On
est en train de développer des idées fausses et de semer
la confusion dans les esprits. Par ignorance? Par pure démagogie?
Ou pour des buts inavoués? Peu importe! Le résultat est là:
tout le monde parle de l’élection présidentielle en mélangeant
les genres.
Dans le régime constitutionnel qui est le nôtre, exiger
un programme et des candidatures n’a pas de sens.
A qui donc serait présenté le program-me? Qui serait
habilité à l’exécuter? Qui plus tard en rendrait compte?
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Dans un régime parlementaire, quand la Chambre se réunit
pour élire un président de la République, elle n’est
plus une assemblée délibérante, mais seulement un
collège électoral. Elle siège, uniquement, pour voter,
sans débat. Elle ne peut discuter de rien.
Il n’y a pas de candidature officielle et il n’y a pas de programme
à discuter. La personne qui sera élue est choisie pour ses
qualités personnelles qui la rendent apte à devenir le gardien
de la Constitution et l’arbitre entre les partis qui se disputent le pouvoir.
Sous le régime de la Constitution actuelle, le président
de la République libanaise ne dispose même pas de ce pouvoir
d’arbitrage: c’est la Chambre qui lui impose un chef de gouvernement; son
rôle, à cet égard, se limite à décompter
les voix au cours de la consul-tation des députés. Quant
aux “qualités personnel-les”, il n’y a pas à se faire d’illusion:
elles sont jau-gées à l’aune des intérêts et
des alliances des factions, sans compter le jeu des ingérences extérieures.
Mais, ainsi va le jeu et c’est se payer de mots de croire qu’on pourrait
y échapper ou qu’on pourrait le corriger en réclamant un
“programme”.
Quand on dit “programme”, cela suppose que son auteur peut le présenter
à un auditoire habilité à le discuter, à l’adopter,
à en contrôler l’exécution après avoir conféré
un mandat dans ce but à son auteur. C’est bien ce qui se passe quand
le chef du gouvernement se présente à la Chambre et sollicite
sa confiance.
Rien de tel n’est concevable quand il s’agit d’élire le chef
de l’Etat, sauf en régime présidentiel auquel cas, c’est
au peuple directement que les candidats se présentent avec leurs
programmes respectifs. Et c’est le vote populaire qui les départage.
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Telles sont les règles que tout étudiant en première
année de Droit, apprend sur les mécanismes constitutionnels.
Les éminentes personnalités qui, aujourd’hui, nous rebattent
les oreilles sur la nécessité d’un programme ne les connaissent-elles
pas? Evidemment, si! Alors quel but poursuivent-elles?
Imaginez que, demain, la Chambre siège pour élire un
président de la République et qu’elle choisisse l’un ou l’autre
de ceux qui se sont déclaré candidats en développant
leurs programmes dans la presse et sur les écrans des télévisions.
Cela signifie-t-il que la Chambre, en adoptant l’homme, a voté pour
son programme (lequel ne pouvait pas lui être présenté
directement)? On peut peut-être le présumer, mais on ne le
sait pas formellement et, en tout cas, faute d’engagement formel sur cette
base entre la Chambre et l’élu, personne n’est tenu à quoi
que ce soit. Et la Chambre n’aura, à aucun moment au cours du sexennat,
la possibilité de rappeler à ce nouveau président,
un programme quelconque. Il ne s’est engagé à rien et, de
toute façon, il est constitutionnellement irresponsable. C’est le
chef du gouvernement qui assume la responsabilité du programme qu’il
aura présenté à la Chambre et sur la base duquel il
avait obtenu sa confiance.
Ce programme du gouvernement pourrait ne pas correspondre à
celui dont le nouveau chef de l’Etat s’était prévalu, devant
la presse, avant son élection. Le chef du gouvernement n’a, à
cet égard, aucune obligation vis-à-vis du président
de la République, puisque celui-ci ne le choisit pas.
En fait, le programme du Cabinet sera le résultat des délibérations
des ministres entre eux et des compromis que le nouveau chef du gouvernement
aura réussi à dégager des diverses tendances de sa
coalition. Car, comme on le sait, faute de parti majoritaire, il n’y a,
au Liban, que des Cabinets de coalition.
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Qu’est-ce qui se passera alors? Comment le chef de l’Etat pourra-t-il
tenir ses propres promesses?
Situation inextricable! Alors, que signifie cette exigence d’un programme
d’un candidat à la magistrature suprême?
Veut-on, en réalité, une élection du président
au suffrage universel? Veut-on adopter une nouvelle Constitution?
Pourquoi pas, si cela peut s’adapter aux structures sociales du Liban
et à leur évolution?
Il faut le dire clairement. Il faut poser le problème dans le
lieu où il doit être posé et engager le débat
là-dessus en toute objectivité!
Mais procéder par “petites phrases”; fuir le vrai problème;
créer la confusion; fausser les idées; dans quelle intention?
Simple démagogie? Sur des questions aussi délicates et
fondamentales, c’est un jeu dangereux. L’autorité morale et le prestige
de la fonction présidentielle en seront la première victime. |
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