L’ALLEMAGNE A CHOISI LE CHANGEMENT
SCHRÖDER: DE NOUVELLES COULEURS POUR L’ALLEMAGNE DU XXIème SIÈCLE

Helmut Kohl n’aura pas franchi le siècle, ni gouverné l’Allemagne à partir de Berlin, ni présidé au lancement de l’euro. Mais il se sera battu comme un lion jusqu’au bout pour un cinquième mandat, dépassant le record de longévité d’Adenauer sans atteindre, toutefois, celle de Bismarck. Chancelier de  la réunification allemande, de la construction européenne, il entre de plain-pied dans l’Histoire qu’il a façonnée pendant seize longues années. Au point que sa stature de géant (1.93 m - 135 kg) s’était confondue avec celle de son pays.
Schröder, le signe de la victoire.
Que n’a-t-il écouté ses amis,  plus précisément son précieux ministre des Finances, Theo Waigel  et différé la date des élections, le temps que ses compatriotes se rendent compte de l’amélioration du bulletin de santé économique de leur pays et du recul progressif du chômage qui atteint, aujourd’hui, près de 11% de la population active. 4,3 millions de chômeurs (à l’Est deux fois plus nombreux qu’à l’Ouest), ce handicap était trop lourd à traîner. Gerhard Schröder, son challenger, l’a si bien compris qu’il a fait de la lutte pour l’emploi le thème majeur de sa campagne, soulignant que l’Allemagne ne comptait en 1982, à l’avènement de Kohl, que 1,8 million de chômeurs.
A cette date, l’Allemagne n’était pas réunifiée. Et quand elle le fut en 1990, le chancelier Kohl avait mésestimé son coût. Au faîte de la  popularité, il pouvait dès lors y préparer les Allemands. Car “les paysages florissants”  promis n’ont pu voir le jour. En 1994, les Allemands de l’Est avaient consenti à appuyer  Kohl qui gagnait de justesse les élections. Le 27 septembre dernier, toujours victimes de graves problèmes économiques, ils lui ont refusé leur confiance et  ont largement contribué à sa chute.

Kohl, usé par 16 ans de pouvoir, 
assume l’entière responsabilité de  
la défaite et quitte la CDU. 
 

Oscar Lafontaine votant avec son 
épouse et son fils, à Sarresbrueken.
Un besoin de renouveau
En fait, les Allemands désiraient le changement. Certes, Helmut Kohl avait largement renforcé l’image de leur pays, la première puissance économique d’Europe et la troisième au monde, mais ils  lui reprochaient d’ignorer leurs problèmes quotidiens au profit de l’Europe et du vaste monde. Quelqu’un d’autre est venu leur tenir un discours populaire, voire populiste, leur promettre la modernité, le changement, la sécurité.
Avec son regard bleu acier, son physique de séducteur (il en est à son quatrième mariage, ayant épousé l’an dernier une journaliste de 33 ans, Doris Köpf), Gerhard Schröder, 54 ans, a gagné la sympathie des médias d’outre-Rhin qui n’ont cessé de peaufiner son image auprès de leurs lecteurs. Son parcours quasi héroïque séduit à plus d’un titre. Il lui a fallu attendre l’âge de 22 ans pour obtenir  son diplôme d’études secondaires et, l’âge de 32 ans, celui d’avocat. Entre-temps, il a grandi à l’ombre du souvenir d’un père mort sur le front et d’une mère remariée à un manœuvre, contrainte de faire des ménages pour nourrir ses cinq enfants. Aussi, a-t-il travaillé pour payer ses études et s’est employé à vendre du matériel informatique.
Ambitieux et obstiné, Gerhard Schröder parvient à se faire élire au Bundestag en 1980, y essuie un échec en 1986, y revient en 1990. Ministre-président  du Land de Basse-Saxe, il s’y fait réélire en mars dernier. Le 2 mars, après que le président et doctrinaire du Parti social-démocrate, Oskar Lafontaine eut abandonné ses projets de candidature,  il est officiellement investi par le SPD pour la course à la chancellerie. Son rêve se précise. En 1982, après s’être saoulé avec des amis, il avait hurlé, en s’agrippant aux grilles de la chancellerie en criant : “ Je veux entrer”. Depuis le 27 septembre, il s’y trouve déjà. Ou presque.

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LUTTE FÉROCE
C’est en raison de son laborieux itinéraire que Schröder se plaît à affirmer à ses biographes que “la vie est un combat, qu’un homme né tout en bas peut se hisser au sommet et que chacun doit avoir cette possibilité.”
Cette lutte féroce contre l’adversité  a, certes, de quoi séduire et l’on doit espérer que l’homme qui gouvernera l’Allemagne au cours des quatre prochaines années, présentera à l’aube du XXIème siècle un bilan  plus positif que celui laissé par le ministre-président de Basse-Saxe pendant huit ans. Il y avait mené une politique chaotique des dépenses publiques, du nucléaire et même de l’emploi (le taux de chômage y est le plus élevé des Länder ouest-allemand), réussissant toutefois quelques coups d’éclat en volant au secours d’une usine d’avions, d’une firme sidérurgique et en sauvant 30.000 emplois chez Volkswagen
Un homme nouveau entre dans l’arène. Il est issu de la gauche, mais invite à un “nouveau centre”. Il  plaide pour la protection sociale, mais se présente comme “le camarade des patrons” et l’ami de la jet-set. Il cultive à volonté l’ambiguïté et le flou, au point que l’un des membres de son parti a pu stigmatiser “un manque réel de consistance de sa personne” et que ses nombreux adversaires présentent comme un personnage superficiel et sans consistance.

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Face aux multiples défis
 L’homme est, toutefois, l’exemple de la réussite.  Issu de la génération de Willy Brandt et de l’après-guerre, il devra relever plusieurs défis. Avec lui, le SPD a atteint un score remarquable de 40,9%. Avec les voix des Verts, 6,7% des suffrages, son gouvernement disposera d’une majorité absolue de 21 sièges (s’assurant au Bundestag 345 sièges contre 324). Pour gérer le paysage politico-économique du pays, il part en principe gagnant, mais s’engage dans un chemin semé d’embûches. A son programme, “Départ  pour une Allemagne moderne et juste”, la lutte contre le chômage, la réforme de la fiscalité et du régime de protection sociale, le financement des retraites.
Dénoncé par la gauche de son parti pour sa politique centriste, le Tony Blair allemand  s’apprête déjà  à mettre en application son programme pour les cent premiers jours de son mandat avec, en perspective, la création de 200.000 emplois. Il entend coopérer avec ses partenaires européens en vue d’une réforme totale du système financier pour éviter les crises. Oskar Lafontaine, son futur ministre des Finances,  qui prône  des taux d’intérêt réduits se demande pourquoi en Europe, avec un taux de chômage si élevé, les banques centrales n’ont pas été en mesure d’accepter une telle démarche.

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Eurosceptique
Eurosceptique de nature,  ayant prudemment maintenu le flou sur ses positions concernant l’euro et l’Europe en cours de campagne, Gerhard Schröder se dit “Européen moins par goût que par devoir”. Hanovrien, homme du Nord, se sentant proche de Tony Blair  qu’il aurait voulu associer à un axe Bonn-Paris-Londres, il a commencé par accepter l’invitation du président Chirac et de Lionel Jospin  à se rendre à Paris et les y rencontrer en milieu de semaine, soulignant l’importance historique de l’axe franco-allemand, cheville ouvrière de la construction européenne, car “personne n’a le monopole de la relation franco-allemande”. Et déjà, l’Allemagne s’apprête à la présidence de l’Union européenne qui lui revient dès le 1er janvier 1999.
Dès l’annonce de sa victoire, Gerhard Schröder a déclaré que la politique extérieure de l’Allemagne restera inchangée. Sur ce plan, du moins, l’héritage de Kohl sera préservé.

Le casse-tête d’une coalition “rouge-vert ”
En cours de campagne, Gerhard Schröder avait rêvé d’une grande coalition SPD-CDU/CSU. Mais celle-ci avait été écartée par  les chrétiens démocrates qui ont, à nouveau, refusé de l’envisager à l’issue du scrutin. Ils sont actuellement en phase de remise en question et reconstruction. Helmut Kohl qui a reconnu sa “très claire responsabilité dans la défaite”, la plus dure depuis la création de l’Allemagne fédérale en 1949, a présenté sa démission de la présidence de la CDU qui se choisira  un nouveau leader le 7 novembre prochain. Il ne compte  pas, comme il l’a déclaré dans une conférence de presse,  se retirer de la politique (il reste député au Bundestag),  écrire ses mémoires. Theo Waigel, son dynamique ministre des Finances,  a annoncé également son départ  de la CSU, sœur bavaroise de la CDU et même de la politique.
Excluant toute coopération avec les ex-communistes(PDS) qui ont enregistré une percée dimanche dernier, le SPD se tourne vers ses alliés naturels, les Verts, dont le programme se démarque nettement du leur et qui leur promet des jours difficiles.
Comment concilier le programme du SPD qui tient un discours libéral,  notamment avec l’arrivée au ministère de l’Economie de l’industriel Jost Stollmann, le “Bill Gates allemand”, avec les dures exigences des Verts? Ceux-ci réclament, entre autres, sur le plan extérieur le retrait de la Bundeswher de Bosnie et, sur le plan intérieur, le triplement du prix de l’essence, l’abandon du nucléaire civil, la modification du code de la nationalité et la réforme fiscale. De plus, leur chef Joschka Fischer revendique le portefeuille des Affaires étrangères. Face aux barrages dressés par le SPD, il adopte néanmoins un discours moins radical et tente de parvenir à un compromis.

COLLABORATION TUMULTUEUSE “ROUGE-VERT”
Au lendemain de sa victoire, Schröder qui a annoncé pour vendredi le début des pourparlers avec les Verts,  a reconnu que “les conditions ont été remplies, les négociations de la coalition avec les Verts sont une conséquence logique de  l’élection (...) mais nous ferons très attention avant de nous hâter. Il n’y aura aucune  pression. La pression que nous avons ressentie il y a quelques mois est passée.”
La collaboration “rouge-vert” en cours dans quatre des seize Länder, s’annonce tumultueuse. S’ils ne mettent pas un bémol à leurs  revendications, les Verts  joueront aux trouble-fête. Et rien n’annonce un avenir rose.
Du reste, la vague rose a envahi  l’Europe. Sur les Quinze pays de l’UE, deux seuls sont gouvernés par des conservateurs: l’Espagne et la République d’Irlande. Mais, cette vague n’est plus tellement rose, puisqu’elle s’ouvre sur le libéralisme et se trouve engagée en faveur d’une “troisième voie”.
 

  
Schröder savoure la victoire avec son épouse Doris.
  
Joie débordante de 
l’état-major du SPD
 

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