DEPUTE DE BAABDA Dr. PIERRE DACCACHE:
PARLER DE "MOT SECRET" SIGNIFIE QU'ON SE DESISTE DE NOTRE DROIT LEGAL ET NATUREL
TAEF N'A ETE APPLIQUE NI DANS SA LETTRE, NI DANS SON ESPRIT

En 1995, il avait été le seul à “oser” présenter sa candidature, afin de “préserver la souveraineté, l’indépendance, le libre jeu démocratique et la dignité du peuple”. Cette fois, il a préféré rester dans l’expectative, laissant à d’autres cette initiative, tout en reconnaissant l’importance de la présente échéance sur laquelle des Libanais fondent de grands espoirs.
Parlementaire de longue date, le Dr Pierre Daccache a participé à Taëf et considère qu’avant de réclamer des amendements, il faudrait commencer par appliquer ce document qui “ne l’a été ni dans son esprit, ni dans sa lettre,  alors que rien de ce qui a été promis n’a été réalisé.”
De même, il rejette tout amendement de “circonstance”, ou “sur mesure”, considérant qu’on ne peut se jouer de la Constitution.
Par rapport aux relations avec la Syrie, elles devraient, à son avis, se faire sur la base d’un dialogue sincère et direct. Quant au “mot secret”, dit-il, c’est une invention des Libanais, car ils n’arrivent pas à s’entendre entre eux, ni à prendre une décision.
Médecin humaniste, il se donne pleinement et sans relâche à sa profession, autant qu’à sa tâche de parlementaire déterminé à défendre ce qu’il appelle les cinq constantes: La liberté, la souveraineté, l’indépendance, la libération et la récupération du pouvoir de décision.
DANS L’EXPECTATIVE
- A l’échéance présidentielle de 1995, vous aviez officiellement présenté votre candidature. Cette fois, vous êtes silencieux; pourquoi?
“C’est vrai, en 1995 j’avais posé ma candidature, en harmonie avec les aspirations et espoirs du peuple libanais. D’autant plus que le parlement ne cessait d’affirmer qu’il était maître de lui-même et que l’élection se déroulerait en son temps. Mais très vite, ces espoirs et illusions se sont envolés  lorsque le président Hafez Assad, lors d’une visite au Caire, a déclaré à un journaliste du “Ahram” que “le peuple libanais et les responsables étaient d’accord et avaient le même désir de proroger le mandat du président”...
“Les propos de Assad n’étaient, en fait, dus qu’à la désunion des rangs, à l’incapacité de se mettre d’accord sur un président, chacun tirant la corde de son côté, tous attendant “le mot secret”.
“Nul, après cette déclaration, n’a plus osé poser sa candidature. J’ai eu le courage de le faire afin de préserver cette patrie, son indépendance, sa souveraineté, sa dignité, y préserver la démocratie, la liberté, les droits de l’homme élémentaires dans le choix des dirigeants et protéger l’avenir du peuple libanais qui a longtemps patienté et ne cesse d’attendre l’éclaircie.”

- Etes-vous candidat cette fois?
“Il est du droit de chaque Libanais de présenter sa candidature aux présidentielles, lorsqu’il possède des constantes et des objectifs clairs et nets. Pour l’instant, je suis dans une phase de réflexion et de recherche approfondies. Plusieurs sont aptes à guider la barque à bon port et il n’est pas nécessaire que ce soit moi. Celui qui se propose pour cette tâche, plutôt pour ce sacrifice dans cette conjoncture délicate que traverse le Liban, est un fedaï et même plus?”

UN PRÉSIDENT ÉMANANT DE LA VOLONTÉ POPULAIRE
- Quelle est, selon vous, l’importance de la présente échéance?
“Chaque élection a son importance. Mais ces présidentielles ont une importance encore plus particulière qui dépasse les précédentes prises individuellement ou réunies. Car après ces longues années d’épreuve, de souffrances et d’absence de démocratie, le peuple libanais attend et espère que cette échéance pourra faire arriver un “président d’entente”, émanant de la volonté populaire, prêt à réaliser les ambitions, souhaits et vœux qu’elle exprime. Les responsables ne peuvent plus continuer d’ignorer les aspirations du peuple. Sachant que le pays continue à être, dans sa partie méridionale, sous occupation et qu’il subit aussi des influences régionales et internationales.
“Il est grand temps de prouver que le Liban a atteint l’âge adulte, de le “sevrer” afin de lui permettre d’exprimer son point de vue en toute liberté, ce qui est le minimum des droits de l’homme, dans tout pays du monde.
“Pour cela, dire qu’on attend le “mot secret” pour l’échéance est totalement refusé, car cela signifie qu’on est en train de nous désister de notre droit naturel, légal et constitutionnel.
“L’importance de ces présidentielles réside, surtout, dans l’espoir d’un changement réel qui pourrait en émaner. Car depuis Taëf, rien n’a été fait pour appliquer totalement, ou même partiellement, le document d’entente nationale: ni le retour des déplacés, ni l’équilibre au niveau du pouvoir, qui demeure partisan et sectaire, alors qu’une grande fraction du peuple est écartée du pouvoir de décision et d’une participation effective, point, non plus de gouvernement d’entente nationale...
“Nous voulons un changement réel à tous les niveaux, dans les normes démocratiques. Nous sommes une opposition constructive et nul n’a le droit, à l’heure actuelle, de se désister de son devoir face à cette échéance.”

CONTRE LES AMENDEMENTS (SAISONNIERS) ET SUR MESURE
- A l’heure actuelle, les avis sont partagés à propos de l’amendement de l’article 49 de la Constitution. Quelle est votre attitude?
“Je suis un démocrate et ne crois pas que la Constitution soit intouchable, tel l’Evangile ou le Coran.
“Mais d’un autre côté, on ne peut amender la  Constitution au  gré des circonstances et sur mesure. Ceci constitue, plutôt une atteinte à la Constitution qu’un amendement et c’est totalement anti-démocratique.
“Je suis donc contre tout amendement circonstantiel et contre le fait d’attendre la dernière minute pour le faire, sans étudier au préalable, les raisons et motivations justificatives. D’ailleurs, l’article 49 est tel une épée de Damoclès que le pouvoir utilise pour justifier des actes non-démocratiques sous le couvert de la démocratie.”

- Les prérogatives présidentielles constituent un autre sujet de débat. Les uns disent que Taëf les a totalement abolies; d’autres trouvent qu’il en reste assez. Vous qui étiez à Taëf; qu’en dites-vous?
“Le chef de l’Etat est le premier à avoir pris conscience de ce problème réalisant que, dans certains cas, il avait moins de prérogatives qu’un ministre. Pour cela, il a voulu en amender certaines clauses. Il est certain que Taëf a transféré nombre de prérogatives et de privilèges du chef de l’Etat au Conseil des ministres réuni. Taëf a donc réduit les prérogatives du chef de l’Etat qui continue, toutefois, à présider le Conseil des ministres quand il le désire. Tout dépend donc de la personnalité du président et jusqu’à quel point il est prêt ou non à faire des concessions. Car d’après les textes, rien ne se fait sans sa volonté.”

TOUT DÉPEND DU CHEF DE L’ÉTAT
- La pratique pourtant est autre!
“Nous avons eu un chef de gouvernement fort, conforté dans sa position par une volonté internationale, régionale et aussi par le pouvoir de l’argent. Et du fait que lors des consultations parlementaires, sa nomination est obligatoire, il y a eu accaparement du pouvoir d’un seul bord. Le parlement étant, lui aussi, le fruit de circonstances régionales et internationales, bien plus que de la volonté du peuple, on a abouti à une forme de dictature au nom de la démocratie; ce que j’appelle la “démodictature”.
“Tout chef d’Etat fort, disposé à placer l’intérêt du peuple et le service public au-dessus de tout autre objectif, peut avec ce qui lui reste comme prérogatives replacer le pouvoir dans le droit chemin et faire en sorte que le loup et l’agneau vivent ensemble.
“Le président Hraoui a parlé de couleuvre à trois têtes. Pourquoi, l’a-t-il permis? Il aurait pu laisser une seule tête pour diriger l’Etat dans la justice, l’égalité et la loi.
“Par la même occasion, je voudrais ajouter que le chef de l’Etat n’a pas à avoir un programme. Il lui est simplement demandé de prêter serment, de veiller sur la Constitution et à son application.
“Si le pouvoir avait été pratiqué dans le droit et l’équité, que l’on soit pour ou contre Taëf, on n’en serait pas là! Mais Taëf n’a été appliqué ni à la lettre ni dans son esprit. Appliquons du moins ce que nous avons entre les mains, améliorons ce qui peut l’être avant de parler d’amendements “saisonniers” et “occasionnels”.
“Le chef de l’Etat a proposé le mariage civil, sentant l’importance d’une telle option pour placer le pays sur la voie du progrès. Il fallait, au préalable, préparer l’opinion publique, dialoguer avec le peuple avant de passer à l’amendement.”

LA PROROGATION: TOUJOURS D’ACTUALITÉ
- La prorogation est-elle toujours une option à forte chance?
“Je ne le dis pas par fierté, mais j’ai été la première personne à affirmer que, depuis neuf mois, l’opportunité de la prorogation augmente jour après jour. Mon premier argument est le suivant: les élections municipales qui ont été renvoyées de décennies en  décennies ont finalement eu lieu à quelques mois de l’échéance présidentielle. Ce qui a eu pour effet d’occuper l’opinion publique pendant un certain temps. Ces élections terminées, il ne fut question que de la nouvelle échelle de salaires des fonctionnaires qu’on a fini par renvoyer sine die. Entre-temps, la Chambre avait achevé ses séances ordinaires au cours desquelles elle pouvait amender la Constitution.
“Toutes les cartes sont passées, alors, aux mains du chef de l’Etat et du pouvoir exécutif  à qui revient, désormais, la prérogative d’ouvrir une session extraordinaire de la Chambre pour amender la Constitution.
“Le second argument qui justifierait la prorogation est le “mea-culpa” des présidents Hraoui, Berri et Hariri. Mais alors que les deux derniers, tout en reconnaissant leurs erreurs, ont affirmé qu’ils restaient au pouvoir, le chef de l’Etat n’aura-t-il pas, lui aussi, droit au pardon?
“Tout ceci est, à mon avis, un prélude à la prorogation, d’autant plus qu’on nous rabâche les oreilles disant que la situation régionale et internationale ne favorise pas un changement. Comment, dans cette même conjoncture, a-t-on pu organiser des élections législatives en 1996 et municipales en 1998? Où est l’obstacle au déroulement des présidentielles dans la liberté et la démocratie?”

L’OPPOSITION N’A PAS D’INIMITIÉ CONTRE LA SYRIE
- Parce que, sans doute, tout dépend du “mot de passe secret”, tel qu’on le dit!
“Oui, c’est ce qu’on entend dire! Mais il faut que les citoyens comprennent notre attitude en tant que courant d’opposition ou, du moins, ce que j’en pense personnellement. L’opposition n’est pas contre la Syrie, mais contre le procédé auquel le pouvoir libanais a recours pour créer une inimitié de la part des Syriens à l’encontre de ces mêmes Libanais. Alors que nous sommes vis-à-vis des Syriens beaucoup plus sincères que ceux qui cherchent à fausser notre image auprès d’eux, pour conforter leur propre position. Et si le vent du changement va souffler, nous demeurons stables dans nos positions et relations avec la Syrie, car elles sont basées sur des principes et des valeurs, alors qu’ils sont pour leur part fidèle à la Syrie, par intérêt.
“Le mot secret est une invention des Libanais, car ils n’arrivent pas à prendre une décision, à s’entendre, vu que le parlement n’est pas issu de la volonté populaire, ils rejettent cette tâche sur Damas. Si le parlement décidait de faire des élections libres et démocratiques, nul ne pourra y interférer. On pourra amener le président qu’on désire ou, du moins, refuser celui qu’on ne veut pas.
“Notre objectif est de rectifier le parcours: un Liban fort est un soutien pour la Syrie, alors qu’un Liban faible est pour elle un poids, un handicap. Il faut voir les choses avec réalisme et objectivité.”

LA CANDIDATURE DE HARB (COMME LA MIENNE EN 95), UN CHOC
- Le député Boutros Harb préconise une procédure légale pour la candidature aux présidentielles. Etes-vous de cet avis?
“Tout d’abord, la candidature de mon confrère Harb aux présidentielles a produit un choc, à un moment où planait un silence total. Ce choc est semblable à celui que j’avais suscité en présentant ma candidature en 1995. Mon objectif était de sauver la démocratie et de préserver la dignité du peuple libanais. Personne n’avait suivi ma démarche. J’espère que, cette fois, d’autres suivront l’initiative de Boutros Harb. A condition que ces candidatures ne servent pas de couverture et de paravent, ou à donner de la crédibilité à des élections déterminées d’avance par le mot de passe et qui ne seront ni libres, ni démocrates, ni dignes.
“Par ailleurs, le chef de l’Etat n’a pas à présenter un programme, vu qu’il préside et ne gouverne pas. Quant à la présentation d’une candidature officielle, elle ne pourra être adoptée qu’avec le suffrage universel. Le candidat devra, alors, avoir un programme et faire une campagne dans le pays pour l’exposer et le défendre. Je suis pour le suffrage universel.”
- Hariri est-il incontournable?
“Cet homme que je qualifie, de “magicien” pas dans le sens péjoratif, mais positif, a préparé son arrivée au pouvoir depuis des années. Il s’est entouré de personnes capables, dont il avait assuré la formation.
“Mais toute personne qui arrive au pouvoir, tend à l’exercer sous une forme dictatoriale. Souvent, en exprimant mon estime au président Hariri, je lui ai dit: vous ne devez pas avoir recours à l’allégeance de ces personnes mais à leur expérience. Lorsque vous êtes arrivé au pouvoir, les loyalistes et l’opposition vous ont accueilli comme une planche de salut.
“Aujourd’hui, tous reconnaissent son influence, mais personne ne peut assumer le style de pouvoir qu’il a imposé, la méthode d’action et le poids des endettements internes et externes qui en ont découlé.
“Si M. Hariri veut rester en place, réussir et atteindre ses objectifs auprès de l’opposition et des loyalistes, il lui est demandé:
1- de former un gouvernement d’union nationale.
2- Ce gouvernement devra représenter et accepter tout le monde sans exclusion et proposer en tête des priorités de son programme d’action: 1) le retour des déplacés; 2) une loi électorale juste et équitable permettant de véritables élections législatives; 3) édifier un Liban fort et un Etat de droit.
“C’est la seule voie capable de redonner confiance, de combler le fossé entre le peuple et ses dirigeants ce qui favorisera les investissements internes, externes et de nos émigrés pour engager un processus d’ensemble de réédification du Liban.”

LES HOMMES COMPÉTENTS NE MANQUENT PAS
- Avez-vous un candidat pour ces présidentielles?
“Toute personne qui préserve la Constitution et les cinq constantes de l’Etat: la liberté, la souveraineté, l’indépendance, la libération et le pouvoir de décision est mon candidat. A condition qu’il ait les mains propres, un passé et un présent qui en témoignent et un avenir qui le confirme. Qu’il place l’intérêt du Liban au-dessus de tout, qu’il entretienne de bonnes relations d’amitié avec la Syrie dans le cadre des intérêts et du respect mutuels.
“Le Liban ne manque pas de personnes capables de répondre à ces qualifications. Je voudrais reprendre un mot du président Assad au sujet du processus de paix. Il avait affirmé: “Nous sommes pour la terre en échange de la paix. Mais ils ont pris la terre et ne veulent pas nous donner la paix (...) Pour cela nous leur disons que la dignité demeure plus chère que la vie.
“Pour nous, Libanais, aussi, la dignité est plus chère que la vie.”


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