L’INDONÉSIE: VERS
UNE RÉVOLUTION BIS?
Encore une
fois, les étudiants ont fait bouger la rue à Djakarta pour
récupérer une révolution qui leur a été
volée, le 21 mai dernier, lorsque le président Suharto, le
“roi javanais”, avait quitté la scène après 32 ans
de pouvoir absolu. Il était aussitôt remplacé par son
vice-président et dauphin désigné B.J. Habibie, présenté
comme un président de transition, désireux d’éteindre
le feu menant directement à une guerre civile. Apparemment, rien
n’a changé: mêmes acteurs, même système en dépit
d’une libéralisation de façade.

Une scène de violence. |

Victime gisant par terre. |
Les blessures avaient été trop profondes pour une panacée
de circonstance. La révolution, partie de l’université privée
de Trisakti à Djakarta (10 millions d’habitants), avait été
propagée par un million d’étudiants à travers les
campus des 54 universités du pays, gagnant de larges couches de
la population ruinée par la crise économique, sous
le regard neutre, parfois complice de l’armée et débordant,
enfin, dans un violent climat insurrectionnel dans le centre de la capitale
où une douzaine de centres commerciaux avaient été
saccagés, pillés, des banques détruites et de grands
magasins incendiés. Trois journées insurrectionnelles avaient
fait quelque 500 morts.
Ce n’était pas la première fois que les étudiants,
fer de lance de la contestation, défiaient le pouvoir. En 1966 déjà,
en coopération avec l’armée, ils avaient contribué
à la chute de Soekarno, père de l’indépendance et
hâté la promotion d’un “ordre nouveau” annoncé par
Suharto qui avait écrasé, quelques mois plus tôt, un
coup d’Etat dans un bain de sang. Mais Suharto s’était accroché
au pouvoir à la faveur de sept mandats successifs dont le dernier
avait été entamé le 10 mars dernier. Entouré
de ses proches, il aurait accumulé une fortune de quelque 40 milliards
de dollars.
Pour un “ordre nouveau”
Depuis mai dernier, le nouveau régime qui n’en était
pas un, était resté sous surveillance. Et les étudiants
étaient toujours mobilisés réclamant le changement
tant attendu dans un pays qui compte 202 millions d’habitants, (17.508
îles) dont la moitié vit déjà sous le seuil
de pauvreté. La coupe a débordé quand les membres
de l’Assemblée consultative du peuple issue du Golkar (parti
de Suharto) ont tenu, la semaine dernière, leur session extraordinaire
pour annoncer un calen-drier des changements constitutionnels et la date
des prochaines élections.
En prévision des troubles, l’armée avait déployé
dans la capitale un dispositif impressionnant: 30.000 soldats, 125.000
miliciens civils et au large des côtes cinq navires de guerre, un
sous-marin. Le mot d’ordre était clair: prévenir toute anarchie
et contenir les manifestations qui déstabilisent déjà
le pays où les mouvements séparatistes s’expriment
au grand jour et où les grèves de la faim sont de plus en
plus sauvages.
Les étudiants, rejoints par une partie de la population, ont
fait monter la pression dans une confrontation inévitable
avec l’armée dont ils entendaient limiter le pouvoir. Déjà,
ils contestaient toute légitimité à l’Assemblée
consultative du peuple issue de l’ancien régime. Et voici qu’elle
confirme, à l’issue de ses travaux, le rôle politique de cette
armée omniprésente. De plus, elle ignore l’une de leurs revendications
de base: la lutte contre la corruption et la traduction devant la justice
de l’ex-président Suharto. Certes, cette Assemblée
a annoncé des législatives pour 1999 et la modernisation
des institutions, mais les réformes envisagées sont trop
lentes et ne correspondent pas à l’avènement d’un “ordre
nouveau” qu’ils réclament.

Le président Habibie. |

Le général Wiranto. |
Les assurances dépassées de Habibie
20.000 manifestants sont enfin descendus à Djakarta pour exprimer
le ras-le-bol de la population. Et dans un climat insurrectionnel rappelant
celui de mai dernier, le “vendredi noir” a fait basculer la capitale dans
le chaos, ouvrant la voie aux pillards et aux anarchistes. Balles en caoutchouc,
bombes lacrymogènes, pierres, coutelas n’ont pu calmer la population
déchaînée. Les blindés ont tenté
de la disperser. Et finalement l’armée a tiré. Bilan: 14
morts et 150 blessés.
Peu désireux de manquer leur révolution-bis, les étudiants
réclament la démission du général Wiranto,
chef de l’armée, ministre de la Défense et le rendent responsable
de ce “vendredi noir”. A la différence du mois de mai, l’armée
s’est montrée agressive; elle est même divisée et ne
serait pas tentée par un coup d’Etat dans les circonstances actuelles.
Autrefois, alliée des étudiants, elle est perçue aujourd’hui
comme leur ennemi.
Le président B.J. Habibie s’est voulu rassurant
en tentant d’émerger de la tempête: “Les étudiants,
non seulement sont notre futur” mais aujourd’hui un élément
actif de la nation. Nous allons initier davantage de réformes, mais
cela prendra du temps. Ce qui ne nous empêchera pas de “prendre des
mesures fermes contre ceux qui attaquent l’ordre constitutionnel.”
En attendant, le feu couve sous la cendre.
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