- Seriez-vous d’avis à ce qu’on adopte un texte de loi exigeant
une candidature officielle pour les présidentielles?
“Je ne suis pas contre cette idée. A ce moment - là,
les candidatures seraient connues du peuple et le candidat devrait établir
un programme et révéler ses orientations sur cette base.”
- La prorogation du mandat Hraoui demeure, semble-t-il, une des options
de cette échéance. Quelle attitude adopteriez-vous et quelles
en seraient les retombées sur la situation interne?
“Le chef de l’Etat a, à maintes reprises, justifié son
refus de la prorogation. Mais si pour des considérations politiques,
cette prorogation était à nouveau proposée et s’il
y ait une entente sur une telle éventualité, j’y serais favorable.
“L’important, sur le plan interne, est de poursuivre la politique de
reconstruction, de relève économique, de consolidation de
la paix civile et d’amélioration de la pratique du pouvoir, afin
de l’élever au niveau susceptible de satisfaire le gouvernement,
le parlement et le peuple libanais.”
LE PRÉSIDENT NE PEUT ÊTRE EN DÉSACCORD
AVEC LA SYRIE
- Quid de l’amendement de l’article 49 de la Constitution?
“La prorogation suppose de facto l’amendement de l’article 49. En réalité,
cette question ne dépend pas de l’avis d’un député
sur les 128. Il faut qu’il y ait un climat propice et un accord entre
les parlementaires sur cette question.
“Pour ma part, je serais même favorable à l’abolition
de l’article 49 de la Constitution, notamment le troisième alinéa,
afin de permettre aux hauts fonctionnaires de l’Etat qui ont les compétences
voulues, d’accéder à la première magistrature.”
- Les Libanais ont le net sentiment que le sort de cette échéance
dépend de facteurs régionaux et internationaux, bien plus
que d’une volonté nationale...
“Soyons réalistes: de 1943 à nos jours, les facteurs
régionaux et internationaux ont joué un rôle dans le
choix du président ou, du moins, dans l’orientation de ce choix,
dont la décision finale revient au parlement.
“C’est aux Libanais d’élire leur président. Mais en toute
franchise, un président de la République pourrait-il être
en désaccord avec la Syrie ou l’Amérique? S’il en était
ainsi, il ne pourrait pas gouverner.
“L’entente et la compréhension avec la Syrie autour de l’identité
du président est une chose nécessaire, étant donné
la coopération existant entre nos deux pays.”
DOIT-ON AMENDER LA CONSTITUTION?
- Partagez-vous l’avis de ceux qui réclament un amendement
de certains articles de la Constitution, afin de redonner au chef de l’Etat
les prérogatives perdues à Taëf?
“La Constitution est la plus haute loi de l’Etat et comme toute loi,
je ne vois pas d’inconvénient à l’amender si cela s’avère
nécessaire.
“Dans les faits, il est important de rappeler que la Constitution de
Taëf est encore jeune; elle n’a que neuf ans et je pense qu’il faut
donner du temps à son application pour être sûr de la
nécessité d’en amender certains articles.
“Pour l’heure, les avis sont partagés sur ce point. Laissons
donc à la Constitution le temps de faire ses preuves, celle de 1926
ayant duré jusqu’à 1990.
“Par ailleurs, dans l’application et la pratique, des traditions peuvent
se créer. Si elles perdurent et s’affirment, elles acquièrent
une force légale de facto. Il devient, alors, aisé de les
consacrer dans les textes par un amendement accepté de tous.”
LA CONTINUITÉ DANS LA RÉFORME
- Vous avez consacré votre vie à l’administration
libanaise. Si vous arriviez à Baabda, que proposeriez-vous pour
engager une véritable réforme administrative?
“Si j’accédais à la magistrature suprême, il est
certain que j’accorderais aux problèmes de l’administration une
grande importance.
“J’y ai passé quarante années et je reconnais que la
corruption existe au sein de cette administration depuis l’indépendance
à nos jours. Elle augmente ou diminue au gré des circonstances
et des régimes... Elle était bien plus répandue encore
sous le mandat français et au temps des Ottomans.
“Cette corruption se situe, à mon avis et d’après ma
longue expérience dans ce domaine, à deux niveaux: Primo,
celui des textes. Secundo, de l’élément humain. Il faut donc
revoir les textes actuels pour les faire évoluer, renforcer l’inspection
et réactiver les services de contrôle étatique; regrouper
certaines institutions et certains ministères, en éliminer
d’autres.
“Concernant l’élément humain, je voudrais en premier
lieu dire une chose essentielle: il est malheureux et injuste d’accuser
tous les fonctionnaires de l’Etat de corruption et de les mettre tous dans
le même panier. Il y a, certes, une proportion de fonctionnaires
corrompus, mais il y a une bien plus grande proportion de fonctionnaires
honnêtes attachés aux valeurs morales d’intégrité.
Ceux-ci, il faut les valoriser, les stimuler, les motiver et les préserver.
“Si on part du principe que toute l’administration est corrompue, d’où
va-t-on chercher les fonctionnaires, en Amérique, en France, au
Canada ou en Suisse? Quant à ceux qui sont corrompus, il faut prendre
envers eux les mesures adéquates: les sanctionner et les licencier.
“Mais le plus essentiel dans la réforme administrative est la
continuité. Chaque nouveau régime s’attaque, généralement
à ce problème. Durant six à sept mois, c’est un branle-bas.
On prend certaines mesures disciplinaires, on adopte quelques réformes;
puis, au bout d’un an, les dossiers sont clos et on retombe dans la routine.
“La réforme doit se faire en permanence. Il faut demeurer actif,
vigilant, se renouveler, s’adapter aux exigences du moment. La réforme
doit être permanente.”
ABSENCE D’UN PLAN GLOBAL
- Que va-t-il advenir de la nouvelle échelle des salaires
qui a été renvoyée au prochain mandat?
“Une des causes de la corruption administrative est le bas niveau des
traitements. A partir du moment où ces derniers sont insuffisants,
le fonctionnaire succombe aux tentations de la corruption. Pour cela, il
faut lui assurer un traitement capable de lui assurer une vie digne. Le
fonctionnaire devra comprendre, de son côté, qu’il ne vient
pas dans l’administration pour faire fortune, mais pour servir l’Etat.
S’il veut s’enrichir, il peut le faire dans le secteur privé.
“Cette échelle des salaires devra voir le jour, immanquablement,
afin de permettre au fonctionnaire de vivre de façon honorable.
Il faudra en assurer le financement et ce sera la tâche du prochain
gouvernement. Il ne doit pas y avoir deux poids et deux mesures dans le
pays: le secteur privé a déjà touché des augmentations
en 1996, 97 et 98; il en réclame pour 99, alors que le secteur public
n’a rien reçu depuis 1996.”
- Si on vous demandait de faire l’autocritique du gouvernement auquel
vous appartenez, d’autant plus que les hauts responsables font leur mea-culpa,
que diriez-vous?
“La principale critique que je ferais à l’encontre de ce gouvernement
et des précédents est l’absence d’un plan global préétabli
définissant les priorités et besoins.
“Il existe plusieurs plans éparpillés, mais même
en les juxtaposant, ils ne peuvent former un plan global et cohérent.
D’où la nécessité de faire revivre le ministère
du Plan ou de créer, à l’instar des pays, évolués,
un ministère de la Planification.
“Certains disent que le CDR (Conseil de développement et de
reconstruction) s’acquitte de cette tâche. Mais il n’a pas pour objectif
d’élaborer une planification globale. D’où la nécessité
de créer un ministère de la Planification qui établirait
un plan d’ensemble pour le pays dans les domaines économique, social,
éducatif, sanitaire, administratif, etc... Il faudra, alors, définir
les objectifs à atteindre, les moyens à utiliser et l’ordre
des priorités.
“Des fois, on exécute des projets dont je ne nie nullement l’importance,
mais il aurait été possible de les remettre à une
étape ultérieure pour réaliser des projets plus prioritaires.”
VIVRE AVEC NOS RÉALITÉS
- Quelles seraient ces priorités?
“Il est difficile de parler de priorités dans les différents
domaines économique, social, éducatif, administratif, etc...
Car ils sont en corrélation les uns avec les autres. Comment, par
exemple, améliorer la situation socio-économique si l’administration
est corrompue?
“Plusieurs priorités doivent aller de pair et, parallèlement.
Car s’il y a une faille dans un secteur, elle se répercute sur tous
les autres. La priorité consiste à mettre la main sur tous
les points faibles et d’avancer côte à côte.”
- Il y a une sorte d’unanimité à dire que Taëf
n’a pas été appliqué. Est-ce votre avis?
“Il y a plusieurs questions préconisées par Taëf
qui n’ont pas été appliquées, le moment n’y étant
pas propice. Je cite l’exemple de l’abolition du confessionnalisme politique.
En dépit du fait que ce problème constitue l’un des handicaps
du pays, le moment ne s’y prête pas; il faut attendre cinq ou dix
ans pour le faire.
“Je suis de ceux qui croient dans le facteur temps, la décision
saine étant celle qui est prise au moment adéquat. Lorsque
le moment opportun se présentera, je serai pour l’élimination
du confessionnalisme politique afin de faire évoluer ce pays et
de sceller l’unité nationale.
“Le Liban a une situation spéciale et spécifique par
son pluralisme de communautés et de confessions. Ceci a son avantage
et ses inconvénients. Mais c’est une réalité avec
laquelle il faut vivre. D’ailleurs, partout dans le monde il y a des problèmes
de race, de religion, de langue, etc...
“Chaque fois que vous soulevez une pierre, vous trouvez en dessous
mille problèmes. L’homme doit étudier comment les résoudre.”
MAINTENIR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE
- Vous avez parlé de regroupement de ministères; que
proposez-vous pour le ministère de la Culture et de l’Enseigne-ment
supérieur?
“Suite à mon expérience de deux ans à la tête
de ce département, je souhaiterais le maintien du ministère
de la Culture, quitte à ce qu’on le rattache à nouveau à
celui de l’Education nationale. Mais il faut maintenir un ministère
de la Culture et j’ai toujours dit que notre “pétrole” est dans
la culture. Abolir cette richesse serait une erreur. Il faut renforcer
le ministère de la Culture et je le dis en toute objectivité.”
C.V.
Né à Qobayate (Liban-Nord) en 1937, Faouzi Hobeiche fait ses études secondaires chez les Frères à Beit-Méry. Diplômé de l’Ecole normale, il obtient sa licence en droit à l’U.S.J. en 1964 et se spécialise dans le domaine de l’administration aux Etats-Unis et au Canada. Il enseigne le droit administratif à l’Université libanaise et à l’Institut de droit de La Sagesse; occupe, successivement, les postes de chef de bureau; puis, de département à la Fonction publique et de directeur des études à l’Institut national d’administration. Il est nommé président de la Fonction publique (1991-1992); puis, président de l’Inspection centrale (1992-1996). Le 25-8-96, il est élu député de Akkar, et nommé ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur le 7-11-96. Il a représenté le Liban à des organisations régionales et internationales et a, à son actif, plusieurs publications. Marié à Thérèse Daher, ils ont trois enfants: Lina, Ziad et Hadi. |