Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD  
 

UN DANGER POUR TOUS

La pollution est entrée - dans l’après-Taëf - si profondément dans les mœurs libanaises qu’elle ne s’est plus limitée à l’environnement, mais a envahi les mécanismes de l’Etat dont elle a fini par faire partie intégrante.
Les crasses, les bavures, les crapuleries, on en a perdu le compte, mais le fin du fin en cette fin de millénaire reste la mise aux enchères du pays à travers l’octroi de la nationalité à qui voulait bien l’accepter comme pis-aller. Ainsi, sans tambours ni trompettes, 300.000 personnes ont été naturalisées en bloc, sans que le moindre examen ait été fait de leurs papiers ou de leurs dossiers. Pour peu, on aurait décerné un prix spécial à tout candidat à la naturalisation à la seule condition qu’il n’y ait aucun droit.
Il y eut, bien sûr, des protestations véhémentes et une action fut introduite devant le Conseil d’Etat, réclamant l’invalidation d’une loi dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est écœurante à la fois de sottise et d’intentions malhonnêtes.
Aux dernières nouvelles, le Conseil d’Etat serait sur le point d’invalider la citoyenneté de 50.000 de ces resquilleurs. Et ce, pour plusieurs raisons dont les principales sont que leurs papiers ne sont pas en règle, qu’ils sont totalement étrangers à ce pays, qu’ils n’y résident pas et n’y ont jamais résidé et qu’ils n’y ont pas la moindre racine. En fait, ce sont des gens de passage - plutôt en transit - qui ont présenté leur demande et s’en sont retournés chez eux. Certains d’entre eux résident en Syrie, en Jordanie, en Irak, en Turquie. D’autres sont des Palestiniens émigrés en Australie, en Nouvelle-Zélande ou au Cap Vert.
Et à propos de Palestiniens, 100.000 de ces nouveaux citoyens à hauts risques mais hélas! pas de haut niveau, sont des réfugiés palestiniens. Qui les croirait et qui nous croirait après cela, quand nos responsables et les leur clament de concert qu’ils refusent l’implantation? Qui est dupe de cette sinistre farce? Mais l’implantation rampante est là, bon sang! C’est pratiquement un fait accompli. Jusqu’à quand allons-nous continuer à payer aux Palestiniens les notes qu’accumule Israël sur leur tête et que Yasser Arafat accepte tout en nous refilant l’addition?
Quand ce sujet a été évoqué, dans ces colonnes, à la veille des législatives 96, un de nos lecteurs, un certain M. Tabbarah (pas le ministre) m’a adressé par Internet une lettre d’invectives précisant, entre autres gracieusetés, que je n’étais qu’une fanatique sans cœur, acharnée à condamner à l’errance et à spolier de leurs droits de pauvres gens sans défense.
Fanatique! Voilà l’argument- massue dont se servent ceux qui tentent de bouleverser la structure démographique, en rompant l’équilibre sur lequel repose l’existence même de ce pays. Vous réclamez un droit dont  on vous a  dépouillé, vous êtes fanatique. Vous protestez contre celui qui tente de vous chasser de votre propre maison pour s’installer à votre place, vous êtes fanatique. Vous avez le culot de dire que vous n’avez rien de commun avec le Turkmène qui est devenu votre compatriote sans jamais avoir mis les pieds au Liban, vous êtes un fanatique sans cœur.
Que diraient M. Tabbarah et ceux qui pensent comme lui, en apprenant que la plupart de ces naturalisés-en-masse n’ont réclamé la nationalité qu’au seul nom du chef de famille, que la majeure partie de ces pères de famille sont en possession de deux, trois, voire quatre épouses et que leurs descendants (enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants) bénéficient, automatiquement, de la nouvelle citoyenneté? Ce qui fait que pour chacun de ces messieurs, 50 à 100 personnes font leur entrée dans les registres de l’Etat civil, sans qu’on puisse les dénombrer. A ce compte, ce n’est plus 300.000 qui se sont vu octroyer la nationalité libanaise mais plus d’un million.
Un tel déferlement ne représente pas une menace pour les seuls chrétiens. Cela représente un danger pour toute la population, toutes confessions confondues. Car tout aussi bien le musulman kurde ou turkmène que le chaldéen irakien n’ont rien de commun avec nous. Ils n’ont, l’un et l’autre, que faire de la culture, des traditions, des racines, des valeurs nationales que chrétiens et musulmans de ce pays partagent.
Un jour, ce danger et cette menace seront une réalité, quand un étranger viendra disputer aux héros qui leur ont si généreusement octroyé la nationalité, les postes de commande que ce soit à la présidence de la République, du gouvernement, de la Chambre ou ailleurs et que nous serons acculés à prendre le chemin de l’exil puisque devenus étrangers dans notre propre pays.
Ceux qui ont signé le fameux décret NÞ5247 auront un jour à répondre, devant l’Histoire, des générations futures sacrifiées d’un trait de plume. Noyer l’identité d’un peuple n’est-il pas une version morale du génocide? 

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