DEPUTE DE LA BEKAA-OUEST ROBERT GHANEM:
"LA BATAILLE EST DEJA TRANCHEE ET L'ON N'ATTEND PLUS QUE LA MISE EN PLACE DU SCENARIO FINAL"

Il nom de Robert Ghanem figurait parmi les présidentiables en vue. Mais, pour lui, la bataille est quasiment tranchée; pour cela, il ne trouve pas nécessaire de parler de son éventuelle candidature.
“Par contre, le rôle et la tâche du futur chef de l’Etat ne seront pas faciles”, précise-t-il, étant donné la multiplicité des problèmes internes et régionaux, il devra avoir des idées bien claires et précises en tout domaine. Pour lui, la priorité de toute action réside dans “la mise en place d’un véritable processus de réconciliation nationale, qui devra englober toute personne désireuse de participer à l’édification de la nation dans le cadre des institutions.”
Formé à bonne école, il insiste sur l’établissement de “l’Etat de droit”, afin de consolider notre système démocratique parlementaire basé sur l’équilibre et le partage des pouvoirs.
Il est favorable à l’élimination du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, mais souhaiterait qu’en prenant ses hautes charges, tout chef d’Etat proclame son refus de toute prorogation de son mandat.
Selon lui, “la réforme administrative ne peut être épisodique”; elle doit se baser sur des données et des critères qui supposent la continuité dans l’action.
En tant qu’ancien ministre de l’Education nationale, il considère que ce ministère n’aurait jamais dû être partagé en plusieurs départements et qu’il faut travailler à sa réunification. Car l’éducation est un facteur vital pour la réédification de la patrie.
Fils d’un ancien commandant en chef de l’armée, il considère que le fait de vivre dans une ambiance militaire est une école de formation en soi qui a ses principes et sa discipline, citant cette phrase de Bergson: “Un être ne se sent obligé que s’il est libre.”
 
LA BATAILLE EST TRANCHÉE
- A votre avis, la bataille est-elle déjà tranchée et le mot de passe connu?
“Sans entrer dans les détails, on peut déduire, à partir de ce que l’on observe autour de soi, que l’opinion publique a déjà exprimé son sentiment qui est celui du changement. Non seulement pour le principe du changement en soi, mais partant de la nécessité d’améliorer la pratique du pouvoir, de mettre un terme au découpage des parts et de permettre aux jeunes qui constituent environ 52% du peuple libanais de jouer un rôle à l’échelle nationale.
“Toute personne qui a quelque rapport avec les présidentielles, doit prendre en considération ce climat qui s’est créé dans le pays et détermine, de manière directe ou indirecte, les qualifications du futur président. Certes, d’autres facteurs entrent en jeu, dont le rôle des pays concernés par la question libanaise. Ils ont leur mot à dire, tout en tenant compte des aspirations exprimées par le peuple.
“A mon avis, l’affaire est déjà tranchée depuis un certain temps et l’on n’attend plus que la mise en place du scénario final.”

- Qu’auriez-vous à dire, personnellement, de ce choix?
“Je pense que le choix est excellent. Mais, j’ajoute tout de suite que la tâche du futur président ne sera pas facile. Les gens doivent prendre conscience du fait qu’il ne dispose pas d’une baguette magique pour résoudre les multiples problèmes auxquels le pays est confronté; il ne peut accomplir des miracles.
“Le futur chef d’Etat devra être, en quelque sorte, un “fedaï”, appelé à prendre des mesures impopulaires que les gens seraient obligés d’accepter. D’où la nécessité pour tous, dans la présente phase, d’être objectifs et réalistes.
“Pour ma part, je lui souhaite de réussir pleinement dans sa tâche, qu’il ait autour de lui des personnes ayant ses qualifications pour l’aider dans sa mission, car elle sera dure et difficile tant au plan interne qu’aux plans régional et international.”

DAMAS TIENT COMPTE DE L’OPINION PUBLIQUE LIBANAISE
- Vous parlez avec certitude, est-ce à dire que vous avez reçu le mot de passe?
“Il ne s’agit pas de mot de passe et parler de la sorte n’est pas adéquat. Le Liban est un petit pays; une partie de son territoire est occupée et il subit plusieurs influences, surtout dans la conjoncture proche-orientale. Il est normal qu’il y ait une concertation et une entente avec des pays ayant beaucoup donné pour le Liban, la Syrie en tête.
“L’essentiel est que l’opinion publique libanaise a fait développer la photo et dit son mot sur la personnalité et les qualifications du futur président. Il est certain que Damas en tiendra compte.”

ON PEUT SERVIR SON PAYS À TOUT POSTE DE RESPONSABILITÉ
- Votre nom figure en tête des présidentiables. Est-ce parce que vous considérez que les jeux sont faits que vous ne posez plus votre candidature?
“L’essentiel n’est pas la personne en soi, mais le changement que les Libanais souhaitent à travers cette échéance. En définitive, à mon avis et de l’avis de celui vers qui les regards sont tournés, le poste n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour servir. Toute personne qui s’occupe de la chose publique, peut servir son pays à partir de sa position, que ce soit à la tête de l’Etat ou dans tout autre poste de responsabilité, à condition que la fonction ne constitue pas un objectif en soi pour des profits illégaux, pour le prestige, le népotisme, le goût du pouvoir.”

- Vous écartez tout élément de surprise d’ici l’élection?
“Par rapport à ce qui est fait jusqu’à l’heure, à l’ambiance qui a été créée, au choix presque fait, je pense que l’élément de surprise pourrait être très faible.”

FAVORABLE À L’ÉLIMINATION DU 3ème ALINÉA DE L’ARTICLE 49 C
- L’article 49 de la Constitution est la pierre d’achoppement de cette échéance. Certains parlent de l’amender ou de l’éliminer entièrement; d’autres d’en éliminer le troisième alinéa relatif à la candidature des fonctionnaires de l’Etat. Quelle attitude allez-vous adopter?
“Je ne suis pas d’avis à ce qu’on élimine l’article dans sa totalité. Je souhaiterais même que le président de la République, en prenant en charge ses fonctions, proclame qu’il est contre la prorogation de son mandat, dans son intérêt et celui du peuple, afin que les citoyens sachent qu’il ne travaille pas pour son intérêt personnel ou pour se maintenir au pouvoir. Une fois son mandat terminé, il ne devrait pas, non plus, se mêler de politique.
“Je serais, par contre, favorable à l’élimination du troisième alinéa de l’article 49, en vertu du principe de justice et d’égalité. Certains se demandent pourquoi le ministre ou le député peut utiliser sa fonction pour arriver à la présidence de la République et non le fonctionnaire.
“Certes, celui qui choisit la fonction publique, le fait pour y demeurer et servir le pays et il serait dommage qu’il utilise sa fonction pour accéder à la première magistrature de l’Etat. Mais d’un autre côté, il faut respecter le principe de l’égalité des chances pour tous; d’où l’intérêt d’abolir le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.”

EN PRIORITÉ: L’ENTENTE NATIONALE
- Quelles seraient, selon vous, les priorités de l’action à entreprendre par le futur locataire de Baabda?
“Il y a un certain nombre de priorités auxquelles le président devrait accorder une grande importance. En tête doit figurer l’entente nationale. Il faut engager un processus de véritable réconciliation nationale, afin que chaque citoyen se sente appartenir à sa patrie à part entière.
“Ceci devra se traduire par un exercice sain du pouvoir, l’application des lois, la réactivation des institutions, par un Etat juste et équitable; en un mot, par le rétablissement de l’Etat de droit. L’entente nationale devra englober toute personne qui désire participer à l’édification de la patrie dans le cadre des institutions. Il faudra créer un climat positif en formant un gouvernement qui inspire confiance, en adoptant une loi électorale capable d’assurer une véritable représentation de tous les citoyens.”

- Sur quelle base devrait se faire le découpage électoral?
“Que ce soit sur la base du caza ou du mohafazat, l’essentiel est qu’il y ait une même loi pour tout le Liban.”

- Qu’est-ce qui serait préférable d’après votre expérience?
“Il est essentiel d’adopter la circonscription qui permet de maintenir le lien entre l’électeur et l’élu et assure une véritable représentativité. Car le responsable qui s’éloigne du  peuple, s’égare et la députation perd ses principales assises.”

COMMENÇONS PAR APPLIQUER TAËF
- Etes-vous pour une révision de l’accord de Taëf?
“Il faut se demander, en premier lieu, si son application a été juste et saine. Taëf a été conçu pour être un instrument de justice politique, en vue de transférer le pouvoir aux institutions. Avons-nous réellement créé des institutions? Au contraire, les pouvoirs se sont personnalisés, chacun cherchant à consolider sa position par le biais de sa confession. Commençons donc par mettre en application cet accord; par édifier un Etat; on verra, ensuite, s’il est nécessaire d’amender Taëf. Toute révision devra se faire, toutefois, non pour renforcer telle communauté aux dépens d’une autre, mais pour consolider notre système démocratique parlementaire basé sur l’équilibre et le partage des pouvoirs.
“Aujourd’hui, il est du devoir de tout responsable de mettre le processus sur les rails; d’entamer la réédification de la nation, à partir de la base, en posant une pierre après l’autre, autour de la pierre angulaire, sur la base de la transparence, de l’intégrité dans la tâche et l’intérêt public.”
Le député de la Békaa-ouest développe davantage sa pensée se référant à un passage de l’exhortation apostolique sur la convivialité: “L’entente entre les religions chrétienne et musulmane, affirme le Saint-Père, ne peut être établie sur une rencontre d’intérêts provisoires. Elle est le fruit de l’entente entre des croyants bien ancrés chacun dans sa foi, qui sont des compagnons de travail sur cette terre et des pèlerins ensemble vers la cité de Dieu.
“Dès lors, aucune patrie ne peut vivre, se développer, prospérer que par la volonté de ses fils et leur entente. Si une fraction du corps de la nation est malade, le mal finit par se répandre sur tout le corps. Seule la loi et sa juste application protègent le citoyen.

LA PERSONNALITÉ DU PRÉSIDENT
- A votre avis, le chef de l’Etat a-t-il perdu, avec l’accord de Taëf, une grande partie des prérogatives constitutionnelles qu’il avait par le passé?
“Puis-je, à mon tour, vous poser une question? De 1943 jusqu’à Taëf, le chef de l’Etat a-t -il pu utiliser réellement ses vastes prérogatives? A-t-il pu le faire en 1958, en 1969 et après 69?
“Pour cela, je redis que la seule garantie pour tous est dans le respect des lois. La question des prérogatives est un moyen pour maintenir l’équilibre entre les différents pouvoirs, non entre les personnes.
“Tout dépend, aussi, de la personne du président, de sa vision, de ses perspectives, de son détachement des affaires personnelles dans l’intérêt public. Il est le président de tout le Liban et de tous les Libanais.”
Evoquant, par ailleurs, longuement la question de la réforme administrative, l’ex-ministre insiste sur le fait que “cette réforme ne peut être épisodique et pour un laps de temps. La véritable réforme doit se baser sur des données et des critères qui supposent la continuité dans l’action.
“De même, après les longues années d’épreuve, il aurait fallu regrouper et consolider les départements ministériels plutôt que de les étaler en créant de nouveaux ministères où les tâches et les prérogatives s’enchevêtrent avec des départements déjà en place.
“En un mot, le processus de la réforme administrative suppose une décision politique, une ferme volonté de créer l’Etat de droit et des institutions. Il est essentiel, aussi, de séparer la politique de l’administration et de créer un ministère de la Planification.

RÉUNIFIER L’ÉDUCATION NATIONALE
“Sur le plan économique et social, poursuit-il, il est demandé d’établir une politique aux objectifs bien définis et d’en préciser les contours, les étapes et les ordres de priorité. Le facteur humain doit être au cœur de tout projet et processus, car il est notre véritable richesse.”

- En tant qu’ex-ministre de l’Education nationale, que proposez-vous par rapport à ce département qui, après Taëf, a été partagé en trois ministères distincts?
“Le ministère de l’Education nationale n’aurait jamais dû être partagé, à mon avis et il faut travailler à sa réunification. Surtout que dans les nouveaux programmes, on a rattaché l’enseignement académique à l’enseignement professionnel et au marché du travail. Comment, dès lors, établir une politique éducative d’ensemble, si chacun travaille de son côté? Il faudrait un même organisme qui planifie le tout, y compris l’enseignement universitaire qui le complète. Sinon on serait en train de former des chômeurs: les uns ne trouvant pas du travail et d’autres faisant une activité ne corres-pondant pas à leur formation universitaire.
“La première chose à faire est de réunifier l’Education en un seul ministère. Ceci est essentiel pour le développement de la société et son épanouissement. Les jeunes sont l’avenir de la nation. L’Education crée une patrie, une société unifiée et d’authentiques citoyens. Une des actions de base du prochain régime devra être la réactivation du secteur éducatif, vu son rôle vital et prioritaire en tous domaines: politique, économique et social.”
 

C.V. 
Originaire de la Békaa-Ouest, il est né le 18 juin 1942 et fait ses études primaires et secondaires au collège N.D. de Jamhour des pères Jésuites. Il obtient sa licence en droit de l’Université Saint-Joseph (promotion 64-65), occupe le poste de secrétaire général du parlement et ouvre sa propre étude d’avocat en 1969. 
 Entre 1978 et 1992, il s’installe avec sa famille à Paris et exerce sa profession comme avocat-conseil auprès d’hommes d’affaires arabes. 
En août 1992, il est élu au parlement et réélu en 1997, toujours pour la circonscription de la Békaa-ouest (caza de Rachaya). 
Le 25 mai 1995, il est nommé ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports et effectue la réforme du système éducatif mis en place depuis 1968. Il contribue à la réunification et au réajustement de l’échelle des salaires des instituteurs. 
Actuellement, il est membre des commissions parlementaires de l’Information, des Télécommunications, de l’Economie et du Commerce, de l’Industrie et du Pétrole. Marié à Viviane Haddad, ils ont deux garçons: Alexandre et Nadeem John.

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