GARE AUX RAVAGEURS |
||
Tout
le monde s’amuse aujourd’hui à former un gouvernement ou du moins
à se lancer dans des pronostics échevelés quant à
la composition du prochain Cabinet. Un monopoly du pouvoir en quelque sorte.
Chacun croit savoir par “un ami” qui se trouve être “l’ami d’un ami” d’un mystérieux “personnage-clé” du prochain régime, qu’il n’y aura pas de “quote-part”, ni de “ministres inamovibles” du moment que les décideurs ont donné carte blanche au Général-Président. Mais... cepen-dant... toutefois... il semble bien... il apparaît que... et les spéculations repartent de plus belle. Et si, pour changer, nous laissions tomber ce panier à crabes à propos duquel personne ne sollicite notre avis, pour jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil sur notre environnement, un sujet autrement plus important que ce tas de sangsues doublées de bons à rien? En un mot comme en cent, nous nous fichons complètement des ministres passés, présents et futurs et des gouvernements qui, depuis plus d’un demi-siècle, participent activement à la dégradation “physique” de ce pays, une dégradation menée de front d’ailleurs, avec un égal bonheur, avec celle politique, historique, économique et humaine. Et cela n’est pas seulement le fait des gouvernants, mais de tout un peuple qui, claquemuré dans un nombrilisme pur et dur, se conduit dans son propre pays comme une horde de vandales dévastateurs dans un territoire pris de haute lutte à l’ennemi. Chacun se souvient encore des fameux barils de déchets toxiques disséminés un peu partout dans la nature et dont l’action pernicieuse se répercutera sur plusieurs générations. A côté de ces poisons importés d’Italie, d’Allemagne et Dieu sait de quelles autres poubelles hautement industrialisées, nous avons la déprédation systématique de nos sites, de nos montagnes, de nos plaines, de nos forêts, de nos cours d’eau, de l’ensemble de nos sites, au point où l’on se demande si la carte du Liban sera encore reconnaissable dans un avenir plus proche qu’on le pense. Prenez les carrières qui sévissent un peu partout avec la bénédiction de certains responsables et non des moindres. Celle meurtrière (elle a déjà occasionné la mort d’un ouvrier) d’Amchit, une des plus dangereuses entre toutes. Amchit, jadis un village modèle d’une pure architecture libanaise, aujourd’hui, ville envahie par le béton et les constructions anarchiques, vécut longtemps à l’abri des convoitises des prédateurs, mais ne put finalement échapper aux Attila des carrières qui l’ont éventrée sur toute sa longueur et sur des dizaines de mètres de profondeur, transformant son versant méridional en paysage lunaire béant lamentablement sur le vide. On creuse, on creuse et on emporte par camions entiers les pierres et la terre. Vers où? Le tout est destiné, paraît-il, à un chantier où un ministre poids-lourd aurait des intérêts composés, tellement composés d’ailleurs que ce que l’on enlève à Amchit, les camions le transportent vers les gigantesques chantiers de remblayage de la mer à Dbayé, soulevant, sur leur passage, des tonnes d’une poussière tenace qui va se loger de préférence dans les poumons des autochtones. On doit reconnaître que le ministre Akram Chéhayeb s’est arraché ce qui lui reste de cheveux et la moitié de la gorge - larynx et pharynx compris - à crier son indignation et ses protestations, avec pour seul résultat d’être invité à aller se faire voir. Et depuis quand, dans ce pays, un des manitous du pouvoir a reculé devant la dégradation de l’environnement pour draîner les millions vers ses poches? Comment s’étonner après cela qu’un pays aussi vieux que le nôtre n’ait gardé (à part ses sites archéologiques) presque aucune trace de ses fastes passés, aucun palais (à part celui de Beiteddine), aucun monument, rien qui parle à la mémoire ou au cœur? Comment surtout pousser des cris d’orfraie contre des ennemis haineux comme les Israéliens qui sont en train d’emporter les pierres et la terre de Marj-el-Khiam et de Hasbaya, dans les régions de Marjeyoun et du Arkoub, pour construire leurs colonies de peuplement dans les territoires occupés, alors que nous nous conduisons pire que Netanyahu, Charon et les colons juifs réunis? Le ministre Walid Joumblatt (l’un des champions de l’environnement), inaugurant le Centre forestier méditerranéen à Rmeilé, s’est demandé - à propos du nouveau régime - “si les militaires apprécient l’environnement”. A notre sens, c’est là la question de confiance à poser à chaque nouveau régime, à chaque gouvernement qu’ils soient militaires ou civils. A propos de militaires, il serait ingrat d’oublier que ce sont eux qui ont nettoyé et remis en état les citadelles de Jbeil et de Tripoli, transformées au cours de vingt ans de guerre en dépotoirs nauséabonds. C’est eux qui se mobilisent chaque fois pour lutter contre les incendies de forêts, eux qui prennent une part active au reboisement dans toutes les régions du pays. A défaut d’un blanc-seing, Walid bey, que vous refusez aux militaires, accordez-leur au moins le bénéfice du doute. Ne vous souvenez-vous pas - vous qui, Dieu merci, avez des lettres - du pari de Pascal?* *En un résumé très succinct, le pari de Pascal peut se définir ainsi: Parier sur l’existence de Dieu et agir en conséquence reste plus sûr. Car si Dieu n’existe pas, vous n’aurez rien perdu et si Dieu existe, vous aurez tout gagné. |
![]() |