A
l’occasion de l’entrée en fonction du nouveau président de
la République, le thème du “changement” demeure le sujet
favori de toutes les conversations. Deux aspects du changement attendu
sont le plus souvent évoqués: 1) le fonctionnement des institutions,
c’est-à-dire les rapports entre les pouvoirs: l’Exécutif,
le Législatif et le Judiciaire, ce qu’on résume par l’abolition
de la “troïka”; 2) la réforme de l’Administration afin de donner
la priorité à la compétence et à l’honnêteté.
L’Administration est un pro-blème récurrent. Les expériences
passées laissent généralement sceptique quant à
la possibilité de renoncer au népotisme, au clientélisme,
voire au confes-sionnalisme, pour imposer la compétence et supprimer
la corruption. Et pourtant, c’est toujours sur ces deux points que l’exigence
du citoyen est la plus importante et la plus pressante. Il est directement
concerné par le fonctionnement de l’Administration. C’est dans ses
rapports avec les agents de l’Etat qu’il juge cet Etat et toute la politique
du gouvernement.
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La corruption est le problème majeur dont la solution apparaît
tout à fait aléatoire.
Les exemples abondent de l’impossibilité d’accomplir la moindre
formalité administrative dans des délais raisonnables sans
devoir en payer le prix sous forme de “cadeaux” en espèces. On parle
même de “signatures tarifées” dans certains services. Les
citoyens, dans leur écrasante majorité, en ont pris leur
parti au point de se donner bonne conscience en justifiant leur complicité
par la modicité des traitements des agents de l’Etat, comme par
la nécessité de hâter les formalités lesquelles,
sans le “pourboire” imposé, traîneraient indéfiniment
ou n’aboutiraient jamais.
Mais croire qu’une augmentation des traitements supprimerait le mal,
c’est une illusion. Ce mal est très profond. (Dans certains pays
d’Afrique francophone, le “pourboire” est désigné par cette
expression “le geste national”! C’est tout dire sur l’enracinement du phénomène).
Imposer aux fonctionnaires cette discipline élémentaire
qui consiste à traiter tous les citoyens selon le principe d’égalité,
sans atermoiement; à recevoir les requérants en leur imposant
de se mettre en rang par ordre d’arrivée; être au service
de l’administré et non pas se servir sur son dos. Pour accomplir
cette véritable révolution dans les administrations publiques,
il faudrait une volonté politique au niveau du ministre et du directeur
général responsables. Cette volonté a toujours manqué.
Pourquoi? Pour des raisons variées, la première étant
que la corruption est considérée comme une donnée
avec laquelle il faut composer, comme une plaie inévitable, peut-être
même une tare héréditaire.
La seconde raison est que le citoyen ordinaire est l’objet d’un mépris
total.
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Il existe deux catégories de corruption. Celle des hauts responsables
de l’Etat. Et celle des fonctionnaires à tous les échelons.
La première existe partout dans le monde. A notre époque,
elle fait scandale dans de nombreux pays, même les plus avancés
dans la pratique de la démocratie. On en a parlé beaucoup
ces derniers temps en France (“les affaires”), en Belgique, en Italie,
au Japon et ailleurs. Mais de plus en plus, la justice s’en saisit et sévit.
Il fut, cependant, un temps où l’on s’en accommodait. On cite
souvent cet exemple d’un maître en la matière: Talleyrand,
alors ministre des Affaires étrangères, qui s’obstinait à
ne pas apposer sa signature sur un traité qui venait d’être
conclu avec les Etats-Unis. En dépit de toutes les démarches
insistantes de l’ambassadeur américain, Talleyrand atermoyait. Finalement,
excédé par la pression du représentant de Washington
et par son esprit obtus, il lui lance: “Monsieur l’ambassadeur, il faut
payer!” Horrifié, l’Américain fait son rapport au président
des Etats-Unis qui dénonce publiquement Talleyrand. Finalement,
l’Amérique a payé et Talleyrand a signé.
Depuis, on peut dire que les Américains ont retenu la leçon
et sont devenus orfèvres en la matière. Rien ne fait plus
scandale: les affaires sont les affaires. Et s’il reste encore dans ce
pays un relent de puritanisme dans le domaine de la vie privée,
il est en voie de disparition comme on le constate aux réactions
populaires dans l’affaire Monica Lewinsky.
Ce système de corruption à la Talleyrand ne dépasse
pas les cercles élevés du pouvoir dans les pays dits “développés”.
Par contre, au niveau de l’Administration en contact direct avec les citoyens,
il existe une discipline.
Cette discipline ne suppose pas seulement des salaires suffisants,
comme on le croit trop facilement ici, mais aussi une organisation du travail,
ainsi que de l’accueil des requérants qui sentent, alors, que leurs
droits sont respectés et qu’ils sont traités selon le principe
d’égalité. Enfin, il y a des contrôles et des sanctions.
Cette discipline-là, en verrons-nous jamais les prémices? |
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