La transplantation rénale s’est perfectionnée au fil des
temps et des découvertes scientifiques. Avant l’avènement
des immunosuppresseurs (médicaments anti-rejet), toutes les tentatives
de greffe rénale étaient vouées à l’échec,
exception faite des isogreffes (greffe entre deux sœurs ou frères
jumeaux portant le même code génétique).
En 1963, la découverte du premier immunosuppresseur (l’azathioprine)
et son association avec la cortisone, ouvrent la voie aux pratiques des
homogreffes (transplantation dans la même espèce: d’homme
à homme, de souris à souris...). Mais la corticothérapie,
mal dosée à l’époque, entraînait des infections
et provoquait la mort des patients greffés.
C’est seulement dans les années 80 que la découverte
d’un nouveau médicament anti-rejet (la “ciclosporine”) révolutionne
la médecine moderne en matière de transplantation de toutes
sortes d’organes (rein, foie, cœur, poumon, pancréas, intestins,...).
Mis au point par un Suisse, le Dr Borel, il réduit les risques de
rejet, permet de diminuer les doses de cortisone et, par conséquent,
les risques d’infection.
PREMIÈRES TENTATIVES EN 1970
Au Liban, les premières tentatives de greffe effectuées
en 1970 à partir de reins importés de très mauvaise
qualité, se soldent par des échecs.
La pratique de transplantation rénale marque un temps d’arrêt
jusqu’en 1985, date à laquelle d’autres centres opèrent des
greffes provenant de donneurs vivants apparentés et de rares donneurs
décédés. Cette activité, paralysée en
période de guerre, reprend début 1990 avec l’ouverture progressive
de plusieurs centres de transplantation.
Comment se procurer les organes?
Comme nous l’a bien précisé le Dr Maroun Moukarzel, urologue
et transplanteur rénal, les reins greffés doivent avoir préalablement
fait l’objet d’un don. La loi libanaise (décret NÞ109, article
1) le stipule, d’ailleurs, très clairement: “Le prélèvement
d’organe ou de tissus doit se faire sous forme de donation gratuite et
sans conditions.”
Le prélèvement s’effectue de deux manières:
- Sur donneurs vivants, génétiquement apparentés
au receveur (père, mère, fils, fille, grands-parents, frère,
sœur) ou émotionnellement liés à celui-ci (époux,
épouse).
- Sur donneurs décédés en état de mort
cérébrale.
Cette deuxième alternative, que les médecins entendent
promouvoir au Liban, éviterait l’ablation d’un rein à un
volontaire sain, répondrait au nombre croissant de receveurs en
attente et réduirait le trafic de la vente d’organes.
L’article 2 du décret 109 autorise le prélèvement
de tissus ou d’organes sur un homme mort, si l’une des deux conditions
suivantes est remplie:
1- Que ces prélèvements aient été autorisés
par la personne décédée, de son vivant, soit par un
testament réglementaire, soit par un écrit authentifié.
2- Que la famille du défunt ait donné son aval pour les
prélèvements.
Or, en pratique, l’accord écrit du donneur ne suffit pas. Les
médecins s’adressent toujours à la famille du défunt
qui, très souvent, s’y oppose.
De plus, les personnes décédées, en état
de mort cérébrale, n’ont généralement pas pensé
à l’éventualité d’un tel accident, ni fait connaître
leur acceptation ou leur refus de prélèvement. Les médecins
se heurtent, une fois de plus, à l’objection de leurs proches
parents.
Transplantation du rein à un receveur. |
Rein prélevé sur donneur. |
REFUS DE LA FAMILLE
Le manque de dons cadavériques serait donc principalement dû
à la réticence des proches parents d’autoriser le prélèvement
et ce, pour diverses raisons:
1- Leur non information et leur ignorance du concept de mort cérébrale,
d’autant plus que ce genre de décès laisse subsister de fausses
apparences de vie.
La mort cérébrale (ou encéphalique) peut se définir
comme suit: Certaines personnes, victimes de traumatismes ou d’accidents
cérébraux, tombent dans un état de coma dépassé,
caractérisé par la destruction de toutes les cellules du
cerveau. Leur mort doit être attestée par des neurologues
suivant des critères scientifiques adoptés mondialement (voir
encadré).
Quoique déclarées mortes, leurs battements cardiaques,
leur respiration et leur circulation sanguine sont artificiellement maintenus
en fonctionnement à l’aide de machines et drogues spéciales,
dans une perspective de don d’organes: les organes non irrigués
par le sang sont vite nécrosés (morts) en l’espace de quelques
minutes et ne peuvent plus servir pour une transplantation.
L’ignorance de tous ces faits scientifiques et la difficulté
qu’éprouve la famille à les admettre, la pousse très
souvent à opposer son veto.
2- Le manque de confiance qu’elle accorde au corps médical l’amène,
également, à refuser. Elle redoute le fait que certains médecins
puissent s’adonner au trafic d’organes.
3- La décision de certains proches parents demeure influencée
par des considérations purement métaphysiques. Ils se demandent
si corrélation il y a, entre la résurrection et l’ablation
des organes.
4- Le respect du mort entre, aussi, en ligne de compte. La famille
du défunt craint que le prélèvement soit synonyme
de mutilation. Alors qu’en réalité, l’ablation s’effectue,
comme pour toute opération chirurgicale, avec une restauration tégumentaire
parfaite.
Un phénomène d’un tout autre ordre contribue, également,
à réduire le nombre de donneurs cadavériques: les
centres hospitaliers ne pratiquant pas la greffe rénale et s’abstiennent
de déclarer les cas de mort encéphalique enregistrés
chez eux.
Serait-ce par solution de facilité et souci d’éviter
les démarches, formalités et frais qui en découleraient:
aviser la famille du défunt, effectuer le prélèvement
sur place ou se charger des frais de déplacement et de prélèvement
d’organes? Ou bien serait-ce plutôt dû à l’esprit de
compétition entre les différents hôpitaux?
COMMENT SE DÉCIDE LA GREFFE D’UN REIN?
Diverses maladies nécessitent le recours à la transplantation
pour cause d’insuffisance rénale: les malformations congénitales
du rein (hypoplasie, dysplasie), les maladies héréditaires
(polykystose familiale, hyperoscalurie), les glomérulonéphrites,
les maladies infectieuses, le diabète, les malformations urologiques,
les calculs, etc...
Dans une première étape et en l’absence de greffon, les
malades sont dialysés pour débarrasser leur sang des produits
toxiques accumulés, suite à la perturbation de leur fonction
rénale. Des efforts sont, actuellement, déployés pour
les greffer avant même de les soumettre aux séances éprouvantes
de dialyse.
Avant toute greffe, des tests de compatibilité s’imposent, afin
de choisir le meilleur donneur: les groupes sanguins du donneur et du receveur
doivent s’accorder comme pour une transfusion sanguine. Les médecins
tentent de prévoir le degré d’acceptation de la greffe par
le receveur, en testant son sérum avec les cellules du donneur (cross-match).
Ils s’assurent, en outre, de la bonne santé du donneur pour écarter
tout risque de transmission de maladies au receveur.
Une fois la greffe effectuée, le receveur absorbera, sa vie
durant, des médicaments anti-rejet (ciclosporine et autres) capables
de diminuer l’intensité de ses réactions immunologiques.
L’Etat contribue entièrement aux frais de l’intervention chirurgicale
et, partiellement, au financement du traitement médicamenteux. Il
ne couvre, cependant, pas les tests de préparation pré-opératoires.
TRAFIC D’ORGANES
Les lois du monde entier bannissent la vente et l’achat d’organes,
notamment les résolutions WHA 40.13 et 42.5 de l’Organisation Mondiale
de la Santé (OMS), (principes directeurs 5,6 et 7). Les religions
considèrent le don d’organes comme un acte de charité altruiste
effectué sans aucune contrepartie financière.
Toutefois, devant la pénurie de donneurs potentiels (vivants
ou décédés), un commerce honteux et illicite s’est
développé au Liban et dans certains autres pays (Irak, Inde...)
Au Liban, la loi prohibe un tel trafic mais, en pratique, les demandes
et offres se multiplient dans les rubriques “petites annonces” des quotidiens.
L’Irak abrite, actuellement, le plus grand trafic d’organes. Les malades
libanais s’y rendent dans l’espoir de se procurer un rein (dont le prix
varie entre 300 et 400 dollars) et se le faire greffer. En l’absence de
technicité et de médicaments appropriés, les résultats
de ces transplantations se révèlent, en général,
décevants. Selon les estimations des spécialistes, les infections
post-opératoires, ainsi que les échecs sont fréquents.
MORT CÉRÉBRALE ET DON POSTHUME
Découvert dans les années 40/50, le respirateur, utilisé
avec la ventilation assistée, permettait de maintenir en vie certains
malades ou accidentés. Les uns guérissaient de leurs affections
au bout de quelque temps et retrouvaient leur fonction respiratoire naturelle.
D’autres ne se sont jamais réveillés.
Devant ce fait, deux neurologues français, Mollaret et Goulon,
élaborent en 1959 des critères médicaux capables d’identifier
les comateux en état de mort encéphalique, qu’aucun effort
ne pourrait plus jamais rendre à la vie.
Dix ans plus tard (en 1968), l’Amérique suivie par la France
et l’Europe, légalise ces critères désormais connus
sous le nom de critères de Harvard et présentés en
des termes plus élaborés. Nous les retrouvons dans la loi
libanaise (décret NÞ1442, article 2): “La mort cérébrale
(ou coma dépassé) doit être attestée par deux
médecins, dont un neurologue, qui constatent chez la personne considérée
comme morte, l’association des conditions suivantes:
1- Coma et absence de réponse à tout stimulus sensoriel
ou douloureux.
2- Absence de respiration et de mouvements.
3- Absence de réflexes céphaliques.
4- Mydriase (dilatation de la pupille).
5- Electroencéphalogramme plat pendant au moins dix minutes,
alors que la température corporelle n’est pas inférieure
à 32Þ2, la personne ne devant être ni en état
de choc, ni sous l’influence de sédatifs du système nerveux
central.
6- La personne doit être surveillée pendant au moins 30
minutes au décours d’une période de 6 heures de coma.”
Le don posthume intervient en cas de mort encéphalique, alors
que les organes du défunt sont maintenus, artificiellement, en fonctionnement
par souci de leur éviter ischémie et nécrose.
En France, comme dans la plupart des pays étrangers, les lois
régissant le don et le prélèvement d’organes stipulent
que seule compte l’opinion du défunt, telle qu’il avait pu la faire
connaître de son vivant et non celle de sa famille. Sa volonté
est enregistrée sur le permis de conduire ou sur un modèle
uniforme de carte que le sujet porte sur lui.
Au Liban, en dépit du décret 109, article 2, les médecins
demandent toujours le consentement de la famille du défunt avant
de procéder au prélèvement. Situation très
pénible, car il s’agit de demander une décision urgente et
délicate à une famille désemparée et, très
souvent, réticente. Cet état de fait limite grandement le
nombre de dons cadavériques déjà très insuffisant.
Plus aucune difficulté n’entraverait le don d’organes posthume,
si le prélèvement faisait l’objet d’échange et de
réflexion au sein même de la famille. Le futur donneur devrait
exprimer, ouvertement, son souhait à son entourage, le préparer
moralement à cette idée pour lui éviter embarras et
doute au moment de sa mort.
De même, il serait souhaitable d’organiser des campagnes d’information
visant à sensibiliser les Libanais à la notion de mort cérébrale
et au don posthume, synonyme d’acte solidaire.
II - LA TRANSPLANTATION HÉPATIQUE POUR
AUGMENTER L’ESPÉRANCE DE VIE
UNE PREMIÈRE AU LIBAN
La première greffe hépatique effectuée à
Denver, en 1963, par le Dr Tomas Starzl, ainsi que plusieurs autres tentatives,
se soldent par des échecs consécutifs dus au problème
de rejet. Les pratiques de transplantation hépatique connaissent,
alors, une période de stagnation pour reprendre de plus belle dans
les années 80 avec l’avènement de la ciclosporine.
La greffe demeure l’unique remède pour certaines affections
hépatiques à l’instar des cirrhoses (virales, alcooliques,
biliaires,...), des petits cancers primitifs du foie (qui prennent naissance
à l’origine dans le foie et non les cancers métastatiques
localisés secondairement dans le foie), des hépatites virales
fulminantes (nécessitant une greffe dans un court délai de
2 à 3 jours, avant que mort s’ensuive).
DE QUEL DON S’AGIT-IL?
Chirurgien de l’équipe de transplantation et spécialiste
en chirurgie digestive et hépatobiliaire, le Dr Roger Noun explique
l’importance du don cadavérique pour ce genre de transplantation:
le foie du donneur est entièrement greffé au receveur. Le
foie prélevé doit être appareillé au poids du
recevoir pour garantir la réussite de l’opération (le poids
du foie représente en général 2% du poids total d’un
homme).
Cependant, pour pallier la pénurie en dons d’organes, les médecins
effectuent des prélèvements sur donneur vivant et ce, uniquement,
dans le cas d’un donneur adulte à un receveur enfant. Le foie de
l’enfant étant de petite taille, on prélève environ
30% du foie du père ou de la mère (lobe gauche). L’opération
de prélèvement, très délicate, mettrait la
vie du donneur en péril. Elle nécessite la participation
d’une équipe médicale compétente en la matière
et le recours à une technique spéciale, afin d’arrêter
le saignement abondant dû à l’ablation. Il est, par conséquent,
difficilement concevable qu’un trafic de foie puisse être organisé,
car seuls les parents du malade entreprendraient une telle démarche
courageuse.
Pour le moment, la greffe hépatique des enfants à l’Hôtel-Dieu
constitue une perspective d’avenir, en attendant qu’un chirurgien pédiatre
se joigne à l’équipe.
Voici, pour nous résumer, les dons et greffes hépatiques
possibles:
Don cadavérique: pour donneur adulte, receveur adulte; pour
donneur enfant, receveur enfant.
Donneur vivant: pour donneur adulte, receveur enfant.
FINANCEMENT DE LA GREFFE
L’opération de greffe hépatique dure, à elle seule,
environ 12 heures, sans compter le prélèvement. Elle ne peut
se concevoir que dans un CHU à l’instar de l’Hôtel-Dieu, groupant
un plateau multidisciplinaire de spécialistes concernés par
la transplantation: une équipe de transplantation (hépatologues,
chirurgiens hépatiques), des réanimateurs, des responsables
de laboratoires capables de lire les biopsies hépatiques, des infectiologues,
pneumologues, cardiologues, un service de radiologie et un laboratoire
de pointe.
Une surveillance indispensable, vigilante et continue est de même
assurée dans un CHU, grâce aux étudiants en formation.
Cette opération délicate et compliquée requiert
un séjour d’une semaine à dix jours en unité de réanimation,
ainsi qu’un mois d’hospitalisation. Son coût moyen est chiffré
à 75.000 dollars.
Sans une prise en charge sociale par le ministère de la Santé,
elle demeure inaccessible pour la majorité des malades. Leur seul
espoir actuel serait d’être secondé par des associations caritatives
ou des organismes humanitaires.
EN QUOI CONSISTE LE REJET?
Chaque être humain se distingue par un système immunitaire composé d’antigènes HLA (Human Leukocyte Antigens) caractérisant ses globules blancs et les cellules de son corps. L’incompatibilité des groupes HLA du donneur et du receveur explique donc la non assimilation du greffon attaquée par l’organisme du transplanté. Les médicaments immunosuppresseurs se chargent, comme l’indique leur nom, d’affaiblir la réaction immunologique du receveur aboutissant au rejet. Il s’agit, toutefois, de bien doser ces médicaments, afin d’éviter les cas d’infection. Deux types de rejet sont répertoriés dans la greffe hépatique: • Les rejets aigus parfaitement contrôlés par les médicaments immunodépresseurs. • Les rejets chroniques qui touchent, uniquement, 5% des malades greffés et nécessitent une retransplantation. |