PLAN DECENNAL POUR LA REFORME DE L'ENSEIGNEMENT
PRIORITE DE L'EDUCATION: DEVELOPPER LA PREMIERE RICHESSE DU LIBAN, SON CAPITAL HUMAIN

Ankylosés par trois décades d’immobilisme, dépassés par les nombreux progrès technologiques et distancés par les mutations socio-culturelles, les programmes scolaires libanais battaient de l’aile; un lifting d’urgence s’imposait.
Dans le cadre d’un plan décennal de “Reconstruction du système éducatif”, élaboré par le Conseil National Pédagogique de Recherche et de Développement (CNPRD), une rénovation des programmes voit le jour. Mise en application dès le début de l’année scolaire en cours, la nouvelle stratégie éducative, aux magnifiques ambitions réformatrices, mais aux exigences techniques et pédagogiques dépassant la réalité de certaines écoles, fait déjà l’objet de nombreuses critiques. Réussira-t-elle à relever le défi?
Notre enquête, menée auprès de deux grands établissements scolaires (collège N.-D. de Jamhour et l’Association des Ecoles des Makassed), ainsi qu’auprès de spécialistes et conseillers éducatifs, nous permet d’étudier sur le terrain les diverses modifications éducationnelles, leurs applications pratiques, les problèmes qui en découlent et les solutions préconisées.
 

Initiation des élèves à l’informatique.

Terrain de sport: l’entraînement du 
corps complète celui de l’esprit.
Ankylosés par trois décades d’immobilisme, dépassés par les nombreux progrès technologiques et distancés par les mutations socio-culturelles, les programmes scolaires libanais battaient de l’aile; un lifting d’urgence s’imposait.
Dans le cadre d’un plan décennal de “Reconstruction du système éducatif”, élaboré par le Conseil National Pédagogique de Recherche et de Développement (CNPRD), une rénovation des programmes voit le jour. Mise en application dès le début de l’année scolaire en cours, la nouvelle stratégie éducative, aux magnifiques ambitions réformatrices, mais aux exigences techniques et pédagogiques dépassant la réalité de certaines écoles, fait déjà l’objet de nombreuses critiques. Réussira-t-elle à relever le défi?
Notre enquête, menée auprès de deux grands établissements scolaires (collège N.-D. de Jamhour et l’Association des Ecoles des Makassed), ainsi qu’auprès de spécialistes et conseillers éducatifs, nous permet d’étudier sur le terrain les diverses modifications éducationnelles, leurs applications pratiques, les problèmes qui en découlent et les solutions préconisées.

PROJET INITIÉ EN 1992
Il a fallu attendre la fin de la guerre au Liban et le retour au calme pour voir se réaliser les différentes propositions, maintes  fois avancées, d’une réforme éducative: un programme d’éducation nationale réunissant tous les Libanais. C’est l’idée de départ d’un projet initié en 1992 et entériné le 17 août 1994 en Conseil des ministres, visant à la formation d’un citoyen éduqué et productif, capable de raisonner, d’argumenter et d’acquérir une autonomie du savoir. Il formera ainsi le noyau d’une société évoluée, prête à affronter les défis scientifiques, sociaux et culturels du monde de demain.
Pour atteindre les finalités susmentionnées, une nouvelle stratégie éducative est adoptée au Liban. Elle se propose d’intervenir et d’innover à plus d’un niveau: nouvelle structuration des années d’apprentissage, refonte du contenu des programmes, révolution dans la méthodologie de l’enseignement, recyclage des professeurs et nouveaux procédés d’évaluation. Un ensemble de réformes judicieusement ciblées faisant l’objet de louanges mais, aussi, de critiques à plus d’un égard.

 

Le R.P. Salim Daccache.

Le Dr Rafic Eido.

M. Abdo Kahi.

STRUCTURE D’UN NOUVEL ORGANIGRAMME
L’un des premiers bouleversements opérés par la réforme consiste à modifier les différentes phases de l’enseignement scolaire qui s’étend, désormais, sur quatorze ans et comporte quatre étapes:
1- Le jardin d’enfants.
2- Le primaire.
3- Le moyen (complémentaire).
4- Le secondaire et ses deux filières:
• Enseignement général.
• Enseignement technique et professionnel.

PRÉ-PRIMAIRE ET ENSEIGNEMENT DE BASE
Longtemps cantonné dans le secteur privé, l’enseignement pré-primaire ou jardin d’enfants, nouvellement introduit dans le programme national, doit permettre d’effacer les inégalités en matière d’années de scolarisation. Les élèves fréquentant les établissements publics, auront la possibilité de s’inscrire au pré-primaire dès l’âge de 4 ans révolus. Cette étape s’étend sur une période de deux ans (1er et 2ème jardins).
L’adoption d’une telle réforme maintient les trois années de pré-primaire (petit jardin, grand jardin et 12ème) déjà en vigueur dans les établissements privés et auxquelles l’enfant peut accéder dès l’âge de 3 ans.
Dans le nouvel organigramme, le cycle primaire s’étend sur six ans au lieu des cinq ans adoptés dans l’ancienne structure. Il se répartit en deux modules de trois années chacun débouchant, directement, sans examen officiel, sur le complémentaire. Le premier module est consacré à la découverte de connaissances multiples (linguistiques, scientifiques, sociétales, artistiques...), tandis que le second s’applique à la consolidation et à l’approfondissement de ces acquisitions.
L’adjonction d’une année supplémentaire à l’enseignement du primaire se révèle particulièrement bénéfique aux effectifs qui abandonnent l’école à la fin de ce cycle. En effet, selon des études publiées par l’UNESCO, les chances de retour à l’analphabétisme sont moindres pour ceux qui totalisent au moins cinq ans de scolarisation.
Le cycle moyen, ou complémentaire, comporte un module de trois ans au lieu de quatre, précédemment. Il constitue avec le cycle primaire un tronc commun d’apprentissage, désigné sous le nom d’enseignement fondamental ou de base, au terme duquel l’élève est soumis à un examen officiel pour l’obtention du diplôme du brevet. Ces neuf ans d’enseignement (primaire et complémentaire) s’insèrent dans le cadre de la scolarisation obligatoire jusqu’à l’âge de quinze ans que l’Etat tente, progressivement, d’institutionnaliser.
Les études dispensées dans le cycle moyen constituent une phase de perfectionnement du primaire mais, aussi et surtout, une étape préparatoire au secondaire. Le nouveau programme prévoit des cursus communs à l’enseignement général et l’enseignement technique, afin de préparer l’élève tant à l’académique qu’au professionnel et de faciliter son orientation au niveau du secondaire vers l’une de ces deux filières.

RAMIFICATION GRADUELLE DU SECONDAIRE
Deux filières de trois ans chacune sont donc disponibles dans le secondaire. La première est placée sous la responsabilité des écoles techniques de l’enseignement professionnel qui dispensent des études sanctionnées par un examen officiel: le Bac technique qui permet à son titulaire de s’orienter, directement, vers le monde de l’emploi ou vers des instituts techniques et artistiques supérieurs.
La deuxième filière s’insère dans le cadre de l’enseignement général dispensé par les différents établissements scolaires et prévoit une première année de secondaire commune à tous les élèves. Ce “tronc commun” offre à l’apprenant une chance supplémentaire pour bien cibler son choix entre les deux options qui lui sont offertes en 2ème année du secondaire: humanités et sciences.
La principale nouveauté de la 3ème année du secondaire concerne l’accroissement du nombre d’options et de spécialités (4 au lieu de 3) toutes sanctionnées par le baccalauréat général et ouvrant la voie à des études universitaires:
1- La branche des “Sciences Générales” concernant les mathématiques, les sciences physiques et leur application au niveau du génie.
2- Les “Sciences de la Vie” à l’instar de la biologie, la chimie et leur application dans le domaine de la médecine, de la santé et de l’agriculture...
3- La série “Lettres et Humanités” en relation avec la langue, la littérature, l’histoire, la philosophie, l’éducation, les arts, la science religieuse...
4- La nouvelle branche des “Sciences Sociales et Economiques” liées à la politique, à la gestion, au droit, à la sociologie et aux sciences de l’éducation...
La création de cette nouvelle option permet, également, de développer le secteur des services qui occupe, actuellement, une part de plus en plus grande dans les activités professionnelles et humaines du monde entier.
Ex-directrice de l’Ecole libanaise de formation sociale pendant treize ans, Mme Hyam Samaha Kahi participe à l’élaboration du chapitre relatif au travail social et souligne l’importance de ce bac qui s’insère dans un double objectif d’ouverture d’esprit et d’orientation professionnelle. D’une part, il aide les jeunes à comprendre la société dans laquelle ils évoluent et à casser beaucoup de préjugés. D’autre part, il favorise leur recrutement dans les domaines du travail social et des sciences humaines. Les élèves découvriront dans ce chapitre toute la dimension des problèmes sociaux qui se posent au Liban, aux plans humain, psychologique et relationnel, au plan du vécu et non du théorique.
Grâce à ce nouvel organigramme pédagogique, le Liban s’aligne sur la majorité des pays arabes et étrangers qui répartissent les années d’enseignement pré-universitaire de la manière suivante: 6 pour le primaire, 3 pour le complémentaire et 3 pour le secondaire.
La réforme éducative en vigueur cette année touche, uniquement, quatre classes: la 1ère année du secondaire, du complémentaire et de chacun des deux modules du primaire. Elle fera l’objet d’une révision dans trois ans, afin d’y apporter les modifications nécessaires, à la lumière des résultats obtenus. Elle se poursuivra l’année prochaine au niveau des 2èmes années de chaque cycle.

MÉTHODOLOGIE DE L’ENSEIGNEMENT
La nouvelle méthode pédagogique active, adoptée par les nouveaux programmes, place l’élève au centre de l’apprentissage. L’éducation ne se conçoit plus en termes de “transmission du savoir”, mais plutôt en terme de “suivi”.
Le comportement des enseignants en classe se voit par le fait même complètement bouleversé. Il leur est désormais demandé de nouvelles capacités d’écoute, d’observation et de créativité. Conscient de cette mutation, le CNPRD a organisé des sessions de recyclage pour les enseignants du secteur public et privé, afin de les initier aux nouvelles méthodes pédagogiques et les familiariser avec les nouveaux programmes et manuels.
Toutefois, selon l’expression de M. Abdo Kahi, chercheur en sciences sociales et enseignant universitaire ayant collaboré à l’élaboration des nouveaux programmes, comment réussir la formation, en quelques séances, d’un corps enseignant rodé des années durant à une seule et unique méthode pédagogique?
Le père Salim Daccache, recteur du collège Notre-Dame de Jamhour, se plaît à qualifier cette formation de simple “information”. Un recyclage solide et profond destiné à former le nouveau profil de l’enseignant moderne, ne peut se concevoir en deux ou trois sessions d’initiation. C’est un travail de longue haleine pour lequel les différents établissements scolaires, les bureaux pédagogiques et les instituts d’enseignement supérieur (relatifs au secteur public) sont appelés à coopérer.
Le suivi pédagogique prévu par le nouveau programme soulève, également, un problème d’un tout autre ordre. Il suppose l’acceptation d’un nombre restreint d’élèves en classe et l’augmentation, par conséquent, des salles d’études. Or, le manque de locaux disponibles dans tous les établissements scolaires pose une sérieuse problématique difficile à résoudre.

ÉVALUATION ET PASSAGE AUTOMATIQUE
Le passage de classe automatique dans le premier module du primaire et facilité dans son second module, s’insère dans une politique visant à réduire au maximum l’échec et l’abandon scolaire. (Un élève ayant doublé à deux reprises sa classe se voit refuser l’admission dans tous les établissements scolaires).
Deux problèmes se posent à ce niveau. D’une part, l’écolier rassuré de son succès en fin d’année, risque de perdre toute motivation quant à l’assiduité au travail.
D’autre part, le père Daccache estime nécessaire de soumettre la règle de passage automatique à des critères objectifs et concrets, au lieu d’en faire un usage général et arbitraire.
On dénombre, actuellement, dans le secteur public environ 10% d’élèves de 11ème pâtissant de difficultés d’écriture et de lecture.
La solution de ce problème se situerait un peu plus en aval, au niveau du cycle pré-primaire adopté, récemment, dans ce même secteur.
Toutefois, le Dr Rafic Eido, directeur général de l’éducation et de l’enseignement de l’Association des Makassed, lie le passage automatique au nouveau système d’évaluation. Ce système consiste à jauger les progrès et acquisitions réalisés par l’élève au cours de l’année scolaire, en se basant sur des objectifs et des compétences prévus pour chaque discipline enseignée.
Supposons, à titre d’exemple, qu’en matière de dictée, le premier trimestre de l’année pour la classe de 7ème est consacré à l’étude des accords. A ce moment, la compétence de l’élève sera évaluée suivant sa maîtrise de l’orthographe des accords dans une dictée. L’instituteur notera ses appréciations dans un livret d’évaluation, en cochant la case relative à la lettre “A” pour “Acquis”, “NA” pour “Non Acquis” et “CA” pour “en Cours d’Acquisition”.
Ce système s’avère pénible à manier, d’autant plus qu’il exige une connaissance et un suivi continu de chaque élève, afin de lui apporter l’aide nécessaire en cas de difficultés.
Cette méthode d’évaluation inspirée du système canadien et français vise, néanmoins, à situer l’élève du point de vue de ses connaissances et de ses capacités par rapport aux objectifs préfixés.
Le bulletin de note limite, par contre, l’élève à une appréciation numérique non révélatrice des véritables lacunes de son apprentissage.

REFONTE DES PROGRAMMES SCOLAIRES
La nouvelle stratégie éducative adoptée au Liban prévoit une réforme totale des programmes d’enseignement. Objectifs: les relier aux impératifs des progrès socio-économiques et technologiques, maintenir un équilibre judicieux entre acquisitions théoriques et applications pratiques, favoriser les cultures nationales et civiques, développer les compétences manuelles et les activités sportives, former l’esprit civique, le goût artistique et le sens esthétique de l’élève.
Pour mener à bien ce projet, les promoteurs de la réforme ont investi leurs efforts dans la mise à jour des disciplines déjà enseignées, l’amélioration du livre scolaire national et l’introduction de nouvelles matières.
L’utilisation de nouveaux manuels élaborés par le CNPRD, obligatoires pour les établissements scolaires publics, est facultative pour les écoles privées à l’exception des livres d’Histoire (voir encadré) et d’éducation civique. Le père Daccache aurait souhaité que ces deux livres fassent, également, l’objet d’élaboration et de publication de la part du secteur privé.
Cependant, la pénurie de certains nouveaux livres scolaires adoptés cette année, due au retard de publication ou à l’épuisement des stocks, jette une zone d’ombre sur le tableau. Il serait bon, aux dires du père Daccache, que le CNPRD sonde les besoins de toutes les écoles en livres scolaires, par le biais de coupons “question-réponse”, afin d’éviter qu’un tel problème récidive l’année prochaine.
Aux disciplines de base, dont le contenu a été enrichi et, peut-être même alourdi, viennent s’ajouter de nouvelles matières: technologie, informatique, éducation civique, sociologie, économie, gestion, civilisations, hygiène, environnement...
D’autres activités plutôt récréatives et artistiques meublent, également, une partie des programmes: sport, dessin, photographie, sculpture, écriture, chant, musique, danse, théâtre, travaux manuels, agriculture, arts ménagers, conduite de voiture...
Cette densité et cette variété de matières, ayant nécessité une augmentation des heures d’enseignement, constituent une arme à double tranchant: d’une part, elles répondent dans leur diversité aux objectifs préfixés par la nouvelle stratégie éducative, mais risquent, d’autre part, de stresser des élèves surchargés par un surplus d’information à gérer.
Serait-ce la reprise du fameux adage: qui trop embrasse, mal étreint?
Le Dr Eido et le père Daccache s’accordent, toutefois, à dire que les matières à caractère artistique et ludique, bien agencées dans l’emploi de temps des élèves, leur offriront un espace de liberté et de divertissement. C’est dans cette perspective que le collège N.-D. de Jamhour a prolongé la récréation de midi pour y inclure ces différentes activités et bien d’autres: peinture sur tissu, tir à l’arc, pyrogravure, céramique... dans le cadre du “Midiclub”.
La nature des nouvelles disciplines à l’instar de la technologie et de l’informatique, octroie à l’expérience une place très importante dans le cursus scolaire. Elle suppose un travail pratique en laboratoire avec utilisation de logiciel et manipulation de matériel scientifique, électrique, de mesure ou d’observation.
La mise en pratique de cette politique se heurte à deux obstacles. Le premier concerne le manque de locaux, ainsi que le financement et le temps requis à leur équipement. Le second relève du corps enseignant auquel devraient se rallier de nouveaux éléments qualifiés recrutés sur concours. Ces problèmes se posent aux écoles privées et plus lourdement aux écoles publiques.

***
Une seule question subsiste: pourquoi avoir hâté le lancement du nouveau programme avant même de préparer le contexte de son application effective?
Réponse unanime: en invitant les Libanais à s’investir dans le réel et le concret, leur motivation sera encore plus grande.
LINA ASFAR

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