- Vous la maintiendrez?
“Oui, sauf si des personnes se déclarent dont je serai convaincu;
je retirerai, alors, ma candidature. Car cette échéance revêt
une grande importance, le pays étant au bord du gouffre. Nous avons
besoin d’une personne intègre qui ne se préoccupe pas de
la clientèle et ne s’entoure pas d’une cour de partisans; ayant
les compétences voulues, capable de prendre des décisions
courageuses, immunisée contre les apparences et le profit matériel.”
- Qui des présidentiables répond à ces exigences?
“Plusieurs noms sont en circulation, mais un flou entoure toujours
cette échéance. Jusqu’à l’heure, seul notre confrère
Boutros Harb a annoncé, officiellement, sa candidature et son programme.
On parle, aussi, d’amender l’article 49 de la Constitution dans l’intérêt
du général Emile Lahoud. Une entente semble se faire autour
de lui et je suis convaincu qu’il est apte à assumer cette haute
charge. Il a une expérience dans la restructuration de l’armée,
est intègre et n’attache aucune importance aux apparences.
“Il n’est pas le seul à répondre à ces critères;
il y en a d’autres en qui j’ai confiance.”
- Qui par exemple?
“Le ministre Bouez qui est une personne compétente. S’il a plus
de chance que moi, je suis prêt à me désister en sa
faveur. Il y a, aussi, le ministre Jean Obeid qui, à mon avis, a
la compétence et l’expérience voulues.
ÉTAT-FERME ET NON ÉTAT DE DROIT
“Chacun de nous, enchaîne M. el-Khazen, doit assumer ses responsabilités
et s’impliquer. Nous avons vécu une guerre dont nous avons payé
cher le prix, pour avoir un Etat. Aujourd’hui, cet Etat est devenu une
ferme. Avant 1975, nous nous plaignions du confessionnalisme. Après
Taëf, on pensait qu’il serait aboli. Au contraire, le confessionnalisme
n’a fait que s’enraciner et se doubler de sectarisme au sein de chaque
communauté. Autrefois, on parlait de chrétiens et de musulmans;
aujourd’hui, il est question de sunnite, de chiite, de maronite, de grec-catholique,
etc...
“Que dire, aussi, lorsqu’on entend les paroles du président
de la Chambre au sujet du Premier ministre; des transactions, du pillage,
etc... Le parlement n’aurait-il pas dû, en conséquence, demander
des comptes au Cabinet? Rien ne se fait! Personne ne bouge le doigt: ni
le procureur, ni la Chambre. Les accusations mutuelles s’enchaînent,
la corruption se poursuit et les scandales, comme si de rien n’était.
“Quant au rôle du député, il est totalement marginalisé.
Pourtant, j’ai été légalement élu par le peuple,
non par la fraude ou l’achat des voix et j’ai des devoirs envers ce peuple.
Or, je me retrouve en tant que député ayant moins de prérogatives
que le plus petit des fonctionnaires. Si je me rends auprès du chef
de l’Etat pour lui faire part de mes doléances ou d’un problème
donné, je l’entends lui-même se plaindre.”
- Vous aviez présenté votre démission de la
Chambre; pourquoi ne pas l’avoir maintenue?
“J’avais présenté ma démission à deux reprises,
convaincu que j’étais un faux témoin ne pouvant rien changer
à la situation. Ma communauté et mes amis ont fait pression
pour que je la retire, car en tant que parlementaire, je pouvais au moins
faire entendre ma voix, dénoncer les égarements, étant
protégé par l’immunité parlementaire. Le président
de la Chambre a, de son côté, refusé ma démission,
disant que ce n’était pas le moment. J’ai compris, alors, que si
la parole est d’argent, le silence est d’or. Car même si un jugement
était rendu contre une personne, nul ne pourrait l’exécuter.”
CONTRE LA PROROGATION
- Etes-vous pour une nouvelle prorogation du mandat présidentiel?
“Je n’approuve pas la prorogation. Ceci n’est pas dirigé contre
le président Hraoui. Il a pris des décisions courageuses,
œuvré au plan national et non à une échelle communautaire,
en faveur des chrétiens et des maronites, en particulier, comme
font les autres, s’affirmant comme les représentants de leur propre
communauté sunnite ou chiite.
“Mais nous avons besoin d’une bonne dose d’oxygène et l’élection
d’un nouveau président redonnera de la vitalité et de l’espoir
au peuple. Car un large fossé sépare le pouvoir et le gouvernement,
d’une part; le peuple de l’autre. Nous avons besoin d’une personne qui
recrée ce lien et donne à chacun son droit.
“Après vingt ans de guerre, ils ont dit que Dieu pardonne ce
qui s’est passé. Ils ont élaboré l’accord de Taëf,
parlé d’un gouvernement d’entente nationale, mais rien n’a été
appliqué. Il y a eu simplement un changement d’équation.
La fraction qui a provoqué la guerre avait les monopoles, les postes-clés,
a été remplacée par une autre. Mais rien n’a changé.
Pour cela, une large fraction de Libanais, chrétienne autant que
musulmane, se sent aujourd’hui lésée. Certains leaders de
milices sont en prison et d’autres les jugent. Je suis persuadé
que si l’on n’établit pas l’équité pour tous, le développement
équilibré, la justice sociale, le Liban formé de 18
communautés ne peut pas se maintenir.”
- Vous aviez dit, que si vous étiez élu à la
tête de l’Etat, votre première démarche serait une
amnistie générale. Vous voulez parler du Dr Samir Geagea,
chef des “Forces libanaises” emprisonné?
“Je ne parlais pas, uniquement, de Samir Geagea. Il y a d’autres
personnes: le général Michel Aoun, le président Amine
Gemayel, certains musulmans à l’encontre desquels des jugements
ont été prononcés durant et après la guerre.
Je ne suis ni avec les Forces libanaises, ni avec le général
Aoun. Je suis un fils Khazen du Kesrouan. Durant une longue période
au cours des années de guerre, j’ai laissé ma région
pour m’installer au “Summerland” à Beyrouth-Ouest et à Tripoli.
Car je n’étais convaincu ni des F.L., ni de Aoun. Mais je suis soit
pour un jugement global, soit pour une amnistie générale.
“Toute personne qui collabore avec l’ennemi ou porte atteinte aux intérêts
du pays et à sa sécurité doit être condamnée.
Ouvrons une nouvelle page d’entente, de compréhension. Je ne défends
donc pas une personne, mais la cause et l’intérêt du Liban
qui ne peut vivre avec l’idée d’un vainqueur et d’un vaincu.”
POUR UNE RÉVISION DE TAËF
- Avez-vous consulté vos confrères et les Syriens
avant de poser votre candidature?
“Mon idée était purement spontanée, par réaction
à ce qui se passe de nos jours au niveau de la vie politique, comme
soumission et manque de conviction.
“J’ai voulu adresser un message, sachant que je n’ai aucune chance
dans les présidentielles. Bien d’autres m’y devancent, sans parler
d’une décision régionale et internationale. Cela fait sept
années que je suis député. Je n’ai été
dans aucune ambassade. J’ai de bonnes relations avec certains responsables
syriens, mais nul ne m’impose quoi que ce soit. J’ai tout simplement senti
qu’il était de mon devoir d’adresser ce message.”
- Etes-vous favorable à l’amendement de l’article 49 de la
Constitution?
“Je suis même d’avis à ce qu’on élimine carrément
cet article. Qu’est-ce qui empêche l’élection d’un président
ayant réussi dans cette haute charge et fait ses preuves, pour deux
ou même trois mandats successifs? Si le peuple est satisfait de sa
pratique du pouvoir et s’il assure la sécurité, la stabilité
économique. Je suis de même favorable à l’élection
du président au suffrage universel.
“Mais pour l’heure, les lois sont amendées en fonction et à
la mesure des personnes. La Constitution n’est pas un texte intouchable.
Il y a plusieurs articles qu’il faudrait amender, mais dans l’intérêt
du peuple et de l’entente nationale, non des personnes.”
- Taëf a réduit les prérogatives du chef de l’Etat:
êtes-vous pour le rééquilibrage du pouvoir?
“L’accord de Taëf a été adopté à un
moment difficile, sous le canon et le feu. Il avait pour but d’arrêter
la guerre et n’était que provisoire. Il faut donc l’amender.
“N’empêche que le chef de l’Etat peut toujours, s’il le veut,
être un dirigeant ferme et prendre des décisions. Après
tout, c’est lui qui signe le décret de formation du Cabinet et sa
force est dans cette signature. Il peut exiger que la moitié ou,
au minimum le tiers des ministres, représentent la base populaire.
“Et en dépit du fait que Taëf a réduit les prérogatives
du président, il demeure le seul à rétablir l’équilibre
dans le pays. Il faut, certes, réviser Taëf sur la base d’une
consultation populaire et de l’expérience des dix dernières
années.”
LES RELATIONS AVEC LA SYRIE
- Sur quelle base le chef de l’Etat devra-t-il établir les
relations avec la Syrie?
“Cette question n’est même plus posée aujourd’hui, car
il est de l’intérêt du Liban d’être en bonne relation
avec Damas. Nous avons la même orientation et ceci est dans notre
intérêt, surtout aujourd’hui suite à l’alliance turco-israélienne.
Cette relation entre le Liban et la Syrie doit être basée
sur le respect mutuel de la souveraineté nationale.
“Pour ma part, je coopère et me concerte avec les Syriens, mais
ne permets pas qu’ils se mêlent de mes affaires. Nos responsables
commettent des erreurs qui font du tort aux deux pays et il n’est pas de
l’intérêt de la Syrie que le peuple libanais soit brimé
ou meurtri.
“Le comportement du chef du gouvernement, comme s’il avait un pouvoir
absolu, suscite un sentiment de rancune et d’injustice chez le peuple libanais
et ceci se répercute sur les Syriens qui souhaitent une entente,
une harmonie entre le pouvoir et la masse.”
- Que faire pour secouer la stagnation économique actuelle?
“Cette situation est due au manque de confiance dans les dirigeants.
Le peuple voit que le gouvernement se comporte en milice, modifiant le
système des impôts à sa guise, faisant des transactions
et marginalisant la Chambre.
“Le prochain régime devra rétablir cette confiance, interdire
les privilèges accordés à certains et notre économie
retrouvera sa vitalité. En dépit de la dette qui s’accumule,
nous considérons que notre situation économique demeure préférable
à celle des autres pays.
“Il faudra, aussi, demander des comptes à chaque personne, car
nul n’a le droit de dépenser, illégalement, l’argent du peuple.”
ADOPTER UN PLAN D’ENSEMBLE POUR LES CARRIÈRES
- Si vous étiez élu à la présidence,
seriez-vous prêt à mettre un terme à l’expansion des
carrières dans le pays qui sont mortelles pour l’écologie
et l’environnement, à fermer les carrières que vous possédez
avec votre frère à Chnanïr et Abou-Mizane?
“Les carrières sont une nécessité pour la reconstruction
et l’industrie du bâtiment; il faut l’admettre. Certes, certaines
sont néfastes pour l’environnement. A un moment donné, ces
carrières furent arrêtées et l’on ne s’y est pas opposé.
Mais avant de prendre de telles mesures et de priver de nombreuses familles
qui vivent de ce travail, les responsables devraient assurer des lieux
de rechange. Il faut donc établir un plan global d’orientation déterminant
les endroits qui font le moins de tort à l’écologie. Mais
certaines personnes s’opposent à ce plan, car elles ont des intérêts
personnels à défendre.
“Un de nos ministres a proposé l’importation des cailloux. Pourtant,
on a suffisamment de montagnes et de vallées pour y établir
des carrières, sans causer du tort à l’écologie. Cela
ne nous suffit-il pas d’importer des Russes, des Albanaises, etc... Il
est illogique d’importer des cailloux au Liban. Qu’ils aillent voir comment
cela se passe en Suisse, à Stockholm, à Bruxelles... Une
fois le travail des carrières terminé, le site est reboisé.”