LES RESERVES NATURELLES: POURQUOI?


Variété et richesse forestière de la réserve d’Ehden.
Au début de ce siècle, les espaces verts au Liban représentaient 15 à 20% de sa superficie.
Aujourd’hui, il n’en reste plus que la moitié. Le reste sacrifié, saccagé, endommagé par l’insouciance humaine (ouverture de carrières, provocation d’incendies, constructions massives et arbitraires) a incité les spécialistes de l’environnement à donner l’alarme. Une série de mesures a été prise, afin
de limiter les outrages à la nature, protéger les espèces végétales et animales, créer de nouveaux espaces verts: jardins publics, forêts et réserves.
Indifférente aux avertissements des écologistes, une large fraction de la population libanaise s’interroge sur ce branle-bas pour quelques arbres coupés par-ci, une forêt ravagée par-là, ou une montagne rasée un peu plus loin! Pourquoi se sentirait-elle concernée par un problème aussi
secondaire et futile à ses yeux?
Ce dossier consacré, principalement, au projet de protection des réserves naturelles, initié il y a deux ans par le ministère de l’Environnement, apportera, espérons-le, les réponses tant attendues.
Nous avons visité la réserve d’Ehden qui fait partie de ce projet, afin de témoigner de l’importance et de la richesse de la biodiversité libanaise.
 

Schéma global de la réserve naturelle d’Ehden.
 

Papillon “Argent géant” (Iolana iolas). 
Ce beau mâle, repéré grâce au liseré 
blanc bordant ses ailes, vit de préférence 
dans les hauteurs.

OÙ SE SITUE L’INTÉRÊT DU CITOYEN?
L’un des obstacles majeurs auxquels se heurtent le directeur du projet, M. Fayçal Abou-Ezzeddine et ses collaborateurs, se traduit par la réticence des Libanais à sauvegarder les sites naturels de leur pays.
Prompts à s’investir dans des projets d’où ils tirent un bénéfice matériel direct et immédiat, ils se désintéressent, totalement, des retombées futures de leurs actes. Leur comportement est, ainsi, dicté par une mentalité utilitariste: cet arbre sera abattu pour en extraire du bois; cet autre sera préservé pour ses fruits et son ombrage.
Toutefois, les Libanais tendent à négliger un avantage de poids dans la préservation de la nature: l’amélioration de leur qualité de vie et de celle de leur descendance. La réalisation d’un tel objectif repose sur trois facteurs essentiels: l’eau, l’air et le tourisme.
1- L’eau que nous buvons. Les forêts jouent un très grand rôle dans le stockage et l’approvisionnement en eau des Libanais. Telle une éponge, elles absorbent les pluies en saison d’hiver, les empêchent de se déverser dans la mer et les acheminent vers les nappes phréatiques. Cette richesse hydraulique jaillit, par la suite, sous forme de sources indispensables à la vie de l’homme.
La sauvegarde des forêts se répercute donc directement sur la quantité des ressources hydrauliques qui accusent une diminution non négligeable en période d’étiage.
2- L’air que nous respirons. La pollution de l’air au Liban atteint des proportions alarmantes. Les feuilles des arbres constituent un moyen naturel et efficace de débarrasser l’atmosphère des particules intoxicantes. Elles dégagent de l’oxygène et purifient l’air des agents polluants.
3- Le tourisme, source de revenus. Un grand nombre de touristes étrangers affluent en été pour admirer la beauté naturelle du “Liban vert”, découvrir la montagne libanaise, son cachet spécial et goûter aux produits du terroir. Le Liban a, de tout temps, offert un havre de paix aux habitants du Golfe en période d’estivage. Les familles du Mont-Liban qui leur offraient leurs maisons en location, en profitaient pour couvrir leurs frais et assurer la scolarisation de leurs enfants. Cette source de revenu étalé sur deux à trois mois couvrait les dépenses de toute une année.
Or, actuellement, la nature qui attirait tellement les étrangers a été, inconsciemment, endommagée et les propriétés malheureusement vendues.
L’amélioration de la qualité de vie et la volonté d’entreprendre une telle action ne peut être l’œuvre d’un seul homme, mais le résultat d’une prise de conscience et d’une action collective dont les bienfaits ne se récolteront qu’à long terme.
 


 Fraîcheur d’une cascade.
 

 Couleurs d’automne.
 
 
 
LA BIODIVERSITÉ AU LIBAN
Selon le Dr Michel Abi-Antoun, directeur du projet de biodiversité, on dénombre actuellement au Liban 9.400 variétés végétales et animales, dont 3.500 restent à répertorier. Cette lacune s’explique par le manque de spécialistes pour dégager une étude exhaustive englobant la totalité des espèces.
A noter que le Liban compte un grand nombre de plantes endémiques, c’est-à-dire, spécifiques à notre pays. Ainsi, parmi les 300 plantes médicinales répertoriées, 40 sont considérées endémiques, propres au territoire libanais.

Comment expliquer cette diversité?
Deux facteurs principaux entrent en ligne de compte:
• L’altitude. En effet, chaque fois qu’on s’élève de 500 à 600 m du littoral, la température s’en ressent, ce qui se traduit par la définition d’un nouvel écosystème et l’apparition d’une variété différente de flore et de faune.
• L’exposition au soleil joue, également, un grand rôle. Nous citons le cas où le Côté Sud de la montagne est plus ensoleillé que le Côté Nord.
Compte tenu de sa superficie réduite, le Liban, comparé aux autres grands pays, jouit d’une biodiversité typique beaucoup plus variée mais en quantité réduite.

PROJET DE BIODIVERSITÉ: SON BUT
En collaboration avec l’IUCN et quinze conseillers locaux, des études sont entreprises sur le terrain, afin d’évaluer la répercussion du comportement humain sur l’équilibre végétal et animal et ce, dans différents milieux:
1- Eau salée
2- Eau douce
3- Forêts et prairies
4- Agriculture
C’est là qu’interviennent les décisions administratives en vue de définir une politique d’action: faut-il interdire ou autoriser la pêche et dans quelle mesure? Faut-il ou non abattre les arbres pour fabriquer du charbon?
La tendance actuelle vise à encourager l’exploitation durable des ressources naturelles dans les limites d’une stratégie scientifique équilibrée.

EN QUOI CONSISTE LE PROJET DES RÉSERVES NATURELLES?
En 1993, l’Union internationale de Conservation de la Nature (IUCN), basée en Suisse, a été chargée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) d’élaborer un plan d’action, afin de conserver la biodiversité du Liban. Mis au point par M. Abou-Ezzeddine et étalé sur une période de cinq ans, ce projet a été approuvé en 1995 par le Fonds des Nations Unies pour l’Environnement (GEF) qui lui a alloué un montant de 2,5 millions de dollars. Ratifié par le gouvernement libanais le 8 février 1996, il a été mis en exécution le 15 novembre de la même année.
Ce projet se propose de réaliser plusieurs objectifs dont voici les principaux:
- Protéger la biodiversité libanaise, notamment les espèces en voie de disparition.
- Aider les responsables des réserves à établir un plan de gestion des espaces verts.
- Former les effectifs humains chargés de l’exécution du projet.
Il couvre, actuellement, trois réserves représentant 5% du territoire libanais et créées toutes en vertu de lois ratifiées par le parlement: la forêt d’Ehden, les îles aux palmiers (loi 121 du 9 mars 1992) et les cèdres du Chouf (loi 532 du 24 juillet 1996).
Jouissant toutes d’une couverture juridique garante de la durabilité du projet, elles serviront de prototypes pour des réalisations similaires futures.
Dès leur création, le ministère de l’Environnement a nommé les commissions chargées d’effectuer les études nécessaires, les expertises scientifiques et les projets de préservation. Celles-ci travaillent dans le cadre de ce projet en collaboration étroite avec les associations civiles de la région (les amis de la forêt d’Ehden, le comité pour la protection de l’environnement de Tripoli et la communauté des cèdres du Chouf) chargées de la gérance de ces réserves.
Le projet met à la disposition des équipes de gérance (nommées, conjointement, par les associations civiles et le ministère) tout le matériel nécessaire à l’exécution de leur travail: voitures jeep, jumelles, talkies-walkies, ordinateurs, etc...
Des stages de formation leur sont, également, assurés tout comme l’assistance d’experts étrangers pour l’élaboration d’un plan de gestion.
Depuis le lancement de ce projet jusqu’à ce jour, une augmentation appréciable de la flore et de la faune dans ces réserves a été enregistrée. Un travail de titan reste à faire: répertorier toutes ces espèces animales et végétales en vue de définir la biodiversité spécifique du Liban.
 


Blancheur hivernale.
 

Particularité de la réserve: les cèdres 
côtoient de beaux sapins, de grands genèvriers
et différents genres de conifères.
 
 
 
LES ARBRES: IMPORTANCE ET RÔLE
Les arbres remplissent une fonction à plusieurs niveaux:
1- Ils purifient l’air des gaz nocifs et de la pollution industrielle, grand fléau du siècle.
2- Ils atténuent, également, la pollution acoustique en absorbant les bruits assourdissants.
3- Ils protègent les cultures agricoles en modérant l’effet de la vitesse des vents.
4- Ils ralentissent la fonte rapide des neiges, ce qui favorise une plus grande infiltration de l’eau dans les couches souterraines et une augmentation des ressources hydrauliques.

LA FORÊT D’EHDEN UN PARADIS SUR TERRE
La prise de conscience de l’importance du patrimoine naturel d’Ehden remonte bien loin dans l’Histoire.
Dans les années 1600, le patriarche Douayhi menace de sanctions toute personne qui se permettrait de porter atteinte aux régions forestières.
Bien plus tard, vers les années 1954, le Père jésuite, Paul Boterde, est chargé par la France d’effectuer une étude sur la biodiversité de la forêt d’Ehden. Il est frappé par la richesse de cet écosystème montagneux et recommande la protection de ce site naturel.
Tout récemment et bien avant la promulgation de la loi créant la réserve, une prise de conscience se traduit par la formation d’un mouvement pour la protection de la région. Les Drs Georges Tohmé, Ricardo Habre et Abdallah Zakhya entreprennent des études sur le terrain, organisent des campagnes d’informations et œuvrent pour l’obtention d’une couverture juridique. Ainsi est née “l’Association des amis de la forêt d’Ehden”.
Le mouvement poursuit ses démarches auprès des autorités locales et nationales, ce qui aboutit à la promulgation de la loi 121 reconnaissant la forêt “réserve naturelle”.

SPÉCIFICITÉ DE LA RÉSERVE
La réserve se situe au Liban-Nord dans la région d’Ehden. Elle s’étend sur une superficie de 1.000 hectares (10 km2) et atteint une altitude variant entre 1.600 et 2.000 mètres.
Cette marge d’altitude favorise l’apparition d’une variété d’écosystème et de microclimats qui se traduit par un large éventail de flore et de faune.
Les récentes études révèlent l’existence de:
1.020 variétés de plantes;
300 variétés de champignons;
120 variétés de papillons;
40 variétés d’arbres;
22 variétés de mammifères.
Nous citons, à titre d’exemple, les noms de quelques arbres, plantes, mammifères et rapaces.
Les arbres: Cèdres (Cedrus libani), (le peuplement le plus important de la réserve), Sapins (Abies cilicica), Chênes (Quercus cedrorum), Pommiers sauvages (Malus trilobata).
Les plantes: 120 types de plantes endémiques sont répertoriés dans la forêt d’Ehden; 70 portent le nom du Liban (Geranium libani, Astragalus ehdenensis,...) ou des noms personnifiés (Dianthus karami,...).
Les mammifères: Renard, chacal, blaireau, loup, sanglier, porc-épic, hyène, chat sauvage, écureuil, chauve-souris, fouine,...
Les rapaces: Aigle de Bonelli (une spécificité de la région dont la race est en voie de disparition), faucon pèlerin (Falco peregrinus),...
 
QU’EST-CE QU’UNE RÉSERVE?
Les lois nÞ121 et 532 ayant autorisé la création des “Réserves naturelles” au Liban ont clairement défini les mesures de protection de ces réserves, ainsi que les sanctions à appliquer en cas d’infraction.
Les réserves sont des territoires limités et réglementés où il est interdit de:
• laisser paître un troupeau;
• abattre des arbres ou les exploiter dans un but industriel ou commercial;
• extraire des richesses naturelles telles que: ressources minières, hydrauliques et rocheuses;
• récolter des produits végétaux de toutes sortes;
• cueillir des fleurs, des fruits ou même des grains;
• pratiquer la chasse ou la pêche;
• organiser des piques-niques;
• jeter des ordures;
• provoquer des incendies.

SANCTIONS PRÉVUES
- Emprisonnement allant de 15 jours à 3 ans.
- Indemnité financière évaluée en fonction de la gravité de l’infraction (ex:2.500.000 L.L. pour chaque arbre abattu).
- La sanction implique la remise des biens extorqués et même la saisie de tous les outils, machines et moyens de transport ayant servi à cette fin.


Le blaireau, long d’un mètre environ,
creuse des terriers, passe l’hiver en
hibernation et circule la nuit pour se nourrir.
PRIORITÉ D’ACTION
L’équipe de gérance de la réserve regroupe des ingénieurs agronomes, des guides et des gardes-forestiers. Un directeur (M. Fouad Frangié) et un assistant-guide (M. Antoine Nehmé) assurent le fonctionnement de l’ensemble de l’équipe.
MM. Antoine Nehmé, Robert Frangié (représentants de l’Association des amis de la forêt d’Ehden) et Jihad Mouawad (guide) nous ont bien précisé qu’ils observent des principes prioritaires dans leur politique d’action:
1- Protéger la réserve (au premier plan de leurs préoccupations);
2- sensibiliser les citoyens et habitants de la région à la préservation des sites naturels pour les inciter à une plus grande coopération;
3- encourager un tourisme respectueux de la nature et désireux de découvrir les spécificités de la région.
Dans la pratique, les visites sont soumises à un règlement particulier:
• Accueil de 7 à 19 heures, tous les jours, sauf mardi et mercredi.
• Entrée interdite aux moins de 10 ans.
• Visite guidée par petits groupes ne dépassant pas une vingtaine de personnes.
Pour donner au lecteur une image vivante du patrimoine naturel que recèle la forêt d’Ehden, nous laissons aux photos le soin d’exprimer ce que les mots n’ont pu traduire. 
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