La tension a atteint son paroxysme, mardi dernier, suite à une
réflexion émise par le président Nabih Berri, quand
il a été invité à commenter une déclaration
du président Hariri appelant les hommes politiques et les Libanais
“à troquer la mentalité de la guerre contre celle de l’Etat
des institutions.”
“Ces propos sont valables, a dit M. Berri, mais il faut y ajouter ceci:
Il faut sortir de la mentalité de la ferme”...
La bataille de l’élection présidentielle avait été
ouverte au début de la semaine, à travers M. Mohamed Abdel-Hamid
Beydoun, député sudiste et le bureau médiatique du
président de l’Assemblée.
Rien à signaler du côté de Baabda où le
président Hraoui réitère sa détermination à
ne pas laisser proroger son mandat une fois de plus, parce qu’il a besoin
de repos à son âge (72 ans).
L’échange d’invectives entre MM. Berri et Hariri a rompu la
“trêve de Lattaquieh”, imposée par le sommet libano-syrien
élargi du printemps. Les présidents de l’Assemblée
et du Conseil disent, à présent, que la situation est ouverte
à toutes les éventualités...
LA “RÉVÉLATION” DE DALLOUL...
Tout a commencé par une déclaration télévisée
de M. Mohsen Dalloul, ministre de la Défense, lequel a affirmé
que le président Hariri ne voudrait pas être à la tête
du premier Cabinet du futur régime.
Ceci a incité le président Berri à répliquer
au Premier ministre, par personne interposée à savoir M.
Mohamed A. Beydoun. Celui-ci a interprété l’intention prêtée
au chef du gouvernement, comme une manœuvre visant “à faire élire
un président de la République de son bord, alors que l’élection
du chef de l’Etat doit s’opérer, démocratiquement.”
De plus, M. Beydoun a accusé M. Hariri de transgresser les lois
et d’avoir fait avorter la réforme administrative, après
avoir financé les forces antagonistes, avant de conclure: “Si Hariri
venait à se reposer, tout le pays serait reposé”...
Cependant, le président du Conseil a répliqué
au parlementaire sudiste par l’intermédiaire de son bureau médiatique,
disant que M. Beydoun a mal compris les déclarations faites par
M. Hariri au journal cairote “Al-Ahram.”
Réfutant les allégations de ce dernier, il a rappelé
que le Pouvoir exécutif est partagé entre les présidents
de la République et du Conseil, à travers le Conseil des
ministres.
“Quant à l’avortement de la réforme administrative, ajoute
M. Hariri, M. Beydoun connaît bien la partie qui l’a fait échouer,
les décisions y relatives de caractère personnel ou partisan,
n’ayant pas été prises par le gouvernement.”
QUE FERONT LES DEUX “GRANDS ÉLECTEURS”?
Il faut s’attendre, à présent, à un regain de
tension dans les rapports entre Aïn el-Tiné et Koraytem, à
moins que Damas intervienne, une fois de plus, pour les réconcilier,
afin que leur brouille ne se répercute pas sur l’échéance
présidentielle.
Il est fort possible, aussi, que l’autre “grand électeur” (les
USA) s’emploie à rasséréner le climat, en recommandant
le gel de la controverse, surtout en ce qui concerne l’élection
présidentielle.
D’ailleurs, les milieux officiels craignent que le grand déballage
auquel procèdent MM. Berri et Hariri ait pour conséquence
de rouvrir des dossiers que ni l’un, ni l’autre n’ont intérêt
à étaler au grand jour, étant donné les accusations
échangées précédemment entre les deux pôles
du pouvoir, leur reprise risquant d’éclabousser la “troïka”.
Si, M. Hariri, comme le relèvent les observateurs, avoue
avoir commis des erreurs dans sa façon de traiter avec les forces
politiques, en leur accordant des concessions aux dépens des institutions,
le chef du gouvernement peut, aussi, dénoncer d’autres responsables
et leur faire endosser la responsabilité de l’avortement de la réforme
administrative...
Ce serait pour lui, une façon entre tant d’autres, de détourner
l’attention du projet de loi sur l’échelle des salaires qu’il lui
répugne de faire ratifier par la Chambre, étant donné
les surcharges financières qui en découleront.
HARIRI POSERAIT DES CONDITIONS...
D’aucuns pensent que le Premier ministre pose des conditions pour accepter
de former le futur Cabinet, la première de ces conditions exigeant
un changement radical dans la manière d’exercer le pouvoir aux plans
politique, administratif et judiciaire...
D’autres croient pouvoir dévoiler le “jeu haririen” qui consisterait
pour M. Hariri à prendre ses distances pour quelque temps du Sérail
et d’y revenir, après avoir noyé son successeur dans des
problèmes aussi complexes l’un que l’autre... Il pense, alors, qu’il
serait fait appel à lui et, à ce moment, il se présenterait
en tant que “sauveteur de la République”.
Cela dépend, naturellement, de la personnalité du futur
président de la République dont les “décideurs” commencent
à définir les spécificités: il doit être
une personnalité forte, jouissant de l’appui général
et ayant une vision claire des problèmes qui se poseront durant
la prochaine étape.
Entre-temps, Baabda attend une communication de Damas fixant la date
du sommet libano-syrien, alors que dans l’entourage du président
Hariri on se fait l’écho de sa rencontre, dimanche dernier, avec
M. Abdel-Halim Khaddam, vice-président syrien en charge du dossier
libanais, dont il est revenu visiblement satisfait.
En ce qui concerne l’ordre du jour du sommet, on présume qu’il
comportera les points suivants: le dossier du Liban-Sud, la résolution
425 et l’avenir de l’opération de paix, à la lumière
des entretiens que le président Assad a eus, dernièrement,
avec le président Chirac à Paris et avec son homologue égyptien
durant le week-end, au Caire.
Il va sans dire que la conjoncture libanaise sera au centre des entretiens
bipartites, deux points devant figurer en tête de l’ordre du jour:
d’abord, la prochaine visite du président Assad au Liban et, naturel-lement,
l’élection présidentielle dont la bataille est maintenant,
quoi qu’on dise, virtuellement ouverte.
OUVERTURE DE DOSSIERS BRÛLANTS?
En attendant que soit prise une décision ferme par rapport à
l’élection présidentielle, on s’attend que des dossiers brûlants
soient rouverts, notamment ceux relatifs à la mise en adjudication
des autoroutes et aux études préliminaires y relatives; au
bureau des médicaments, ainsi que d’autres scandales dont la révélation,
en ce moment précis, viserait à discréditer des “présidentiables”
potentiels...
Sur ce terrain, le clan haririen serait le plus vulnérable,
les membres du Cabinet et les conseillers du Premier ministre s’étant
montrés, en général, en-deçà des responsabilités
et, surtout, incapables d’empêcher le gaspillage et la dilapidation
des fonds publics.
M. Hariri deviendrait une cible facile, s’il entravait la ratification
de la nouvelle échelle des salaires et la convocation de la Chambre
en session extraordinaire. Le président Berri prendrait, alors,
la tête du mouvement contestataire, non seulement au plan parlementaire
mais également syndical, surtout s’il fait réélire
M. Elias Abou-Rizk à la tête de la CGTL, en remplacement de
M. Ghanim el-Zoghbi, “homme de Hariri” ayant présenté sa
démission pour n’avoir pu réaliser son programme.
Cela dit, les milieux économico-financiers ne cachent pas leur
crainte de répercussions néfastes pour l’économie
nationale et les secteurs productifs, pouvant résulter de la partie
de bras de fer dont la scène politique serait le théâtre
à l’approche des présidentielles.