LES RESERVERS DU LIBAN: UN PATRIMOINE NATUREL A SAUVEGARDER

Contraste entre deux pentes de cèdres: l’une en pleine expansion et, l’autre, en voie de le devenir.
Une prise de conscience de la nécessité de sauvegarder la richesse forestière du pays aboutit, en 1996, à l’application d’un projet pour la préservation des réserves naturelles du Liban (cf. “La Revue du Liban” nÞ3654, du 19 au 26 septembre).
Elaboré par M. Fayçal Abou-Ezzeddine, exécuté par le ministère de l’Environnement et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), avec l’aide technique de l’Union Internationale pour la conservation de la nature (IUCN); financé par le Fonds des Nations Unies pour l’environnement (GEF) (2,5 millions de dollars) avec la contribution du gouvernement libanais en espèces (750 millions de L.L.) et en nature (267 millions de L.L.), ce projet, étalé sur cinq ans, vise à protéger la biodiversité de trois réserves prototypes: la forêt d’Ehden, les îles aux palmiers et les cèdres du Chouf.
Notre précédent article a été consacré à la première réserve; celui-ci dévoilera les merveilles des deux autres, en photos et en couleurs.
 

De jeunes pousses de cèdres s’épanouissent 
à l’endroit même où campaient les chars israéliens.
 

Choisi comme symbole du projet
des réserves naturelles du Liban,
ce cône de cèdre joue un très grand
rôle dans la reproduction de ce type 
de conifères: au bout de 3 ans de 
maturité, il s’ouvre pour semer 
ses graines à tout vent.
I- LES CÈDRES DU CHOUF:
UN PEUPLEMENT EN EXPANSION
La forêt des cèdres a été victime, durant de longues années, d’exactions en tous genres. L’abattage excessif des arbres (à des fins domestiques ou industriels), la pratique de la chasse (même en pleine saison de reproduction), l’empiètement des troupeaux de chèvres (venus brouter en grand nombre), l’abus de pesticides et insecticides (dans les exploitations agricoles bordant la réserve), les méfaits de la guerre dans la région, toutes ces agressions ont, sérieusement, endommagé la faune et la flore, en particulier les cèdres, le plus important peuplement de la forêt.
Dans le but de les préserver et d’augmenter leur nombre, l’Association civile des cèdres du Chouf est fondée en 1994 (elle est présidée par M. Walid Joumblatt). Deux ans plus tard, la forêt est déclarée en vertu de la loi 532 du 24 juillet 1996, “réserve naturelle” et intègre, la même année, le projet de protection des réserves.
Une équipe de gérance est, alors, chargée par le ministère, l’association et les Nations Unies, d’atteindre sur le terrain les objectifs du projet élaboré.
Dirigée par M. Assad Serhal, aidé de son assistant, M. Walid Hassan, cette équipe regroupe douze gardes forestiers. Elle œuvre pour la protection des cèdres, l’interdiction de la chasse et la défense de toute activité nuisible à la biodiversité. Cette interdiction englobe un rayon de 500 m bordant les frontières de la réserve.
 

DVigoureux “cèdre-mère”, entouré 
de ses nombreux “petits”.

Couleurs chatoyantes où domine le genêt.

RÉALISATIONS À CE JOUR
Petit à petit, le travail de l’équipe de gérance a donné ses fruits. En sept mois de labeur, elle a pu éliminer tous les facteurs troublant la quiétude et perturbant la survie des espèces végétales et animales.
En collaboration avec les autorités locales, les Forces de Sécurité Intérieure et l’armée libanaise, elle a mis un point final aux pratiques de braconnage et d’exploitation forestière en tous genres. Les bergers, leurs troupeaux et les chasseurs se sont vu interdire l’entrée de la réserve.
Les différents passages donnant accès à la réserve, ont de même été fermés à l’exception d’un seul, réservé aux visiteurs et touristes. Cette mesure préventive vise à empêcher le mouvement des camions chargés, en provenance d’une carrière située à proximité de la frontière nord de la réserve. Elle a, également, été décidée afin de mettre fin aux dégâts causés par les campeurs et pique-niqueurs qui laissent des détritus et provoquent des incendies.
L’équipe de gérance s’est, aussi, occupée de réhabiliter trois points d’eau permettant aux animaux de se désaltérer.
 


Jouir de soleil et de liberté, à pas de tortue... 

L’Euphorbia pithyusa en danger d’extinction.

BIODIVERSITÉ DE LA RÉSERVE
La réserve des cèdres du Chouf s’étend sur une superficie de 550 km2, se situe à une altitude variant entre 1.200 et 1.900 mètres et présente des pics parallèles à la mer.
La flore de la région comporte une large variété d’arbres, d’arbrisseaux, de plantes, de fleurs et d’herbes. La faune englobe un grand nombre de mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens (batraciens).
Les espèces et variétés de la réserve n’ont pas encore été entièrement répertoriées. Toutefois, les récentes études ont révélé l’existence de:
- 27 espèces de mammifères, dont 12 sont considérées rares à l’échelle internationale (hyène, renard, lynx, ...);
- 120 types d’oiseaux, dont 19 sont en danger d’extinction;
- 124 variétés de plantes, dont 26 médicinales et 6 menacées de disparition;
- 31 types d’arbres.
Voici, à titre d’exemple, quelques variétés de flore et de faune:
• Les mammifères: Gazelle de montagne (espèce menacée), léopard, sanglier, blaireau, loup.

•Les reptiles: Tortue, lézard (plusieurs variétés), serpent.

•Les amphibiens: Salamandre, grenouille (diverses sortes).

•Les oiseaux: Perdrix, aigle d’or royal, vautour fauve, aigle impérial.

•Les arbres: Cèdres du Liban (2.500.000 cèdres de tout âge), chênes (Quercus brantii, Quercus calliprinos, Quercus cedrorum, Quercus infectoria, ...), pins d’Alep, pruniers, amandiers et pêchers sauvages, genévriers de Tauride (Juniperus excelsa), érable, ...

•Les plantes et les fleurs: Mûres, guimauve soyeuse, lotier, genêts d’espagne, sureau, ...

Les dispositions de protection et préservation de la réserve ont largement contribué à l’augmentation progressive de ces espèces végétales et animales. En effet, certains d’entre eux, à l’instar des loups, qui étaient menacés de disparition, ont trouvé en la réserve un milieu apte à leur reproduction.
Le peuplement des cèdres est, également, en pleine expansion. Des surfaces entières de terre sont en train d’être recouvertes de petites pousses, comme par magie et sans le concours de l’homme. C’est la nature qui, à sa façon, nous dit: Merci!!!

N.B.: Nous apprécions, vivement, la sélection des photos réalisées par M. Fayçal Abou-Ezzeddine, directeur du projet des réserves.
Nous remercions M. Simon Geahchan, assistant administratif du projet des réserves et M. Walid Hassan, assistant du directeur auprès de l’équipe de gérance, de leur très précieuse collaboration.
 

M. Fayçal Abou-Ezzeddine, auteur du projet de protection des réserves naturelles au Liban, est un ingénieur agronome diplômé de l’AUB. La pratique de l’agriculture organique (sans utilisation d’engrais) le sensibilise au problème de l’environnement et à la nécessité de préserver la richesse végétale et animale. Responsable de la fondation et de la gérance de plusieurs réserves naturelles dans les pays du Golfe, ainsi qu’en Amérique; il a été chargé d’élaborer un projet similaire pour le Liban.

Maîtres des lieux...
II- LES ÎLES AUX PALMIERS:
REFUGE DES OISEAUX SÉDENTAIRES ET MIGRATEURS
Au début de ce siècle, en 1904, des études menées par des scientifiques étrangers sur les “îles aux Palmiers” signalent l’existence de plusieurs espèces d’oiseaux marins nicheurs. Quelques années plus tard, en 1956 et 1973, des recherches scientifiques effectuées sur le terrain ne révèlent aucune trace de ces variétés d’oiseaux.
Cette constatation met en évidence un phénomène regrettable: très receptive aux moindres perturbations causées par l’homme, la richesse végétale et animale accusait une baisse tangible. La chasse, le camping et diverses agressions humaines ont porté grand préjudice à la biodiversité des îles.
Dès 1973, lors d’une conférence tenue à Beyrouth sur le thème: “Pollution de la Méditerranée”, les Drs Georges Tohmé, actuel président du conseil national pour les recherches scientifiques et Sami Lakis, spécialiste en science maritime, ont proposé de déclarer les îles aux palmiers “réserve naturelle”.
Mais il a fallu attendre la fondation de la commission pour la protection de l’environnement au Nord, dans les années 80, pour réaliser ce vœu. Organisation non gouvernementale, cette association civile, présidée par M. Mahmoud el-Hallab, œuvre sans relâche pour la création de cette réserve. Ce fut fait le 9 mars 1992 en vertu de la loi 121 votée par le parlement.
Le projet de protection des réserves naturelles, initié en 1996, a nécessité la mise en place d’une équipe de gérance dirigée par M. Ghassan Jaradi. Cette équipe comporte deux assistants-guides (Lina Kabbara et Mohamed Ghalayini) et un garde forestier (Issam Sidawi) auquel se joindra un second bientôt.
 

Un goéland à dos noir en plein envol. 

Vue globale d’un des îlots de la  réserve.

SPÉCIFICITÉ DE LA RÉSERVE
Située au large de Tripoli à 5,5 km de la côte, la réserve est composée de trois îlots: Palmiers (ex-île aux lapins), Sanani, Ramkine et entourée d’une ceinture d’eau de 500 mètres de largeur.
Sa superficie totale atteint, approximativement, 5 km2.
Le peuplement d’oiseaux constitue la principale richesse des îles. Leur préservation revêt un double intérêt international et national. En effet, la réserve abrite sept espèces d’oiseaux en danger d’extinction à l’échelle mondiale. Cette particularité donne une dimension internationale à leur préservation. Sur le plan national, on dénombre 146 oiseaux migrateurs dont 32, estivants nicheurs, élisent domicile sur l’île pour se reproduire.
Parmi les espèces d’oiseaux estivants nicheurs, nous citons la bergeronnette grise qui émigre en hiver à la recherche de ressources alimentaires naturelles. Par contre le goéland, oiseau sédentaire et nicheur, réside dans la réserve tout le long de l’année et vit en colonie, au nombre de 50 environ. Le goéland peut survivre en saison d’hiver, pour la bonne
 

OUVERTURE AU PUBLIC
Inaugurée le 21 août 1998 par le ministre de l’Environnement, M. Akram Chéhayeb, les îles aux Palmiers ne seront ouvertes que partiellement au public, à des périodes déterminées de l’année par souci de protection des espèces animales. Ainsi, au printemps, saison de reproduction des oiseaux, les trois îlots resteront fermés.
L’accès à ces îles se fait par petits bateaux.
Pour tout renseignement s’adresser à: 
• La réserve de la forêt d’Ehden (Liban-Nord) tél: 06/561800
• La réserve des cèdres du Chouf (Mont-Liban) tél: 05/503230
Internet: WWW. Shoufeedar.org
• La réserve des îles aux Palmiers (Liban-Nord) tél: 06/204525.

raison qu’il se nourrit de tous genres de déchets organiques rejetés par la mer, d’où son sobriquet de “merdivore”.
La réserve abrite, également, d’autres oiseaux dont le gravelot, le chevalier combattant, le héron, l’aigrette garzette, la mouette,...
Les îles aux palmiers constituent un refuge pour les tortues marines, telles que les caouannes (loggerhead turtle) et les tortues vertes (green turtle). Elles contribuent à l’équilibre écologique en nettoyant la côte des méduses. Malheureusement, les gardes forestiers ont remarqué qu’un danger menace la vie de ces tortues quand prenant des sacs en plastique pour des méduses, elles s’étranglent et meurent.
En période de pondaison, ces tortues regagnent la côte, creusent un trou dans le sable, y déposent leurs œufs et les recouvrent soigneusement.
A l’instar de nombre de reptiles, les tortues se désintéressent totalement de leur progéniture et s’éloignent dans la nature. Sortant de l’œuf, les petits, attirés par le bruit de la mer, s’y dirigent instinctivement.
Quant aux végétaux peuplant la réserve, ils varient avec les saisons et comportent des espèces rares qu’on retrouve, uniquement, dans cette réserve à l’instar de l’Euphorbia pithyusa et la Cressa cretica. Les trois palmiers ayant survécu au saccage des lapins (actuellement en nombre réduit), justifient l’appellation de l’île jadis abondammant peuplée de ces arbustes.
Mais, d’une façon générale, les variétés animales et végétales n’ont pas encore fait l’objet d’une étude exhaustive et approfondie. Un projet dans ce sens est actuellement, confié au conseil national de la recherche scientifique (CNRS).
 


Promenade en  bateau vers les îles aux Palmiers. 

Une bergeronnette grise au regard scrutateur.

PROJETS EN COURS
L’équipe de gérance s’occupe de l’aménagement de ces îlots:
- Plates-formes permettant aux bateaux qui transportent les visiteurs d’accoster.
- Zoning à l’intention des excurtionnistes, visiteurs et touristes.
- Parasols naturels confectionnés à l’aide de roseaux poussant dans la réserve.
- Centre abritant une équipe de chercheurs et d’observateurs travaillant, jour et nuit, en vue de recueillir toutes les informations sur la flore et la faune des trois îlots.
- Nettoyage de la réserve des bombes lancées par les Israéliens au cours de la guerre.
Parallèlement à ces mesures, des projets visant le repeuplement des îles, leur reboisement et la réintroduction d’espèces disparues, définissent la politique prioritaire des responsables de la réserve.


Nid de goéland à pattes jaunes.
 
CE QU’ON PEUT DÉCOUVRIR EN PLUS DANS LA RÉSERVE
Outre la biodiversité végétale et animale, les visiteurs des trois îlots pourront découvrir entre autres:
- des ruines et vestiges remontant à l’époque des croisades;
- des tranchées creusées dans le roc, ainsi que les bases de canons construites par les Français au début du siècle;
- des traces de marais salants;
- un nouveau phare fonctionnant à l’énergie solaire, installé en lieu et place de l’ancien disparu pendant la guerre.
N.B.: Nous devons les photos de la réserve à M. Ghassan Jaradi, directeur de l’équipe de gérance des îles.

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