- Qu’auriez-vous à dire, personnellement, de ce choix?
“Je pense que le choix est excellent. Mais, j’ajoute tout de suite
que la tâche du futur président ne sera pas facile. Les gens
doivent prendre conscience du fait qu’il ne dispose pas d’une baguette
magique pour résoudre les multiples problèmes auxquels le
pays est confronté; il ne peut accomplir des miracles.
“Le futur chef d’Etat devra être, en quelque sorte, un “fedaï”,
appelé à prendre des mesures impopulaires que les gens seraient
obligés d’accepter. D’où la nécessité pour
tous, dans la présente phase, d’être objectifs et réalistes.
“Pour ma part, je lui souhaite de réussir pleinement dans sa
tâche, qu’il ait autour de lui des personnes ayant ses qualifications
pour l’aider dans sa mission, car elle sera dure et difficile tant au plan
interne qu’aux plans régional et international.”
DAMAS TIENT COMPTE DE L’OPINION PUBLIQUE LIBANAISE
- Vous parlez avec certitude, est-ce à dire que vous avez
reçu le mot de passe?
“Il ne s’agit pas de mot de passe et parler de la sorte n’est pas adéquat.
Le Liban est un petit pays; une partie de son territoire est occupée
et il subit plusieurs influences, surtout dans la conjoncture proche-orientale.
Il est normal qu’il y ait une concertation et une entente avec des pays
ayant beaucoup donné pour le Liban, la Syrie en tête.
“L’essentiel est que l’opinion publique libanaise a fait développer
la photo et dit son mot sur la personnalité et les qualifications
du futur président. Il est certain que Damas en tiendra compte.”
ON PEUT SERVIR SON PAYS À TOUT POSTE
DE RESPONSABILITÉ
- Votre nom figure en tête des présidentiables. Est-ce
parce que vous considérez que les jeux sont faits que vous ne posez
plus votre candidature?
“L’essentiel n’est pas la personne en soi, mais le changement que les
Libanais souhaitent à travers cette échéance. En définitive,
à mon avis et de l’avis de celui vers qui les regards sont tournés,
le poste n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour servir. Toute personne
qui s’occupe de la chose publique, peut servir son pays à partir
de sa position, que ce soit à la tête de l’Etat ou dans tout
autre poste de responsabilité, à condition que la fonction
ne constitue pas un objectif en soi pour des profits illégaux, pour
le prestige, le népotisme, le goût du pouvoir.”
- Vous écartez tout élément de surprise d’ici
l’élection?
“Par rapport à ce qui est fait jusqu’à l’heure, à
l’ambiance qui a été créée, au choix presque
fait, je pense que l’élément de surprise pourrait être
très faible.”
FAVORABLE À L’ÉLIMINATION DU
3ème ALINÉA DE L’ARTICLE 49 C
- L’article 49 de la Constitution est la pierre d’achoppement de
cette échéance. Certains parlent de l’amender ou de l’éliminer
entièrement; d’autres d’en éliminer le troisième alinéa
relatif à la candidature des fonctionnaires de l’Etat. Quelle attitude
allez-vous adopter?
“Je ne suis pas d’avis à ce qu’on élimine l’article dans
sa totalité. Je souhaiterais même que le président
de la République, en prenant en charge ses fonctions, proclame qu’il
est contre la prorogation de son mandat, dans son intérêt
et celui du peuple, afin que les citoyens sachent qu’il ne travaille pas
pour son intérêt personnel ou pour se maintenir au pouvoir.
Une fois son mandat terminé, il ne devrait pas, non plus, se mêler
de politique.
“Je serais, par contre, favorable à l’élimination du
troisième alinéa de l’article 49, en vertu du principe de
justice et d’égalité. Certains se demandent pourquoi le ministre
ou le député peut utiliser sa fonction pour arriver à
la présidence de la République et non le fonctionnaire.
“Certes, celui qui choisit la fonction publique, le fait pour y demeurer
et servir le pays et il serait dommage qu’il utilise sa fonction pour accéder
à la première magistrature de l’Etat. Mais d’un autre côté,
il faut respecter le principe de l’égalité des chances pour
tous; d’où l’intérêt d’abolir le troisième alinéa
de l’article 49 de la Constitution.”
EN PRIORITÉ: L’ENTENTE NATIONALE
- Quelles seraient, selon vous, les priorités de l’action
à entreprendre par le futur locataire de Baabda?
“Il y a un certain nombre de priorités auxquelles le président
devrait accorder une grande importance. En tête doit figurer l’entente
nationale. Il faut engager un processus de véritable réconciliation
nationale, afin que chaque citoyen se sente appartenir à sa patrie
à part entière.
“Ceci devra se traduire par un exercice sain du pouvoir, l’application
des lois, la réactivation des institutions, par un Etat juste et
équitable; en un mot, par le rétablissement de l’Etat de
droit. L’entente nationale devra englober toute personne qui désire
participer à l’édification de la patrie dans le cadre des
institutions. Il faudra créer un climat positif en formant un gouvernement
qui inspire confiance, en adoptant une loi électorale capable d’assurer
une véritable représentation de tous les citoyens.”
- Sur quelle base devrait se faire le découpage électoral?
“Que ce soit sur la base du caza ou du mohafazat, l’essentiel est qu’il
y ait une même loi pour tout le Liban.”
- Qu’est-ce qui serait préférable d’après votre
expérience?
“Il est essentiel d’adopter la circonscription qui permet de maintenir
le lien entre l’électeur et l’élu et assure une véritable
représentativité. Car le responsable qui s’éloigne
du peuple, s’égare et la députation perd ses principales
assises.”
COMMENÇONS PAR APPLIQUER TAËF
- Etes-vous pour une révision de l’accord de Taëf?
“Il faut se demander, en premier lieu, si son application a été
juste et saine. Taëf a été conçu pour être
un instrument de justice politique, en vue de transférer le pouvoir
aux institutions. Avons-nous réellement créé des institutions?
Au contraire, les pouvoirs se sont personnalisés, chacun cherchant
à consolider sa position par le biais de sa confession. Commençons
donc par mettre en application cet accord; par édifier un Etat;
on verra, ensuite, s’il est nécessaire d’amender Taëf. Toute
révision devra se faire, toutefois, non pour renforcer telle communauté
aux dépens d’une autre, mais pour consolider notre système
démocratique parlementaire basé sur l’équilibre et
le partage des pouvoirs.
“Aujourd’hui, il est du devoir de tout responsable de mettre le processus
sur les rails; d’entamer la réédification de la nation, à
partir de la base, en posant une pierre après l’autre, autour de
la pierre angulaire, sur la base de la transparence, de l’intégrité
dans la tâche et l’intérêt public.”
Le député de la Békaa-ouest développe davantage
sa pensée se référant à un passage de l’exhortation
apostolique sur la convivialité: “L’entente entre les religions
chrétienne et musulmane, affirme le Saint-Père, ne peut être
établie sur une rencontre d’intérêts provisoires. Elle
est le fruit de l’entente entre des croyants bien ancrés chacun
dans sa foi, qui sont des compagnons de travail sur cette terre et des
pèlerins ensemble vers la cité de Dieu.
“Dès lors, aucune patrie ne peut vivre, se développer,
prospérer que par la volonté de ses fils et leur entente.
Si une fraction du corps de la nation est malade, le mal finit par se répandre
sur tout le corps. Seule la loi et sa juste application protègent
le citoyen.
LA PERSONNALITÉ DU PRÉSIDENT
- A votre avis, le chef de l’Etat a-t-il perdu, avec l’accord de
Taëf, une grande partie des prérogatives constitutionnelles
qu’il avait par le passé?
“Puis-je, à mon tour, vous poser une question? De 1943 jusqu’à
Taëf, le chef de l’Etat a-t -il pu utiliser réellement ses
vastes prérogatives? A-t-il pu le faire en 1958, en 1969 et après
69?
“Pour cela, je redis que la seule garantie pour tous est dans le respect
des lois. La question des prérogatives est un moyen pour maintenir
l’équilibre entre les différents pouvoirs, non entre les
personnes.
“Tout dépend, aussi, de la personne du président, de
sa vision, de ses perspectives, de son détachement des affaires
personnelles dans l’intérêt public. Il est le président
de tout le Liban et de tous les Libanais.”
Evoquant, par ailleurs, longuement la question de la réforme
administrative, l’ex-ministre insiste sur le fait que “cette réforme
ne peut être épisodique et pour un laps de temps. La véritable
réforme doit se baser sur des données et des critères
qui supposent la continuité dans l’action.
“De même, après les longues années d’épreuve,
il aurait fallu regrouper et consolider les départements ministériels
plutôt que de les étaler en créant de nouveaux ministères
où les tâches et les prérogatives s’enchevêtrent
avec des départements déjà en place.
“En un mot, le processus de la réforme administrative suppose
une décision politique, une ferme volonté de créer
l’Etat de droit et des institutions. Il est essentiel, aussi, de séparer
la politique de l’administration et de créer un ministère
de la Planification.
RÉUNIFIER L’ÉDUCATION NATIONALE
“Sur le plan économique et social, poursuit-il, il est demandé
d’établir une politique aux objectifs bien définis et d’en
préciser les contours, les étapes et les ordres de priorité.
Le facteur humain doit être au cœur de tout projet et processus,
car il est notre véritable richesse.”
- En tant qu’ex-ministre de l’Education nationale, que proposez-vous
par rapport à ce département qui, après Taëf,
a été partagé en trois ministères distincts?
“Le ministère de l’Education nationale n’aurait jamais dû
être partagé, à mon avis et il faut travailler à
sa réunification. Surtout que dans les nouveaux programmes, on a
rattaché l’enseignement académique à l’enseignement
professionnel et au marché du travail. Comment, dès lors,
établir une politique éducative d’ensemble, si chacun travaille
de son côté? Il faudrait un même organisme qui planifie
le tout, y compris l’enseignement universitaire qui le complète.
Sinon on serait en train de former des chômeurs: les uns ne trouvant
pas du travail et d’autres faisant une activité ne corres-pondant
pas à leur formation universitaire.
“La première chose à faire est de réunifier l’Education
en un seul ministère. Ceci est essentiel pour le développement
de la société et son épanouissement. Les jeunes sont
l’avenir de la nation. L’Education crée une patrie, une société
unifiée et d’authentiques citoyens. Une des actions de base du prochain
régime devra être la réactivation du secteur éducatif,
vu son rôle vital et prioritaire en tous domaines: politique, économique
et social.”
C.V.
Originaire de la Békaa-Ouest, il est né le 18 juin 1942 et fait ses études primaires et secondaires au collège N.D. de Jamhour des pères Jésuites. Il obtient sa licence en droit de l’Université Saint-Joseph (promotion 64-65), occupe le poste de secrétaire général du parlement et ouvre sa propre étude d’avocat en 1969. Entre 1978 et 1992, il s’installe avec sa famille à Paris et exerce sa profession comme avocat-conseil auprès d’hommes d’affaires arabes. En août 1992, il est élu au parlement et réélu en 1997, toujours pour la circonscription de la Békaa-ouest (caza de Rachaya). Le 25 mai 1995, il est nommé ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports et effectue la réforme du système éducatif mis en place depuis 1968. Il contribue à la réunification et au réajustement de l’échelle des salaires des instituteurs. Actuellement, il est membre des commissions parlementaires de l’Information, des Télécommunications, de l’Economie et du Commerce, de l’Industrie et du Pétrole. Marié à Viviane Haddad, ils ont deux garçons: Alexandre et Nadeem John. |