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QUESTIONS SANS RÉPONSE
 
Il n’est plus qu’un seul sujet d’intérêt: l’élection présidentielle. Là-dessus, c’est un véritable matraquage de spéculations et de déclarations qui sortent rarement de la banalité et des clichés les plus éculés. Les reporters des journaux écrits et télévisés, n’ayant rien d’autre à se mettre sous la dent, attrapent tous les jours tous ceux qui passent à leur portée: visiteurs de Baabda, de la Place de l’Etoile, de Koraytem, de Bkerké ou d’ailleurs, pour les faire parler. Et qui n’adore pas parler? Chacun y va donc de son opinion. Mais aucun ne jette la moindre lumière sur l’avenir.
De cette masse de propos, ce qu’on peut retenir de plus remarquable, c’est une récente déclaration de M. Farès Bouez qui remet un peu les choses au point. Le ministre des Affaires étrangères a dit, de ce ton bourru qui fait tout son charme, ce qu’on peut résumer en une phrase: il n’y a rien de changé, il n’y a rien de nouveau. En effet, explique-t-il, la conjoncture régionale qu’on invoque pour déterminer le choix d’un nouveau président, est inchangée depuis plusieurs années; les personnalités dont on parle pour devenir chef de l’Etat sont toujours les mêmes; les arguments qu’on développe pour amender la Constitution, ou son article 49, sont toujours pareils...
Dès lors, comment peut-on parler de “changement” et d’échéance “historique” pour opérer un coup de barre? Car ce sont bien là les seuls thèmes dont tout le monde se gargarise.
Même le président Hraoui affirme que le changement est devenu impératif, comme s’il condamnait la gestion des affaires publiques des neuf dernières années dont il ne se considère guère responsable probablement. N’est-il pas “irresponsable” constitutionnellement?
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Reste un facteur qui est parfois évoqué, mais sur lequel il est difficile de s’apesantir: l’avenir politique de M. Hariri.
C’est bien lui, d’abord, qui développe l’idée de la nécessité d’un changement des conditions de la gestion de l’Etat. Et il ne cache pas qu’il est bien candidat à sa propre succession à la tête du gouvernement. C’est tout à fait légitime et parfaitement compréhensible. M. Hariri a un projet de reconstruction et de réaménagement territorial et urbanistique du Liban et de Beyrouth, en particulier; il y est attelé depuis plusieurs années et il est soucieux de pouvoir le poursuivre, en évitant de se trouver en butte à des obstacles s’il ne gardait pas le contrôle du gouvernement.
On ne saurait le lui reprocher. Mais il arrive avec M. Hariri ce qui arrive toujours quand un personnage autoritaire et actif, comme lui, demeure trop longtemps au pouvoir: persuadé qu’il œuvre dans l’intérêt du pays, il finit par s’identifier à sa charge, au point que toute critique de son comportement lui apparaît comme une atteinte directe aux intérêts de l’Etat.
C’est en quelque sorte le fameux “L’Etat, c’est moi”. Et d’autant plus justifié à ses propres yeux qu’il ne voit pas qui on peut lui opposer pour gouverner à sa place avec un programme crédible et la capacité de le mener à bien.
A cet égard, il faut bien reconnaître que le personnel libanais est bien pauvre, les partis en état de grâce à peu près inexistants. Et bien que les critiques de la gestion de M. Hariri soient de mieux en mieux développées et solidement argumentées, il n’en demeure pas moins que le chef du gouvernement a beau jeu de souligner la responsabilité de ses détracteurs dont les ingérences dans l’administration paralysent l’Etat et obligent l’Exécutif, pour pouvoir travailler, à biaiser et à employer des méthodes discutables.
C’est un débat dramatique et sans fin.

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En définitive, la véritable question serait de savoir si l’échéance présidentielle est, en réalité, celle du choix d’un chef d’Etat doté d’une vision propre de son rôle et de l’avenir du Liban, ou celle d’un chef d’Etat disposé à adopter la vision de M. Hariri et de lui apporter l’appui de son autorité pour lui faciliter la poursuite de son action.
En un mot, s’il ne s’agit plus de proroger le mandat de M. Hraoui, il s’agirait, en tout état de cause, de proroger M. Hariri (ce qui ne réclame évidemment  aucun amendement de la Constitution).
Si les Libanais étaient en situation de peser sur ce choix, opteraient-ils pour la vision haririenne ou pour quelque autre vision laquelle, au demeurant, n’est pas encore exprimée (et voilà un autre aspect des conditions absurdes de cette démocratie).
Quant à la vision de M. Hariri, si on devait la déterminer à partir de l’action qu’il a menée jusqu’ici, elle pourrait se résumer en un slogan: Liban, Hongkong de la Méditerranée, avec tout ce que cela suppose et entraîne de spéculation boursière, de capitalisme sans frein, de problèmes sociaux, de misères côtoyant un luxe ostentatoire.
A l’opposé, on pourrait imaginer un Liban Monaco après avoir renoncé à l’ambition d’être la “Suisse de l’Orient”. Mais qui le préconiserait passerait pour un doux rêveur.
En tout cas, diriez-vous, pourquoi vouloir toujours rechercher un modèle étranger?
On est comme on est! Mais qu’est-on justement? Mettez d’accord là-dessus un maronite, un druze, un sunnite et un chiite, et parlons-en ensuite.
Il est plus réaliste d’œuvrer à modifier le paysage et les conditions matérielles de la vie que de rechercher des définitions idéales. Mais avec une idée directrice tout de même. Ce que fait, en somme, M. Hariri. Réussira-t-il ou nous conduira-t-il à un désastre financier, social et écologique?
Mais l’autre question reste de savoir qui a les moyens d’offrir une autre politique - et qui serait agréé par les parrains de l’élection présidentielle. 

 
 
 

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