DEPUTE DE AKKAR, MINISTRE DE LA CULTURE ET DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR FAOUZI HOBEICHE:
"SI LE PARLEMENT ET LA VOLONTE POPULAIRE M'ACCORDAIENT LEUR CONFIANCE, CE SERAIT UN GRAND HONNEUR; JE SERAIS PRET A ASSUMER CETTE HAUTE CHARGE"

Il a consacré quarante années de sa vie à l’administration, avant de passer à l’action politique en tant que député et ministre. Son langage est celui de la modération partant de la réalité des faits, des impératifs du moment et de la conjoncture. Il croit dans le facteur temps.
M. Faouzi Hobeiche ne présentera pas sa candidature, officiellement, mais se dit “prêt à assumer cette haute responsabilité, si tel est le souhait du parlement et de la volonté populaire.”
Il considère, par ailleurs, qu’on ne peut imaginer un président en désaccord avec la Syrie ou avec l’Amérique, rappelant que les facteurs régionaux et internationaux ont toujours joué un rôle dans l’élection présidentielle.
Il serait pour la prorogation du mandat Hraoui, s’il y avait entente là-dessus, pour de hautes raisons politiques, entre les parlementaires, ainsi que par rapport à l’amendement de l’article 49 de la Constitution; il serait même d’avis d’abolir son troisième alinéa.
Pour le ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur, notre “Constitution est encore jeune et il faut lui donner le temps de faire ses preuves”, avant de songer à l’amender.
Sur le plan de l’administration, il reconnaît l’existence de la corruption, mais tient à rendre justice à la grande proportion de fonctionnaires “attachés aux valeurs morales de probité et d’intégrité.”
Pour lui, l’essentiel est que la réforme administrative se fasse permanente et défend le maintien du ministère de la Culture, “véritable richesse du Liban et son pétrole”.
 
PRÊT À ASSUMER LA HAUTE CHARGE...
- Vous figurez parmi les cinq présidentiables. Qu’est-ce qui vous empêche de proclamer votre candidature?
“En premier lieu, la Constitution libanaise ne l’exige pas, comme c’est le cas pour les législatives où il faut faire acte de candidature et payer une caution de dix millions de livres libanaises.
“Bien sûr, même en l’absence de tout texte constitutionnel, rien n’empêche le candidat de proclamer son désir ou, du moins, sa disponibilité d’accepter la première magistrature de l’Etat si le parlement et la volonté populaire le veulent.
“Pour ma part, je ne nie pas que mon nom figure parmi ceux qui sont proposés de la part du parlement et des forces vives. Etant maronite, je réponds donc au moins à la condition de l’appartenance confessionnelle. Quant aux autres qualifications requises, c’est aux députés d’en juger. S’ils m’accordaient leur confiance, ce serait un grand honneur et je serais prêt à assumer la charge. Sinon, je demeure un soldat travaillant pour l’intérêt de ma patrie.”

- Seriez-vous d’avis à ce qu’on adopte un texte de loi exigeant une candidature officielle pour les présidentielles?
“Je ne suis pas contre cette idée. A ce moment - là, les candidatures seraient connues du peuple et le candidat devrait établir un programme et révéler ses orientations sur cette base.”

- La prorogation du mandat Hraoui demeure, semble-t-il, une des options de cette échéance. Quelle attitude adopteriez-vous et quelles en seraient les retombées sur la situation interne?
“Le chef de l’Etat a, à maintes reprises, justifié son refus de la prorogation. Mais si pour des considérations politiques, cette prorogation était à nouveau proposée et s’il y ait une entente sur une telle éventualité, j’y serais favorable.
“L’important, sur le plan interne, est de poursuivre la politique de reconstruction, de relève économique, de consolidation de la paix civile et d’amélioration de la pratique du pouvoir, afin de l’élever au niveau susceptible de satisfaire le gouvernement, le parlement et le peuple libanais.”

LE PRÉSIDENT NE PEUT ÊTRE EN DÉSACCORD AVEC LA SYRIE
- Quid de l’amendement de l’article 49 de la Constitution?
“La prorogation suppose de facto l’amendement de l’article 49. En réalité, cette question ne dépend pas de l’avis d’un député sur les 128. Il faut qu’il y ait un climat propice et un accord entre  les parlementaires sur cette question.
“Pour ma part, je serais même favorable à l’abolition de l’article 49 de la Constitution, notamment le troisième alinéa, afin de permettre aux hauts fonctionnaires de l’Etat qui ont les compétences voulues, d’accéder à la première magistrature.”

- Les Libanais ont le net sentiment que le sort de cette échéance dépend de facteurs régionaux et internationaux, bien plus que d’une volonté nationale...
“Soyons réalistes: de 1943 à nos jours, les facteurs régionaux et internationaux ont joué un rôle dans le choix du président ou, du moins, dans l’orientation de ce choix, dont la décision finale revient au parlement.
“C’est aux Libanais d’élire leur président. Mais en toute franchise, un président de la République pourrait-il être en désaccord avec la Syrie ou l’Amérique? S’il en était ainsi, il ne pourrait pas gouverner.
“L’entente et la compréhension avec la Syrie autour de l’identité du président est une chose nécessaire, étant donné la coopération existant entre nos deux pays.”

DOIT-ON AMENDER LA CONSTITUTION?
- Partagez-vous l’avis de ceux qui réclament un amendement de certains articles de la Constitution, afin de redonner au chef de l’Etat les prérogatives perdues à Taëf?
“La Constitution est la plus haute loi de l’Etat et comme toute loi, je ne vois pas d’inconvénient à l’amender si cela s’avère nécessaire.
“Dans les faits, il est important de rappeler que la Constitution de Taëf est encore jeune; elle n’a que neuf ans et je pense qu’il faut donner du temps à son application pour être sûr de la nécessité d’en amender certains articles.
“Pour l’heure, les avis sont partagés sur ce point. Laissons donc à la Constitution le temps de faire ses preuves, celle de 1926 ayant duré jusqu’à 1990.
“Par ailleurs, dans l’application et la pratique, des traditions peuvent se créer. Si elles perdurent et s’affirment, elles acquièrent une force légale de facto. Il devient, alors, aisé de les consacrer dans les textes par un amendement accepté de tous.”

LA CONTINUITÉ DANS LA RÉFORME
- Vous avez consacré votre vie à l’administration libanaise. Si vous arriviez à Baabda, que proposeriez-vous pour engager une véritable réforme administrative?
“Si j’accédais à la magistrature suprême, il est certain que j’accorderais aux problèmes de l’administration une grande importance.
“J’y ai passé quarante années et je reconnais que la corruption existe au sein de cette administration depuis l’indépendance à nos jours. Elle augmente ou diminue au gré des circonstances et des régimes... Elle était bien plus répandue encore sous le mandat français et au temps des Ottomans.
“Cette corruption se situe, à mon avis et d’après ma longue expérience dans ce domaine, à deux niveaux: Primo, celui des textes. Secundo, de l’élément humain. Il faut donc revoir les textes actuels pour les faire évoluer, renforcer l’inspection et réactiver les services de contrôle étatique; regrouper certaines institutions et certains ministères, en éliminer d’autres.
“Concernant l’élément humain, je voudrais en premier lieu dire une chose essentielle: il est malheureux et injuste d’accuser tous les fonctionnaires de l’Etat de corruption et de les mettre tous dans le même panier. Il y a, certes, une proportion de fonctionnaires corrompus, mais il y a une bien plus grande proportion de fonctionnaires honnêtes attachés aux valeurs morales d’intégrité. Ceux-ci, il faut les valoriser, les stimuler, les motiver et les préserver.
“Si on part du principe que toute l’administration est corrompue, d’où va-t-on chercher les fonctionnaires, en Amérique, en France, au Canada ou en Suisse? Quant à ceux qui sont corrompus, il faut prendre envers eux les mesures adéquates: les sanctionner et les licencier.
“Mais le plus essentiel dans la réforme administrative est la continuité. Chaque nouveau régime s’attaque, généralement à ce problème. Durant six à sept mois, c’est un branle-bas. On prend certaines mesures disciplinaires, on adopte quelques réformes; puis, au bout d’un an, les dossiers sont clos et on retombe dans la routine.
“La réforme doit se faire en permanence. Il faut demeurer actif, vigilant, se renouveler, s’adapter aux exigences du moment. La réforme doit être permanente.”

ABSENCE D’UN PLAN GLOBAL
- Que va-t-il advenir de la nouvelle échelle des salaires qui a été renvoyée au prochain mandat?
“Une des causes de la corruption administrative est le bas niveau des traitements. A partir du moment où ces derniers sont insuffisants, le fonctionnaire succombe aux tentations de la corruption. Pour cela, il faut lui assurer un traitement capable de lui assurer une vie digne. Le fonctionnaire devra comprendre, de son côté, qu’il ne vient pas dans l’administration pour faire fortune, mais pour servir l’Etat. S’il veut s’enrichir, il peut le faire dans le secteur privé.
“Cette échelle des salaires devra voir le jour, immanquablement, afin de permettre au fonctionnaire de vivre de façon honorable. Il faudra en assurer le financement et ce sera la tâche du prochain gouvernement. Il ne doit pas y avoir deux poids et deux mesures dans le pays: le secteur privé a déjà touché des augmentations en 1996, 97 et 98; il en réclame pour 99, alors que le secteur public n’a rien reçu depuis 1996.”

- Si on vous demandait de faire l’autocritique du gouvernement auquel vous appartenez, d’autant plus que les hauts responsables font leur mea-culpa, que diriez-vous?
“La principale critique que je ferais à l’encontre de ce gouvernement et des précédents est l’absence d’un plan global préétabli définissant les priorités et besoins.
“Il existe plusieurs plans éparpillés, mais même en les juxtaposant, ils ne peuvent former un plan global et cohérent. D’où la nécessité de faire revivre le ministère du Plan ou de créer, à l’instar des pays, évolués, un ministère de la Planification.
“Certains disent que le CDR (Conseil de développement et de reconstruction) s’acquitte de cette tâche. Mais il n’a pas pour objectif d’élaborer une planification globale. D’où la nécessité de créer un ministère de la Planification qui établirait un plan d’ensemble pour le pays dans les domaines économique, social, éducatif, sanitaire, administratif, etc... Il faudra, alors, définir les objectifs à atteindre, les moyens à utiliser et l’ordre des priorités.
“Des fois, on exécute des projets dont je ne nie nullement l’importance, mais il aurait été possible de les remettre à une étape ultérieure pour réaliser des projets plus prioritaires.”

VIVRE AVEC NOS RÉALITÉS
- Quelles seraient ces priorités?
“Il est difficile de parler de priorités dans les différents domaines économique, social, éducatif, administratif, etc... Car ils sont en corrélation les uns avec les autres. Comment, par exemple, améliorer la situation socio-économique si l’administration est corrompue?
“Plusieurs priorités doivent aller de pair et, parallèlement. Car s’il y a une faille dans un secteur, elle se répercute sur tous les autres. La priorité consiste à mettre la main sur tous les points faibles et d’avancer côte à côte.”

- Il y a une sorte d’unanimité à dire que Taëf n’a pas été appliqué. Est-ce votre avis?
“Il y a plusieurs questions préconisées par Taëf qui n’ont pas été appliquées, le moment n’y étant pas propice. Je cite l’exemple de l’abolition du confessionnalisme politique. En dépit du fait que ce problème constitue l’un des handicaps du pays, le moment ne s’y prête pas; il faut attendre cinq ou dix ans pour le faire.
“Je suis de ceux qui croient dans le facteur temps, la décision saine étant celle qui est prise au moment adéquat. Lorsque le moment opportun se présentera, je serai pour l’élimination du confessionnalisme politique afin de faire évoluer ce pays et de sceller l’unité nationale.
“Le Liban a une situation spéciale et spécifique par son pluralisme de communautés et de confessions. Ceci a son avantage et ses inconvénients. Mais c’est une réalité avec laquelle il faut vivre. D’ailleurs, partout dans le monde il y a des problèmes de race, de religion, de langue, etc...
“Chaque fois que vous soulevez une pierre, vous trouvez en dessous mille problèmes. L’homme doit étudier comment les résoudre.”

MAINTENIR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE
- Vous avez parlé de regroupement de ministères; que proposez-vous pour le ministère de la Culture et de l’Enseigne-ment supérieur?
“Suite à mon expérience de deux ans à la tête de ce département, je souhaiterais le maintien du ministère de la Culture, quitte à ce qu’on le rattache à nouveau à celui de l’Education nationale. Mais il faut maintenir un ministère de la Culture et j’ai toujours dit que notre “pétrole” est dans la culture. Abolir cette richesse serait une erreur. Il faut renforcer le ministère de la Culture et je le dis en toute objectivité.”
 

C.V.
Né à Qobayate (Liban-Nord) en 1937, Faouzi Hobeiche fait ses études secondaires chez les Frères à Beit-Méry. Diplômé de l’Ecole normale, il obtient sa licence en droit à l’U.S.J. en 1964 et se spécialise dans le domaine de l’administration aux Etats-Unis et au Canada.
Il enseigne le droit administratif à l’Université libanaise et à l’Institut de droit de La Sagesse; occupe, successivement, les postes de chef de bureau; puis, de département à la Fonction publique et de directeur des études à l’Institut national d’administration.
Il est nommé président de la Fonction publique (1991-1992); puis, président de l’Inspection centrale (1992-1996). Le 25-8-96, il est élu député de Akkar, et nommé ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur le 7-11-96. Il a représenté le Liban à des organisations régionales et internationales et a, à son actif, plusieurs publications.
Marié à Thérèse Daher, ils ont trois enfants: Lina, Ziad et Hadi.

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