DEPUTE DU KESROUAN ROUCHAID EL-KHAZEN:
J'AI VOULU ADRESSER UN MESSAGE
APRES TAEF, LE CONFESSION-NALISME S'EST ENRACINE

Lors d’une déclaration télévisée et dans un élan spontané, M. Rouchaïd el-Khazen, député du Kesrouan, a annoncé sa candidature aux présidentielles. Certes, il ne se fait aucune illusion sur ses chances et affirme qu’il a tout simplement voulu “adresser un message”, en réaction à ce qui se passe au niveau de la vie politique.
Nous l’avons rencontré en sa résidence d’été à Kléiate et la conversation a porté sur les présidentielles, l’importance de cette échéance et de l’arrivée d’un nouveau président qui apporterait une “bonne dose d’oxygène au peuple.”
Il dénonce les carences du pouvoir, la marginalisation du rôle de la Chambre, la non application de l’accord de Taëf, les espoirs déçus, le renforcement du confessionnalisme, la corruption, l’Etat-ferme et préconise une amnistie générale, afin d’ouvrir “une nouvelle page de vie conviviale, d’entente
et de compréhension.”
LE PAYS EST AU BORD DU GOUFFRE
- Qu’est-ce qui vous a décidé à annoncer votre candidature?
“Tout d’abord, je suis un député maronite, de la région du Kesrouan. Je réponds donc aux conditions requises pour présenter ma candidature aux présidentielles. Je suis de même convaincu que je peux répondre aux demandes du peuple. Il veut un homme sincère. En toute modestie, je peux dire que je jouis de cette qualité. Le peuple veut, aussi, une personne aux mains propres. Je pense que tout mon passé en témoigne. Pour cela, j’ai annoncé ma candidature.”

- Vous la maintiendrez?
“Oui, sauf si des personnes se déclarent dont je serai convaincu; je retirerai, alors, ma candidature. Car cette échéance revêt une grande importance, le pays étant au bord du gouffre. Nous avons besoin d’une personne intègre qui ne se préoccupe pas de la clientèle et ne s’entoure pas d’une cour de partisans; ayant les compétences voulues, capable de prendre des décisions courageuses, immunisée contre les apparences et le profit matériel.”

- Qui des présidentiables répond à ces exigences?
“Plusieurs noms sont en circulation, mais un flou entoure toujours cette échéance. Jusqu’à l’heure, seul notre confrère Boutros Harb a annoncé, officiellement, sa candidature et son programme. On parle, aussi, d’amender l’article 49 de la Constitution dans l’intérêt du général Emile Lahoud. Une entente semble se faire autour de lui et je suis convaincu qu’il est apte à assumer cette haute charge. Il a une expérience dans la restructuration de l’armée, est intègre et n’attache aucune importance aux apparences.
“Il n’est pas le seul à répondre à ces critères; il y en a d’autres en  qui j’ai confiance.”

- Qui par exemple?
“Le ministre Bouez qui est une personne compétente. S’il a plus de chance que moi, je suis prêt à me désister en sa faveur. Il y a, aussi, le ministre Jean Obeid qui, à mon avis, a la compétence et l’expérience voulues.

ÉTAT-FERME ET NON ÉTAT DE DROIT
“Chacun de nous, enchaîne M. el-Khazen, doit assumer ses responsabilités et s’impliquer. Nous avons vécu une guerre dont nous avons payé cher le prix, pour avoir un Etat. Aujourd’hui, cet Etat est devenu une ferme. Avant 1975, nous nous plaignions du confessionnalisme. Après Taëf, on pensait qu’il serait aboli. Au contraire, le confessionnalisme n’a fait que s’enraciner et se doubler de sectarisme au sein de chaque communauté. Autrefois, on parlait de chrétiens et de musulmans; aujourd’hui, il est question de sunnite, de chiite, de maronite, de grec-catholique, etc...
“Que dire, aussi, lorsqu’on entend les paroles du président de la Chambre au sujet du Premier ministre; des transactions, du pillage, etc... Le parlement n’aurait-il pas dû, en conséquence, demander des comptes au Cabinet? Rien ne se fait! Personne ne bouge le doigt: ni le procureur, ni la Chambre. Les accusations mutuelles s’enchaînent, la corruption se poursuit et les scandales, comme si de rien n’était.
“Quant au rôle du député, il est totalement marginalisé. Pourtant, j’ai été légalement élu par le peuple, non par la fraude ou l’achat des voix et j’ai des devoirs envers ce peuple. Or, je me retrouve en tant que député ayant moins de prérogatives que le plus petit des fonctionnaires. Si je me rends auprès du chef de l’Etat pour lui faire part de mes doléances ou d’un problème donné, je l’entends lui-même se plaindre.”

- Vous aviez présenté votre démission de la Chambre; pourquoi ne pas l’avoir maintenue?
“J’avais présenté ma démission à deux reprises, convaincu que j’étais un faux témoin ne pouvant rien changer à la situation. Ma communauté et mes amis ont fait pression pour que je la retire, car en tant que parlementaire, je pouvais au moins faire entendre ma voix, dénoncer les égarements, étant protégé par l’immunité parlementaire. Le président de la Chambre a, de son côté, refusé ma démission, disant que ce n’était pas le moment. J’ai compris, alors, que si la parole est d’argent, le silence est d’or. Car même si un jugement était rendu contre une personne, nul ne pourrait l’exécuter.”

CONTRE LA PROROGATION
- Etes-vous pour une nouvelle prorogation du mandat présidentiel?
“Je n’approuve pas la prorogation. Ceci n’est pas dirigé contre le président Hraoui. Il a pris des décisions courageuses, œuvré au plan national et non à une échelle communautaire, en faveur des chrétiens et des maronites, en particulier, comme font les autres, s’affirmant comme les représentants de leur propre communauté sunnite ou chiite.
“Mais nous avons besoin d’une bonne dose d’oxygène et l’élection d’un nouveau président redonnera de la vitalité et de l’espoir au peuple. Car un large fossé sépare le pouvoir et le gouvernement, d’une part; le peuple de l’autre. Nous avons besoin d’une personne qui recrée ce lien et donne à chacun son droit.
“Après vingt ans de guerre, ils ont dit que Dieu pardonne ce qui s’est passé. Ils ont élaboré l’accord de Taëf, parlé d’un gouvernement d’entente nationale, mais rien n’a été appliqué. Il y a eu simplement un changement d’équation. La fraction qui a provoqué la guerre avait les monopoles, les postes-clés, a été remplacée par une autre. Mais rien n’a changé. Pour cela, une large fraction de Libanais, chrétienne autant que musulmane, se sent aujourd’hui lésée. Certains leaders de milices sont en prison et d’autres les jugent. Je suis persuadé que si l’on n’établit pas l’équité pour tous, le développement équilibré, la justice sociale, le Liban formé de 18 communautés ne peut pas se maintenir.”

- Vous aviez dit, que si vous étiez élu à la tête de l’Etat, votre première démarche serait une amnistie générale. Vous voulez parler du Dr Samir Geagea, chef des “Forces libanaises” emprisonné?
“Je ne parlais pas, uniquement, de Samir Geagea.  Il y a d’autres personnes: le général Michel Aoun, le président Amine Gemayel, certains musulmans à l’encontre desquels des jugements ont été prononcés durant et après la guerre. Je ne suis ni avec les Forces libanaises, ni avec le général Aoun. Je suis un fils Khazen du Kesrouan. Durant une longue période au cours des années de guerre, j’ai laissé ma région pour m’installer au “Summerland” à Beyrouth-Ouest et à Tripoli. Car je n’étais convaincu ni des F.L., ni de Aoun. Mais je suis soit pour un jugement global, soit pour une amnistie générale.
“Toute personne qui collabore avec l’ennemi ou porte atteinte aux intérêts du pays et à sa sécurité doit être condamnée. Ouvrons une nouvelle page d’entente, de compréhension. Je ne défends donc pas une personne, mais la cause et l’intérêt du Liban qui ne peut vivre avec l’idée d’un vainqueur et d’un vaincu.”

POUR UNE RÉVISION DE TAËF
- Avez-vous consulté vos confrères et les Syriens avant de poser votre candidature?
“Mon idée était purement spontanée, par réaction à ce qui se passe de nos jours au niveau de la vie politique, comme soumission et manque de conviction.
“J’ai voulu adresser un message, sachant que je n’ai aucune chance dans les présidentielles. Bien d’autres m’y devancent, sans parler d’une décision régionale et internationale. Cela fait sept années que je suis député. Je n’ai été dans aucune ambassade. J’ai de bonnes relations avec certains responsables syriens, mais nul ne m’impose quoi que ce soit. J’ai tout simplement senti qu’il était de mon devoir d’adresser ce message.”

- Etes-vous favorable à l’amendement de l’article 49 de la Constitution?
“Je suis même d’avis à ce qu’on élimine carrément cet article. Qu’est-ce qui empêche l’élection d’un président ayant réussi dans cette haute charge et fait ses preuves, pour deux ou même trois mandats successifs? Si le peuple est satisfait de sa pratique du pouvoir et s’il assure la sécurité, la stabilité économique. Je suis de même favorable à l’élection du président au suffrage universel.
“Mais pour l’heure, les lois sont amendées en fonction et à la mesure des personnes. La Constitution n’est pas un texte intouchable. Il y a plusieurs articles qu’il faudrait amender, mais dans l’intérêt du peuple et de l’entente nationale, non des personnes.”

- Taëf a réduit les prérogatives du chef de l’Etat: êtes-vous pour le rééquilibrage du pouvoir?
“L’accord de Taëf a été adopté à un moment difficile, sous le canon et le feu. Il avait pour but d’arrêter la guerre et n’était que provisoire. Il faut donc l’amender.
“N’empêche que le chef de l’Etat peut toujours, s’il le veut, être un dirigeant ferme et prendre des décisions. Après tout, c’est lui qui signe le décret de formation du Cabinet et sa force est dans cette signature. Il peut exiger que la moitié ou, au minimum le tiers des ministres, représentent la base populaire.
“Et en dépit du fait que Taëf a réduit les prérogatives du président, il demeure le seul à rétablir l’équilibre dans le pays. Il faut, certes, réviser Taëf sur la base d’une consultation populaire et de l’expérience des dix dernières années.”

LES RELATIONS AVEC LA SYRIE
- Sur quelle base le chef de l’Etat devra-t-il établir les relations avec la Syrie?
“Cette question n’est même plus posée aujourd’hui, car il est de l’intérêt du Liban d’être en bonne relation avec Damas. Nous avons la même orientation et ceci est dans notre intérêt, surtout aujourd’hui suite à l’alliance turco-israélienne. Cette relation entre le Liban et la Syrie doit être basée sur le respect mutuel de la souveraineté nationale.
“Pour ma part, je coopère et me concerte avec les Syriens, mais ne permets pas qu’ils se mêlent de mes affaires. Nos responsables commettent des erreurs qui font du tort aux deux pays et il n’est pas de l’intérêt de la Syrie que le peuple libanais soit brimé ou meurtri.
“Le comportement du chef du gouvernement, comme s’il avait un pouvoir absolu, suscite un sentiment de rancune et d’injustice chez le peuple libanais et ceci se répercute sur les Syriens qui souhaitent une entente, une harmonie entre le pouvoir et la masse.”

- Que faire pour secouer la stagnation économique actuelle?
“Cette situation est due au manque de confiance dans les dirigeants. Le peuple voit que le gouvernement se comporte en milice, modifiant le système des impôts à sa guise, faisant des transactions et marginalisant la Chambre.
“Le prochain régime devra rétablir cette confiance, interdire les privilèges accordés à certains et notre économie retrouvera sa vitalité. En dépit de la dette qui s’accumule, nous considérons que notre situation économique demeure préférable à celle des autres pays.
“Il faudra, aussi, demander des comptes à chaque personne, car nul n’a le droit de dépenser, illégalement, l’argent du peuple.”

ADOPTER UN PLAN D’ENSEMBLE POUR LES CARRIÈRES
- Si vous étiez élu à la présidence, seriez-vous prêt à mettre un terme à l’expansion des carrières dans le pays qui sont mortelles pour l’écologie et l’environnement, à fermer les carrières que vous possédez avec votre frère à Chnanïr et Abou-Mizane?
“Les carrières sont une nécessité pour la reconstruction et l’industrie du bâtiment; il faut l’admettre. Certes, certaines sont néfastes pour l’environnement. A un moment donné, ces carrières furent arrêtées et l’on ne s’y est pas opposé. Mais avant de prendre de telles mesures et de priver de nombreuses familles qui vivent de ce travail, les responsables devraient assurer des lieux de rechange. Il faut donc établir un plan global d’orientation déterminant les endroits qui font le moins de tort à l’écologie. Mais certaines personnes s’opposent à ce plan, car elles ont des intérêts personnels à défendre.
“Un de nos ministres a proposé l’importation des cailloux. Pourtant, on a suffisamment de montagnes et de vallées pour y établir des carrières, sans causer du tort à l’écologie. Cela ne nous suffit-il pas d’importer des Russes, des Albanaises, etc... Il est illogique d’importer des cailloux au Liban. Qu’ils aillent voir comment cela se passe en Suisse, à Stockholm, à Bruxelles... Une fois le travail des carrières terminé, le site est reboisé.”

NELLY HÉLOU

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