LE FACE A FACE EBLOUISSANT DE LA RENTREE ARTISTIQUE PARISIENNE:
L'ESPOSITION MILLET-VAN GOGH

Devant le musée d’Orsay, les files d’attente s’étirent... C’est qu’il faut patienter longtemps devant les portes de ce haut-lieu de la culture pour pouvoir admirer la confrontation artistique de cette rentrée parisienne: le face à face éblouissant de deux géants de la peinture: Millet-Van Gogh.
 

 “La Méridienne” (crayon noir et pastel 
sur papier) de Millet.

“La Sieste”, peint par Van Gogh.
Van Gogh avait toute sa vie vénéré un artiste: Jean-François Millet, l’auteur de la plus célèbre icône de la paysannerie française.
Celui qui avait obsédé Van Gogh, au point qu’il réalisa une vingtaine d’œuvres inspirées de la peinture du maître de Barbizon. Van Gogh, tout en gardant son style propre plus coloré, à l’encontre de celui de Millet, dont la palette restait plus subtilement monochrome, avait enrichi son art en “copiant” des images des gravures de “Travaux des champs” de Millet, à partir desquelles il cherchait à deviner la figure humaine.
Interné à l’asile de Saint-Rémy de Provence, l’artiste ne pouvant travailler d’après nature, s’attachait à transposer à l’huile, grâce à une transcription fidèle, obsessionnelle de cet art qu’il considérait comme une activité quasi religieuse. Millet avait peint les gestes éternels du “Semeur”, de la “Paysanne arrachant des pommes de terre”, de la “Méridienne”, “Les premiers pas”, “Le moissonneur à la faucille”...
Mû par une impétueuse nécessité d’ancrer son travail dans la réalité qu’avait si bien rendue Millet, Van Gogh, à son tour, transformant sa chambre de l’asile en atelier, rendait par touches violentes et une palette fougueuse, la matérialité des choses. C’est à cette époque qu’il écrit à Théo, son frère: “Je laboure comme un vrai possédé. J’ai une fureur sourde de travail plus que jamais. Et je crois que cela contribue à me guérir...”
Et la série des toiles reste marquée par la force concentrée des figures qui ne rendent compte de rien d’autre que de la réalité des différentes tâches paysannes...
L’un des soucis majeurs de Van Gogh sera de réussir à rester fidèle à la réalité, à maîtriser les nouvelles préoccupations religieuses qui accompagnent ses crises de démence...
Durant cette période, il apporte à son œuvre ce supplément d’âme et d’idées nécessaires à des chefs-d’œuvre.

Inspirée par Millet, cette œuvre de 
Van Gogh peinte en 1889: “Le batteur de blé”.

“Paysanne gerbant le blé” par 
Van Gogh d’après Millet.

“LES RELIGIONS PASSENT, DIEU DEMEURE...”
La peinture devrait donc “utiliser l’ordinaire pour exprimer le sublime. C’est là qu’est la réelle puissance”, pensait Millet. Et Van Gogh d’écrire: “Je pense souvent que les paysans constituent un monde à part, meilleur à bien des égards que le monde civilisé.”
L’artiste réinscrit Millet dans la modernité. En 1884, il confie: “Pour moi, Millet est le peintre essentiellement moderne grâce à qui l’horizon s’est ouvert devant beaucoup...”
Ainsi, Van Gogh reproduira à cinq reprises “Le Semeur” et de ses premières tentatives découleront toute une suite de variations sur le même thème, le créateur essayant d’améliorer son dessin, tout en approfondissant l’approche psychologique de ces modèles: Des hommes et des femmes aux traits grossiers, éclairés par la lumière du midi, parcourue par une touche ondoyante.
Aux coloris nuancés, sobres, de Millet, il oppose ses soleils jaunes, ces champs de blé dorés, tout en se préoccupant de peindre aussi la nuit. “La nuit étoilée” qui est également exposée à cette manifestation, tout à côté de l’œuvre de Millet, reste une composition à part.
“Il me semble, dira Van Gogh, que la nuit est encore plus richement colorée que le jour, colorée de violet, de bleu et des verts les plus intenses”. D’où des “effets de nuit” dont le noir était proscrit...


 “Le Semeur” de Millet.

“Le Semeur au soleil couchant” de 
Van Gogh dans un face à face éblouissant.

VAN GOGH, UN MUSICIEN QUI INTERPRÉTAIT
UNE ŒUVRE COMPOSÉE PAR UN AUTRE ARTISTE
“Plus j’y réfléchis et plus je trouve que cela ait raison d’être, de rechercher à reproduire des choses de Millet, que celui-ci n’a pas eu le temps de peindre à l’huile...”
Ce n’est pas copier... C’est plutôt traduire dans une autre langue - celle des couleurs - les impressions de clair-obscur.
Chez Van Gogh, la copie devenait création personnelle, transfigurée par la lumière solaire dont il rêvait dans sa chambre de malade, se comparant à un musicien qui interprèterait une œuvre composée par un autre artiste.
Tel un paysan courbé sur son labeur, Van Gogh à travers Millet s’identifiait à ces personnages de paysans, voyant dans leur condition de vie, l’image biblique de l’homme gagnant son pain, à la sueur de son front. Au musée d’Orsay, les “emprunts” que Van Gogh fait à Millet sont indissociablement un hommage rendu à l’homme et une adhésion contenue de sa peinture.
Hommage et adhésion qui passent par la reprise de motifs ou sujets particuliers.
Comme Delacroix était fasciné par Rubens, Degas et Manet par Velasquez, Van Gogh, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans, après avoir assisté à la vente de 95 pastels de Millet à Drouot, écrivait à Théo: “Quand je suis arrivé dans la salle où étaient exposées les œuvres de Millet, j’ai éprouvé quelque chose dans le genre de “Déchausse-toi, le lieu que tu foules est sacré...”
Une exposition-événement qui est en fait l’hommage passionné de Van Gogh à son maître, le peintre Jean-François Millet.

S.N.

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