Editorial


Par MELHEM KARAM 

 
RAPPORT DE LA COMMISSION “VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION” SUR LA DISCRIMINATION RACIALE
IL EST STUPIDE D’ÉDIFIER UN AVENIR SUR LES MENSONGES ET L’OUBLI 
Le dossier de la discrimination raciale a été rouvert avec un grand tapage mondial, par le “Prix Nobel”, Mgr Desmond Tutu qui a remis à M. Nelson Mandela, président de la République d’Afrique du Sud, 3.000 pages, le contenu du rapport de la commission “Vérité et Réconciliation”, définissant la discrimination raciale comme étant un crime contre l’humanité. Des divergences avaient éclaté entre les rédacteurs du rapport et l’instance accusée d’avoir violé les droits de l’homme, dans le cadre de la lutte légale contre la coercition en Afrique du Sud.
Le président sud-africain a accepté le rapport et considéré que l’Afrique du Sud a une vue affranchie de tout compromis, autour de la longue histoire portant contre le racisme de l’Etat. Dans ses longues pages, le rapport relate les horreurs, les laideurs et les violations auxquelles les Noirs se sont exposés durant vingt-quatre ans de discrimination raciale, avant de jeter les bases de la difficile réconciliation entre les Sud-Africains.
“Nous devons fixer la bête dans les yeux pour en finir avec notre terrible passé... Tous noirs et blancs, nous sommes tenus de nous donner la main pour dépasser les blessures du passé”, affirme Mgr Desdmond Tutu en remettant le rapport au président Nelson Mandela.
Face au passé sombre et exécrable, la commission observe que la réconciliation sera impossible sans la vérité. Elle reconnaît n’avoir pas réussi, après trente mois, à réaliser cette réconciliation nécessaire et vitale pour garantir la paix et la stabilité en Afrique du Sud. L’Afrique de Nelson Mandela jette un regard affranchi de compromis et de concessions sur le passé dramatique révolu, à l’instar de bien des pays tombés dans l’oubli collectif et l’amnésie.
Ce qui se passe en Afrique du Sud est horrible et important; c’est l’émergence de la vérité. Le rapport présenté par Desdmond Tutu à Mandela est un document historique comportant tout le mécanisme du racisme de l’Etat et la manière dont il a été démonté, pièce par pièce, responsabilité par responsabilité et crime par l’autre.
Et même si, par rapport à des citoyens sud-africains, il est difficile d’accepter le voisinage du militaire ayant assassiné les opposants politiques, comme du membre de l’association raciste ayant planifié plusieurs complots dont ont été victimes des laïcs, dans le cadre de la condamndation des violations des droits de l’homme, les auteurs du rapport ne mentionnent aucune justice, ni aucun parallèle réaliste, entre l’illégalité d’un régime raciste et l’action de mouvements de libération que d’aucuns considèrent comme illégaux.
Au contraire, ils relèvent la spécificité de la discrimination raciale qui constitue un crime contre l’humanité. De là, l’idée définie lors des procès de Nuremberg, applicable spontanément à la situation sud-africaine. Les responsables doivent être condamnés, recommande la commission, à quatre ans seulement.
Après les premières élections démocratiques et après avoir réalisé cette option définitive, la société africaine proclame: “Nous ne vivrons plus dans la culture et le non-châtiment. Cette option, nous la devons, dans une grande proportion, à Nelson Mandela”. Le président sud-africain pense que l’avenir de son Etat ne passe que par la réconciliation entre tous ses fils et citoyens. L’oubli, s’il est imminent, parce que la mémoire est la faculté d’oublier et non seulement celle de se souvenir, est rejeté dans cette affaire, le substitut étant de se souvenir de la vérité avec sa dureté et son amertume. Pas de réconciliation sans vérité. Aussi, juge-t-il stupide d’édifier un avenir sur l’oubli et les mensonges.
Telle est la nouvelle histoire d’Afrique du Sud: nous devons pardonner, mais il ne nous est pas permis d’oublier. La mémoire ne peut ni ne doit capituler devant le mal que constitue l’amnésie.
Puis, bien des faits se produisent. Nous ne provoquons pas les événements; ce sont eux qui nous poursuivent, au moment où l’Afrique porte un regard affranchi de compromis et de concessions, sur son passé sombre, douloureux et dramatique. Un Etat comme le Chili, paraît avoir caché dans la fin fond de sa conscience, l’incident survenu au membre du sénat, Augusto Pinochet qui a gouverné pendant dix-sept ans en tant que dictateur, criminel et assassin du président Salvador Allende qui avait été élu avec une démocratie parfaite.
L’expérience de Mandela est rare et unique, la démocratie sud-africaine étant jeune. Pensons au Chili donc, mais également aux Etats-Unis qui exorcisent le Vietnam à l’encan pour mieux oublier cette guerre et ses vétérans à l’instar de la France pour oublier la guerre d’Algérie, comme si elle n’avait jamais eu lieu. Qu’ils nous excusent pour ces paroles brèves, bien qu’elles pénètrent dans la profondeur des os.
La faiblesse de la mémoire collective est l’un des drames possibles dans les lexiques des peuples. Les étudiants sud-africains du XXème siècle qui lisent le rapport de Desdmond Tutu sont confiants en ce qu’ils n’affronteront pas ce drame.
En avril 1999, Nelson Mandela quittera le pouvoir et le remettra à son successeur. Mais le vieux lion n’abandonnera pas l’arène politique sans faire évoluer le projet auquel il s’attache, plus qu’à un autre jusqu’à la fin: la vérité autour de la discrimination raciale. C’est pourquoi, il a formé en 1996 la commission qu’il a appelée “Vérité et Réconciliation”, dont la présidence a été attribuée à Mgr Desmond Tutu.
Mandela et Tutu sont les seuls à sortir sains et saufs du brasier. Quant aux autres leaders et présidents blancs, tels Peter Botha, Frédérick De Klerk et le leader zoulou Mango Suthu Buthelezi tenu responsable de 3800 meurtres perpétrés par le parti “Inkhata”, en passant par Mme Winnie Mandela, ex-épouse du président, ils ont été touchés par les flammes.
Le rapport condamne tout le monde: le parti ANC au pouvoir, (le congrès national) africain, le NP le parti national qui a gouverné le pays depuis l’instauration du régime de l’apartheid.
Nelson Mandela a accepté le rapport tel qu’il est, avec ses erreurs et ses lacunes. Un seul s’y est opposé, c’est son dauphin, Thabo Mbeki, président du parti national africain, considérant que la commission “vérité et réconciliation” a dévié de la mission pour laquelle elle a été constituée. Cependant, entre le recours aux Cours internationales, comme au Rwanda et en ex-Yougoslavie et l’oubli adopté par le Chili, l’Argentine, les autres Etats communistes et l’Afrique du Sud ont opté pour une troisième voie. C’est, comme dit Mandela, “une opération de troc entre une justice punitive et une mutation pacifique.” 
Photo Melhem Karam

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