l’illustration la plus indigne. On en sait long sur les difficultés que ce tribunal a rencontrées dans son action, souvent de la part de ceux-là mêmes qui l’ont exigée. Les mêmes objections ont été soulevées à Rome contre la création de la nouvelle Cour de justice pénale, surtout par les Etats membres au Conseil de Sécurité et en premier chef les Etats-Unis. La France, faisant exception a, pour sa part et comme à l’accoutumée, adopté une attitude plus positive et constructive. En bref, grâce à la position française et à l’effort louable des organisations non gouvernementales, à l’unisson, la Cour pénale internationale s’est constituée, avec une forte majorité de 120 Etats sur 160 qui ont voté le projet des statuts. Sept Etats seulement, dont les Etats-Unis, ont voté contre. Selon ses statuts, la Cour disposera entre autre d’une compétence et de pouvoirs importants que l’on aurait souhaité plus étendus. Toutefois, durant une période transitoire de six ans, les Etats signataires pourraient refuser par une réserve expresse, la compétence de la Cour pour juger les crimes de guerre. A ce sujet, des arrière-pensées ont été prêtées aux Etats-Unis qui, en l’occurrence, auraient recours à pareille réserve pour protéger leurs ressortissants.
En dépit de ces réserves, la Cour disposera toujours de pouvoirs réels pour faire exécuter ses jugements. Elle a reçu compétence pour connaître non seulement les crimes commis dans les conflits internationaux, mais aussi au cours des conflits internes, car, c’est dans les pays déchirés par la guerre civile et les affrontements communautaires que les génocides, les déportations et les viols collectifs sont le plus souvent commis. Le Conseil de Sécurité devrait être satisfait de trouver dans ce genre de tribunal un bras de fer qui lui servira d’appui.
Enfin, ne faut-il pas saluer en cette nouvelle instance internationale un réveil de la conscience mondiale, longtemps attendu? Dieu veuille qu’elle ne soit pas sous les fourches caudines de la realpolitik internationale, combien outrecuidante à bien des égards! 

 
 “La nouvelle donne planétaire pose la question de son assise, de son aptitude à trouver un nouveau mode de régulation voué inéluctablement à un ordre parfait, fondé sur la justice et le triomphe des Droits de l’homme”.

Charles Malek
Aux signataires de la Charte des Droits de l’Homme (10-12-48).

 

 
 

 

  

 


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