- Etes-vous candidat cette fois?
“Il est du droit de chaque Libanais de présenter sa candidature
aux présidentielles, lorsqu’il possède des constantes et
des objectifs clairs et nets. Pour l’instant, je suis dans une phase de
réflexion et de recherche approfondies. Plusieurs sont aptes à
guider la barque à bon port et il n’est pas nécessaire que
ce soit moi. Celui qui se propose pour cette tâche, plutôt
pour ce sacrifice dans cette conjoncture délicate que traverse le
Liban, est un fedaï et même plus?”
UN PRÉSIDENT ÉMANANT DE LA VOLONTÉ
POPULAIRE
- Quelle est, selon vous, l’importance de la présente échéance?
“Chaque élection a son importance. Mais ces présidentielles
ont une importance encore plus particulière qui dépasse les
précédentes prises individuellement ou réunies. Car
après ces longues années d’épreuve, de souffrances
et d’absence de démocratie, le peuple libanais attend et espère
que cette échéance pourra faire arriver un “président
d’entente”, émanant de la volonté populaire, prêt à
réaliser les ambitions, souhaits et vœux qu’elle exprime. Les responsables
ne peuvent plus continuer d’ignorer les aspirations du peuple. Sachant
que le pays continue à être, dans sa partie méridionale,
sous occupation et qu’il subit aussi des influences régionales et
internationales.
“Il est grand temps de prouver que le Liban a atteint l’âge adulte,
de le “sevrer” afin de lui permettre d’exprimer son point de vue en toute
liberté, ce qui est le minimum des droits de l’homme, dans tout
pays du monde.
“Pour cela, dire qu’on attend le “mot secret” pour l’échéance
est totalement refusé, car cela signifie qu’on est en train de nous
désister de notre droit naturel, légal et constitutionnel.
“L’importance de ces présidentielles réside, surtout,
dans l’espoir d’un changement réel qui pourrait en émaner.
Car depuis Taëf, rien n’a été fait pour appliquer totalement,
ou même partiellement, le document d’entente nationale: ni le retour
des déplacés, ni l’équilibre au niveau du pouvoir,
qui demeure partisan et sectaire, alors qu’une grande fraction du peuple
est écartée du pouvoir de décision et d’une participation
effective, point, non plus de gouvernement d’entente nationale...
“Nous voulons un changement réel à tous les niveaux,
dans les normes démocratiques. Nous sommes une opposition constructive
et nul n’a le droit, à l’heure actuelle, de se désister de
son devoir face à cette échéance.”
CONTRE LES AMENDEMENTS (SAISONNIERS) ET SUR
MESURE
- A l’heure actuelle, les avis sont partagés à propos
de l’amendement de l’article 49 de la Constitution. Quelle est votre attitude?
“Je suis un démocrate et ne crois pas que la Constitution soit
intouchable, tel l’Evangile ou le Coran.
“Mais d’un autre côté, on ne peut amender la Constitution
au gré des circonstances et sur mesure. Ceci constitue, plutôt
une atteinte à la Constitution qu’un amendement et c’est totalement
anti-démocratique.
“Je suis donc contre tout amendement circonstantiel et contre le fait
d’attendre la dernière minute pour le faire, sans étudier
au préalable, les raisons et motivations justificatives. D’ailleurs,
l’article 49 est tel une épée de Damoclès que le pouvoir
utilise pour justifier des actes non-démocratiques sous le couvert
de la démocratie.”
- Les prérogatives présidentielles constituent un autre
sujet de débat. Les uns disent que Taëf les a totalement abolies;
d’autres trouvent qu’il en reste assez. Vous qui étiez à
Taëf; qu’en dites-vous?
“Le chef de l’Etat est le premier à avoir pris conscience de
ce problème réalisant que, dans certains cas, il avait moins
de prérogatives qu’un ministre. Pour cela, il a voulu en amender
certaines clauses. Il est certain que Taëf a transféré
nombre de prérogatives et de privilèges du chef de l’Etat
au Conseil des ministres réuni. Taëf a donc réduit les
prérogatives du chef de l’Etat qui continue, toutefois, à
présider le Conseil des ministres quand il le désire. Tout
dépend donc de la personnalité du président et jusqu’à
quel point il est prêt ou non à faire des concessions. Car
d’après les textes, rien ne se fait sans sa volonté.”
TOUT DÉPEND DU CHEF DE L’ÉTAT
- La pratique pourtant est autre!
“Nous avons eu un chef de gouvernement fort, conforté dans sa
position par une volonté internationale, régionale et aussi
par le pouvoir de l’argent. Et du fait que lors des consultations parlementaires,
sa nomination est obligatoire, il y a eu accaparement du pouvoir d’un seul
bord. Le parlement étant, lui aussi, le fruit de circonstances régionales
et internationales, bien plus que de la volonté du peuple, on a
abouti à une forme de dictature au nom de la démocratie;
ce que j’appelle la “démodictature”.
“Tout chef d’Etat fort, disposé à placer l’intérêt
du peuple et le service public au-dessus de tout autre objectif, peut avec
ce qui lui reste comme prérogatives replacer le pouvoir dans le
droit chemin et faire en sorte que le loup et l’agneau vivent ensemble.
“Le président Hraoui a parlé de couleuvre à trois
têtes. Pourquoi, l’a-t-il permis? Il aurait pu laisser une seule
tête pour diriger l’Etat dans la justice, l’égalité
et la loi.
“Par la même occasion, je voudrais ajouter que le chef de l’Etat
n’a pas à avoir un programme. Il lui est simplement demandé
de prêter serment, de veiller sur la Constitution et à son
application.
“Si le pouvoir avait été pratiqué dans le droit
et l’équité, que l’on soit pour ou contre Taëf, on n’en
serait pas là! Mais Taëf n’a été appliqué
ni à la lettre ni dans son esprit. Appliquons du moins ce que nous
avons entre les mains, améliorons ce qui peut l’être avant
de parler d’amendements “saisonniers” et “occasionnels”.
“Le chef de l’Etat a proposé le mariage civil, sentant l’importance
d’une telle option pour placer le pays sur la voie du progrès. Il
fallait, au préalable, préparer l’opinion publique, dialoguer
avec le peuple avant de passer à l’amendement.”
LA PROROGATION: TOUJOURS D’ACTUALITÉ
- La prorogation est-elle toujours une option à forte chance?
“Je ne le dis pas par fierté, mais j’ai été la
première personne à affirmer que, depuis neuf mois, l’opportunité
de la prorogation augmente jour après jour. Mon premier argument
est le suivant: les élections municipales qui ont été
renvoyées de décennies en décennies ont finalement
eu lieu à quelques mois de l’échéance présidentielle.
Ce qui a eu pour effet d’occuper l’opinion publique pendant un certain
temps. Ces élections terminées, il ne fut question que de
la nouvelle échelle de salaires des fonctionnaires qu’on a fini
par renvoyer sine die. Entre-temps, la Chambre avait achevé ses
séances ordinaires au cours desquelles elle pouvait amender la Constitution.
“Toutes les cartes sont passées, alors, aux mains du chef de
l’Etat et du pouvoir exécutif à qui revient, désormais,
la prérogative d’ouvrir une session extraordinaire de la Chambre
pour amender la Constitution.
“Le second argument qui justifierait la prorogation est le “mea-culpa”
des présidents Hraoui, Berri et Hariri. Mais alors que les deux
derniers, tout en reconnaissant leurs erreurs, ont affirmé qu’ils
restaient au pouvoir, le chef de l’Etat n’aura-t-il pas, lui aussi, droit
au pardon?
“Tout ceci est, à mon avis, un prélude à la prorogation,
d’autant plus qu’on nous rabâche les oreilles disant que la situation
régionale et internationale ne favorise pas un changement. Comment,
dans cette même conjoncture, a-t-on pu organiser des élections
législatives en 1996 et municipales en 1998? Où est l’obstacle
au déroulement des présidentielles dans la liberté
et la démocratie?”
L’OPPOSITION N’A PAS D’INIMITIÉ CONTRE
LA SYRIE
- Parce que, sans doute, tout dépend du “mot de passe secret”,
tel qu’on le dit!
“Oui, c’est ce qu’on entend dire! Mais il faut que les citoyens comprennent
notre attitude en tant que courant d’opposition ou, du moins, ce que j’en
pense personnellement. L’opposition n’est pas contre la Syrie, mais contre
le procédé auquel le pouvoir libanais a recours pour créer
une inimitié de la part des Syriens à l’encontre de ces mêmes
Libanais. Alors que nous sommes vis-à-vis des Syriens beaucoup plus
sincères que ceux qui cherchent à fausser notre image auprès
d’eux, pour conforter leur propre position. Et si le vent du changement
va souffler, nous demeurons stables dans nos positions et relations avec
la Syrie, car elles sont basées sur des principes et des valeurs,
alors qu’ils sont pour leur part fidèle à la Syrie, par intérêt.
“Le mot secret est une invention des Libanais, car ils n’arrivent pas
à prendre une décision, à s’entendre, vu que le parlement
n’est pas issu de la volonté populaire, ils rejettent cette tâche
sur Damas. Si le parlement décidait de faire des élections
libres et démocratiques, nul ne pourra y interférer. On pourra
amener le président qu’on désire ou, du moins, refuser celui
qu’on ne veut pas.
“Notre objectif est de rectifier le parcours: un Liban fort est un
soutien pour la Syrie, alors qu’un Liban faible est pour elle un poids,
un handicap. Il faut voir les choses avec réalisme et objectivité.”
LA CANDIDATURE DE HARB (COMME LA MIENNE EN
95), UN CHOC
- Le député Boutros Harb préconise une procédure
légale pour la candidature aux présidentielles. Etes-vous
de cet avis?
“Tout d’abord, la candidature de mon confrère Harb aux présidentielles
a produit un choc, à un moment où planait un silence total.
Ce choc est semblable à celui que j’avais suscité en présentant
ma candidature en 1995. Mon objectif était de sauver la démocratie
et de préserver la dignité du peuple libanais. Personne n’avait
suivi ma démarche. J’espère que, cette fois, d’autres suivront
l’initiative de Boutros Harb. A condition que ces candidatures ne servent
pas de couverture et de paravent, ou à donner de la crédibilité
à des élections déterminées d’avance par le
mot de passe et qui ne seront ni libres, ni démocrates, ni dignes.
“Par ailleurs, le chef de l’Etat n’a pas à présenter
un programme, vu qu’il préside et ne gouverne pas. Quant à
la présentation d’une candidature officielle, elle ne pourra être
adoptée qu’avec le suffrage universel. Le candidat devra, alors,
avoir un programme et faire une campagne dans le pays pour l’exposer et
le défendre. Je suis pour le suffrage universel.”
- Hariri est-il incontournable?
“Cet homme que je qualifie, de “magicien” pas dans le sens péjoratif,
mais positif, a préparé son arrivée au pouvoir depuis
des années. Il s’est entouré de personnes capables, dont
il avait assuré la formation.
“Mais toute personne qui arrive au pouvoir, tend à l’exercer
sous une forme dictatoriale. Souvent, en exprimant mon estime au président
Hariri, je lui ai dit: vous ne devez pas avoir recours à l’allégeance
de ces personnes mais à leur expérience. Lorsque vous êtes
arrivé au pouvoir, les loyalistes et l’opposition vous ont accueilli
comme une planche de salut.
“Aujourd’hui, tous reconnaissent son influence, mais personne ne peut
assumer le style de pouvoir qu’il a imposé, la méthode d’action
et le poids des endettements internes et externes qui en ont découlé.
“Si M. Hariri veut rester en place, réussir et atteindre ses
objectifs auprès de l’opposition et des loyalistes, il lui est demandé:
1- de former un gouvernement d’union nationale.
2- Ce gouvernement devra représenter et accepter tout le monde
sans exclusion et proposer en tête des priorités de son programme
d’action: 1) le retour des déplacés; 2) une loi électorale
juste et équitable permettant de véritables élections
législatives; 3) édifier un Liban fort et un Etat de droit.
“C’est la seule voie capable de redonner confiance, de combler le fossé
entre le peuple et ses dirigeants ce qui favorisera les investissements
internes, externes et de nos émigrés pour engager un processus
d’ensemble de réédification du Liban.”
LES HOMMES COMPÉTENTS NE MANQUENT PAS
- Avez-vous un candidat pour ces présidentielles?
“Toute personne qui préserve la Constitution et les cinq constantes
de l’Etat: la liberté, la souveraineté, l’indépendance,
la libération et le pouvoir de décision est mon candidat.
A condition qu’il ait les mains propres, un passé et un présent
qui en témoignent et un avenir qui le confirme. Qu’il place l’intérêt
du Liban au-dessus de tout, qu’il entretienne de bonnes relations d’amitié
avec la Syrie dans le cadre des intérêts et du respect mutuels.
“Le Liban ne manque pas de personnes capables de répondre à
ces qualifications. Je voudrais reprendre un mot du président Assad
au sujet du processus de paix. Il avait affirmé: “Nous sommes pour
la terre en échange de la paix. Mais ils ont pris la terre et ne
veulent pas nous donner la paix (...) Pour cela nous leur disons que la
dignité demeure plus chère que la vie.
“Pour nous, Libanais, aussi, la dignité est plus chère
que la vie.”