Chronique


Par JOSE M. LABAKI  

 

À LA RESCOUSSE D’UNE RUSSIE QUI FAIT NAUFRAGE

Certes, le processus est assez long, étant soumis à des controverses politiques, économiques, sociales, institutionnelles et culturelles. Jusqu’à l’heure, il a toujours échoué. Les tentatives d’occidentaliser la Russie, afin d’attirer les investisseurs et les bailleurs de fonds étrangers, viennent de loin. A la fin du XVIIème siècle, la Russie n’était pas seulement différente de l’Europe, mais très en retard par rapport à elle.
Pierre le Grand a, le mieux réussi peut-être, à faire de la Russie une partie de l’Europe que l’Europe une partie de la Russie. A l’instar de ce modèle, Lénine et Staline à un moindre degré. Catherine II et Alexandre II, ont tenté de la faire tout en augmentant le pouvoir autocra-tique. Mikhaïl Gorbatchev s’est épuisé en vain! Boris Eltsine et la “Nomenklatura” qui l’entoure parviendront-ils à intégrer la Russie dans l’orbite occidentale? La société russe du troisième millénaire, demeurera-t-elle aussi hybride et réfractaire? L’avenir de la démocratie libérale en Russie, restera-t-il incertain? A vrai dire, la lutte entre Slavophiles et partisans de l’occidentalisation s’est interrompue lorsque Soljenitsyne et Sakharov ont remis en cause, le système totalitariste, une fois celui-ci effondré, le débat sur l’identité russe a repris de sa rigueur. La Russie sous Boris Eltsine, est non seulement en faillite mais subit comme par le passé, le choc des civilisations. Elle est en très mauvaise posture. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les experts du FMI et les bailleurs de fonds occidentaux qui le disent haut et fort. Tout le monde est dans l’impasse, à la recherche d’une solution de rechange. La crise budgétaire est à son paroxysme et risque d’entraîner de très graves bouleversements politiques. Les observateurs de tous bords dixit, Boris Eltsine et ses gouvernements successifs ont largement contribué à cette sinistrose.
Dans un climat aussi délétère, les Occidentaux via le FMI viendront-ils à la rescousse d’une économie déficitaire d’un pays au bord du gouffre?
Le FMI, lui aussi, en difficulté, vient de débloquer on ne sait d’où et comment, 22 milliards de dollars sur deux ans. C’est étonnant et pourtant vrai. Son directoire devait autoriser dans l’immédiat, le versement des six premiers milliards pour couvrir les besoins imminents du gouvernement Krienko qui, lui aussi, bat de l’aile. Or, jusqu’à l’heure, les bailleurs de fonds occidentaux renâclent. Les représentants du FMI à Moscou hésitent à leur tour à fournir la première tranche de 670 millions de dollars du crédit triennal, arguant du fait que le gouvernement en place s’avère incapable de créer un système fiscal digne de ce nom, pour combler ce déficit évalué à plus de 22 milliards de dollars, fût-il à long terme et ne remplissait aucun des engagements, de l’agenda établi à cet effet. L’ensemble des lois déposées à la Douma, censées dissimuler ce déficit ont peu de chance d’être approuvées.
Face à cette situation catastrophique, la crise budgétaire étant d’une ampleur telle, qu’elle pourrait éventuellement provoquer de graves perturbations politiques à tous les niveaux, ce qui n’est pas du tout souhaitable. Toutefois, le spectre de la dictature pointe-t-il à l’horizon? Boris Eltsine, avec l’habileté qui le caractérise, vient de sonner l’alarme, en réunissant au Kremlin, les principaux chefs de l’armée, les ministres de l’Intérieur et de la sécurité, évoquant d’une voix crispée, la menace d’un putsch. “Le bruit des bottes retentit déjà, aux abords de la capitale”, aurait-il dit. Dans ses entretiens avec ses partenaires occidentaux, il se présente comme l’unique bâtisseur de la Russie des temps modernes, le seul garant de la démocratie libérale. Ses avertissements ont atteint leur but. Le président Bill Clinton, a usé de toute son influence auprès du FMI pour venir au secours de Boris Eltsine et son régime.
A en croire les observateurs, il y a dans tout ce scénario, une grande part de flagornerie. En effet, Boris Eltsine vient d’avouer à la Douma qu’il n’avait jamais redouté un putsch et qu’un tel danger relevait de l’utopie.
Cependant, ce ne sont évidemment pas les manœuvres de Boris Eltsine à elles seules qui auraient convaincu les bailleurs de fonds occidentaux de voler à toute allure au secours de la Russie, étant fort renseignés sur l’état de l’économie russe et qu’après six ans de “politique monétariste”, qu’eux-mêmes avaient exigée, le gouvernement de Moscou se trouve coincé. Mais, sachant que la Russie n’est pas en mesure d’avoir un gouvernement démocratique mieux que l’actuel, raison de plus pour tenter de lui lancer une bouée de sauvetage.
Et les experts du FMI de scander: “Les finances publiques d’un pays en déprime, ne peuvent-être alimentées au quotidien par des emprunts étrangers”. La Presse internationale et les médias, plus sceptiques que jamais s’interrogent: “Ce nouveau prêt octroyé à la Russie n’est-il pas le verre de vodka qu’on donne à l’alcoolique en état de manque?”
A en croire les sondages, la majorité des Russes ne croient pas que le gouvernement Krienko puisse sortir le pays de cette crise qui va crescendo et n’a toujours pas honoré ses engagements de payer les arriérés de salaires. Les grèves se multiplient; les syndicats modérés commencent à se radicaliser et annoncent une grêve générale pour le mois d’octobre. “Notre crise, crient-ils, est avant tout la crise du pouvoir”. Boris Eltsine est de plus en plus coupé du pays réel. “La main invisible du marché qui devait arranger harmonieusement nos affaires conformément à la théorie d’Adam Smith, nous a fait un pied de nez et nous a plongés dans le chaos”, ajoutent-ils.
***

La Russie du troisième millénaire va-t-elle, enfin, adopter les valeurs, les institutions et les méthodes occidentales et tenter de s’intégrer à l’Occident? Ou bien incarnera-t-elle à nouveau une civilisation orthodoxe euro-asiatique, différente de l’Occident, dont le destin serait à la fois lié à l’Occident et à l’Asie?
Les élites intellectuelles et politiques sont divisées sur ses options. Il y a, d’un côté, les cosmopolites et les Atlantistes et, de l’autre, les successeurs des Slavophiles qualifiés diversement de nationalistes et d’euro-asiatiques ou d’étatistes.
Les principales différences et les écarts entre ces deux tendances portent sur la politique extérieure, sur les réformes économiques et la structuration de l’Etat, les points de vue variant d’un extrême à l’autre. De nombreux conseillers influents du président Boris Eltsine souhaiteraient (les réformistes) vivement que la Russie devienne un pays normal, intégré au Club G7. Le camp adverse pense différemment. Cette dualité laissera la Russie longtemps en butte à l’inconnu. Face à ces ambiguïtés, les bailleurs de fonds feront sûrement marche arrière et la situation deviendra vraisemblablement plus dramatique que jamais. Dieu veuille qu’il n’en soit pas ainsi. C’est au peuple russe qu’il incombe de faire le choix, entre une démocratie libérale, ou le retour à un totalitarisme avilissant et destructif.
Etrange destin que celui de la Russie qui n’a guère eu les moyens de ses ambitions, soucieuse, surtout, de résoudre ses difficultés séculaires, parfois par des méthodes empruntées à l’Occident sans jamais y parvenir. C’est d’une totale conversion à la démocratie dont elle a besoin. Puisse-t-elle réussir ce compromis. 

 
 “Pour qu’un pays comme la Russie réussisse à s’occidentaliser, trois conditions sont requises: tout d’abord, l’élite politique et économique doit soutenir cette conversion. Deuxièmement, l’opinion russe doit être prête à l’accepter. Troisièmement, les éléments dominants de l’apport occidental doivent être disposés à accueillir le converti.”

Andrei Sakharov

 

 
 

 

  

 


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