Mais ces médias et la toute puissance de l’Internet ont largement
illustré leurs limites. S’ils véhiculent l’information et
défendent des idées, ils ne constituent pas nécessairement
des relais de l’opinion publique.
Comment expliquer qu’en dépit de la bombe Starr et du choc énorme
ressenti par les Américains, ceux-ci n’aient pas abandonné
leur président dont ils réprouvent totalement le comportement
irresponsable, mais dont la cote de popularité a fort curieusement
atteint les 67%, tandis que celle de son épouse Hillary, considérée
il n’y a pas longtemps comme la First Lady la plus impopulaire des Etats-Unis,
soit montée à 59%?
![]() Bill et Hillary Clinton à la Maison-Blanche. |
![]() David Kendall, un des avocats de Clinton: “Il n’existe pas de preuves crédibles justifiant l’ouverture d’une procédure de destitution.” |
LA RUÉE PORNO
Les principales chaînes de télévision avaient interrompu
leurs programmes pour suivre en direct l’arrivée des documents au
Capitole où siège le Congrès: 36 cartons blancs contenant
18 documents originaux et 18 copies, un rapport de 445 pages (introduction
de 25 pages, récit détaillé de 280 pages, une analyse
de 140 pages) auxquels s’ajoutent 2.200 pages de documents réunissant
les dépositions de 78 témoins, bandes audio et vidéo,
etc... Les éléments de cette bombe explosive ont été
déposés dans la salle H2-186. Et c’est par un vote de 363
voix contre 63 que la Chambre des représentants a décidé
de placer directement sur le web les 445 pages du rapport Starr, tandis
que les 2.200 pages d’annexes devraient être publiées le 28
septembre.
Le grand scandale de cette fin de siècle a reçu sur les
chaînes de télévision et dans les journaux américains,
une couverture sans précédent. Si la plupart des médias
publiaient de larges extraits du rapport Starr, certains comme le “Washington
Post” en publiaient intégralement, mettaient en garde les jeunes
lecteurs de n’y point s’aventurer et renvoyaient ceux qui le désiraient
à leurs sites web pour en prendre totalement connaissance.
L’immense intérêt suscité par le rapport Starr
a franchi l’Atlantique. A titre d’exemple, le très respecté
journal “Le Monde” publiait un supplément de 16 pages, dont 10 relatives
aux relations entre Bill et Monica. Il avait sollicité les services
de 19 traducteurs. Les 445 pages du rapport étaient accessibles
sur son site Internet à l’instar des grands journaux et des principales
chaînes de France.
La même onde de choc a parcouru l’univers de la mondialisation
et traversé les marchés boursiers. En Grande-Bretagne, en
Belgique, en Allemagne, en Asie, en Extrême-Orient, en Afrique, le
monde entier connaissait désormais dans le menu détail les
jeux sexuels de Bill et Monica livrés en pâture à la
curiosité universelle au nom du droit et de la justice. Les onze
chefs d’inculpation énumérés par le procureur Starr
(qui fouille depuis quatre ans et demi dans la vie du couple présidentiel
et qui a livré ses conclusions au bout de huit mois d’enquête
dans l’affaire Lewinsky) rendent le chef de la Maison-Blanche coupable
de “parjure, d’entrave à la justice, de subornation de témoins
et d’abus de pouvoir, ce qui pourrait constituer le point de départ
d’une procédure d’empeachment...”
![]() Dans les cybercafés, les citoyens branchés sur Internet. |
![]() Eltsine recevant Primakov au Kremlin |
LE DERNIER MOT REVIENT À L’OPINION PUBLIQUE
Dix rencontres sexuelles entre le 15 novembre 1995 et le 29 mars 1997,
échange de 48 cadeaux, dont 30 de la jeune stagiaire et 18 du président,
50 conversations téléphoniques. Les détails sont d’une
précision telle que l’on peut s’interroger sur le rôle exact
joué par Monica Lewinsky, follement amoureuse du président.
Elle n’aurait pas été placée par pur hasard à
la Maison-Blanche et avait pris elle-même l’initiative de la relation.
Peut-être, avait-elle été sincère! Mais l’idée
d’une traque tendue au président semble plausible. Pourquoi la jeune
stagiaire avait-elle gardé la robe tachée du sperme présidentiel,
enregistré ses appels téléphoniques et retenu les
dates de leurs débats? S’étant comporté comme un collégien,
le président, atteint dans son point faible, un goût prononcé
pour les aventures sexuelles - il en compterait des centaines - était
tombé dans la nasse de ses détracteurs républicains.
Depuis le 17 janvier, date de sa déposition dans l’affaire Paula
Jones, le président était devenu une proie vulnérable
que le procureur Starr traquait à la minute près. Contraint
de mentir une première fois sous serment, alors qu’il pouvait refuser
au départ d’entrer dans le jeu du procureur, arguant du fait que
sa vie intime le concernait uniquement, il était pris dans la logique
du mensonge, dont il ne pouvait se libérer que par des aveux publics.
Tenté par le jeu sémantique pour justifier qu’une relation
sexuelle qui se limitait à des jeux (fellation et usage de cigare)
n’en était pas une tant qu’elle n’allait pas à son terme,
il s’est rendu involontairement prisonnier de ses propres mensonges. Il
multipliait alors les stratégies du repentir à répétition
répercuté de Washington, à Moscou et Belfast et repris
dans la capitale fédérale au niveau des démocrates,
des membres de son Cabinet, de ses proches.
Les larmes aux yeux, lors du petit déjeuner annuel réunissant
125 leaders religieux à la Maison-Blanche, le président américain
confessait humblement: “Oui, j’ai péché (...) Je ne pense
pas qu’il y ait une manière élégante de dire que j’ai
péché (...) A ma famille, avant tout, c’est elle qui importe,
à mes amis, à mes collègues, à mon gouvernement,
à Monica Lewinsky et à sa famille, je demande pardon. (...)
Si mon repentir est réel et profond, alors quelque chose de bon
peut émerger de cette crise tant pour mon pays que pour moi et ma
famille.”
Auparavant, Hillary qui observait le silence depuis la déposition
de son époux le 17 août dernier, lui avait officiellement
accordé appui et absolution lors d’un dîner pour la collecte
de fonds en faveur du Parti démocrate: “Je suis fière de
sa façon de diriger; je suis fière de ce qu’il donne à
son pays et à chacun d’entre nous chaque jour par son engagement.”
Tirant la leçon du jour, le “New York Times” qui relève
des “contradictions” dans les informations livrées par le rapport
Starr, conclut: “Le dernier mot revient à l’opinion publique”. “Le
verdict du peuple est ce qui comptera le plus”, reprend le “Toronto Star”.
![]() Primakov avec le speaker de la Douma, Guennadi Seleznev |
![]() Un citoyen de Saint-Pétersbourg suit par la lecture d’un journal l’évolution de la situation. |
FÉROCITÉ DU COMBAT POLITIQUE
Le quotidien “Le Monde” décrit Starr comme un “monstre digne
des rapports de l’inquisition” et l’accuse de vouloir imposer “un ordre
moral terrifiant où le sexe n’est jamais loin du péché,
où même des relations sexuelles entre deux adultes consentants
est toujours quelque chose de terrible”. Et il estime “qu’un nouveau Maccarthysme
a remplacé la peur du communisme par la terreur de la sexualité.”
Encore une heureuse formule de “Libération” évoquant “un
vaudeville surréaliste qui télescope deux univers séparés,
l’intimité sexuelle et l’ordre constitutionnel.”
Clinton qui n’avait pas lu le rapport Starr à sa publication
et n’en avait pas reçu copie au préalable comme ses avocats
l’avaient réclamé, tout en faisant acte de contribution,
avait déclaré avoir “donné pour instruction à
ses avocats de mettre en place une vigoureuse défense”. Ceux-ci
ont mené leur contre-offensive avant même la publication du
rapport dévastateur en publiant un document de 73 pages; puis, ont
adressé, samedi, au Congrès un mémorandum de 42 pages.
Dans l’un comme dans l’autre, ils réfutent, point par point, les
accusations soutenues par le procureur Starr: “Le président n’a
pas commis de parjure. Il n’a pas suborné de témoins et il
n’a pas abusé des pouvoirs de sa fonction.” Ses avocats conduits
pas David Kendall et Charles Ruff affirment, en outre, que le rapport ne
contient pas “de preuves crédibles justifiant l’ouverture d’une
procédure de destitution. Le président qui vient de traverser
une “semaine épuisante” comme il l’a lui-même confié
lors de son allocution radiophonique hebdomadaire, est déterminé
à “travailler pour le peuple américain”.
Le vice-président Al Gore que l’on avait dit absent de la capitale,
est venu, lui a, à nouveau réitéré son soutien.
“Je ne crois pas qu’il y ait des motifs de destitution permettant d’aller
contre le choix des Américains qui ont décidé en 1992
et 1996 que Bill Clinton sera leur président.”
Le choc est toutefois réel au niveau des démocrates,
mais surtout des républicains dont les ténors multiplient
les déclarations tapageuses et crient au scandale, comme s’ils n’étaient
pas eux-mêmes vulnérables et qu’un passage à la loupe
de leur vie privée ne révèlerait pas des zones d’ombres
encore plus pernicieuses que celles de Bill Clinton.
DU BLÂME À LA DESTITUTION
Aujourd’hui, le sort du président est entre les mains de Henry
Hyde, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants
qui comprend 35 élus, dont 20 républicains et 15 démocrates.
A la lumière du rapport Starr, ce républicain de 74 ans,
autrefois démocrate, catholique, probe et digne de confiance, a
promis qu’il mènera à terme son travail sans se laisser hypothéquer
par la politique: “Nous nous livrerons à un examen impartial, complet
et indépendant, des preuves, par nous-mêmes et nous établirons
nos propres conclusions”, a-t-il indiqué.
C’est Henry Hyde qui pourrait mettre en branle la procédure
d’“empeachment” du 42ème président des Etats-Unis. Après
une enquête approfondie, il soumettrait l’accusation au vote de la
Chambre des représentants. Après le vote à majorité
simple, celle-ci transmettrait l’affaire au Sénat qui tient lieu
de Cour de justice et qui sera présidé, alors, par le premier
juge de la Cour suprême. L’“empeachment” devrait être voté
à la majorité des deux tiers.
C’est pour ne pas tomber sous l’humiliation de l’“empeachment” que
Richard Nixon, victime du scandale du Watergate, avait choisi de démissionner
en août 1974. Deux tentatives précédentes n’avaient
pas abouti. En 1842, la Chambre avait refusé de poursuivre John
Taylor tombé sous le coup de l’“empeachment”. Et en 1968, c’est
à une voix près qu’Andrew Johnson avait échappé
à la destitution par le Sénat.
La procédure est longue et prendrait de six mois à un
an. La tendance, aujourd’hui, dessinée notamment par les élus
démocrates, serait la formule d’un blâme prononcé par
le Congrès pour répondre aux vœux de l’ensemble des Américains
qui voudraient garder leur président mais qui désapprouvent
son comportement.
L’enjeu immédiat des remous actuels, ce sont les législatives
du 3 novembre. L’issue de ce scrutin est désormais liée à
l’onde de choc de la bombe Starr, justement programmée dans cette
perspective.