LA FRANCE REÇOIT
L’AFRIQUE AU CARROUSEL DU LOUVRE
Ce n’était
pas le “pré-carré” français des anciennes colonies
qui était convié les 27-29 novembre au XXème sommet
franco-africain à Paris, mais toute l’Afrique: francophone, anglophone
et lusophone. Une première dans l’histoire de la France qui s’est
présentée pendant quarante ans comme le “gendarme de l’Afrique”
et s’est refait récemment une santé et une stratégie.
Jacques Chirac s’entretenant avec Kofi Annan.
Réunir 49 délégations et 33 chefs d’Etat relevait
de la gageure. D’autant que nombre d’entre eux se faisaient la guerre.
Le miracle fut qu’entrés au Carrousel du Louvre comme belligérants,
ils en soient sortis avec une promesse de paix. La sécurité
du continent africain étant le thème central du sommet, c’est
tout naturellement la guerre en République démocratique du
Congo, impliquant sept pays, qui a focalisé l’essentiel des efforts.
Deux maîtres de cérémonie officiaient pratiquement.
Tout d’abord, le président Jacques Chirac à qui revient le
mérite d’avoir réuni un tel aréopage, d’avoir cru
en sa renaissance. Ensuite, le secrétaire général
des Nations Unies présent pour la première fois à
un sommet franco-africain et fortement motivé. Le Ghanéen
Kofi Annan porte, naturellement, en lui les problèmes de son continent.
La grande famille africaine réunie aurour
de Chirac et d’Annan.
FRANCE-ÉTATS-UNIS, DEUX PERCEPTIONS
DIFFÉRENTES DE L’AFRIQUE
Après avoir limité son engagement militaire en Afrique
pour faire “mieux avec moins” et tout en restructurant sa coopération
qui se traduit par une aide au développement trois fois supérieure
à celle des Etats-Unis, la France reconquiert un continent que lui
dispute non sans arrogance l’administration américaine.
La nouvelle “colonisation” américaine avait officiellement débuté
avec fracas en 1996 lorsqu’à l’occasion de deux longs périples,
le secrétaire d’Etat Warren Christopher foulant le fameux “pré-carré”
français, annonçait qu’il n’existait pas de domaine “réservé”
en Afrique. Il y était suivi par Hillary Clinton et Madeleine Albright;
enfin, par le président américain lui-même (23 mars
- 2 avril 1998) qui claironnait que le paternalisme n’avait plus cours,
les temps du partenariat étant arrivés.
Réunion des leaders africains impliqués
dans le conflit congolais.
En onze jours et à travers six pays, Clinton tentait d’imposer sa
célèbre formule “traid not aid” pour un continent qui représente
10% de la population du monde et 600 à 700 millions de consommateurs.
Il annonçait un projet de loi “pour la croissance et l’opportunité
en Afrique” qui attend toujours aux portes du Sénat. Ce n’est pas
ce qu’attendait de lui l’Afrique déchirée depuis cinquante
ans par le plus grand nombre de guerres dans le monde.
L’échec le plus cuisant de la nouvelle stratégie américaine
en Afrique fut le retournement de Laurent-Désiré Kabila intronisé
à Kinshasa, avec l’aide du Rwanda où officiaient des généraux
américains et qui s’est retourné contre ses parrains pour
revenir sagement dans le giron de la France.
C’est que, comme le dira Jacques Chirac, “la France aime l’Afrique”
et reconnaît un “progrès africain indiscutable, même
si des crises le masquent (...) un vrai progrès vers la démocratie,
un vrai progrès pour la bonne gouvernance.” Et comme il l’a affirmé
dans son discours inaugural: “La France ne redécouvre pas périodiquement
l’Afrique, au hasard d’un voyage, d’une crise, de turbulences économiques
ou d’une catastrophe climatique. Elle est de longue date votre partenaire
attentif.”
Chirac avec le président gambien Yahya
Jammeh
en costume national.
“UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE LA SÉCURITÉ”
Certes, a indiqué le président français, la sécurité
de l’Afrique est de la responsabilité des Africains. Et c’est dans
ce sens que la France concrétise son concept Recamp (renforcement
des capacités africaines de maintien de la paix), tout comme les
Etats-Unis qui soutiennent leur programme ACRF (force de réponse
aux crises africaines). Mais cela ne justifie pas le désengagement
du monde face aux graves crises que traverse le continent.
“La France, a-t-il déclaré à l’ouverture du sommet,
se sent concernée par la définition concertée d’une
architecture de sécurité collective pour l’Afrique, plus
lisible, où la nécessaire implication accrue des instances
africaines au niveau sous-régional et régional ne s’accompagne
d’aucune érosion des responsabilités du Conseil de sécurité
de la communauté internationale.”
Le président rwandais Pasteur Bizimungu
et son épouse reçus au dîner de gala à l’Elysée
par Jacques et Bernadette Chirac.
“La violence et la guerre paralysent notre continent, a par ailleurs relevé
Kofi Annan. Trop nombreux sont les citoyens qui ne peuvent exercer les
droits de l’homme (...) Jamais l’Afrique n’a été autant affligée
par la guerre et la misère qu’aujourd’hui.” Aussi, faut-il de toute
urgence s’employer à enrayer les guerres qui endeuillent le continent:
celle opposant l’Ethiopie à l’Erythrée et celle allumée
depuis août dernier et engageant d’une part l’Ouganda et le Rwanda
aux côtés de la rébellion et d’autre part, le Zimbabwe,
l’Angola, la Namibie et le Tchad aux côtés de la RD Congo.
LA PAIX À L’HORIZON DE LA RD CONGO
Les drapeaux africains flottent sur les Champs-Elysées.
Puisque tous les protagonistes de ces guerres sont là, eh! bien,
prenons le taureau par les cornes et réunissons-les pour qu’ils
s’entendent enfin et annoncent des espoirs de paix, ont semblé dire
Chirac et Annan. Certes, l’Ethiopie et l’Erythrée, frères
ennemis se disputant des tronçons de frontières et qui ont
exprimé leur volonté “de rechercher une solution pacifique
au différend qui les oppose.” Mais, surtout, les sept pays impliqués
dans la guerre en RD Congo.
En concertation avec le président Chirac (“La France est extrêmement
soucieuse de la situation au Congo et la région des Grands Lacs”),
Kofi Annan en a fait la priorité du sommet. Il s’est, d’abord, réuni
séparément avec chacun des protagonistes du conflit; puis,
a réussi à les réunir en table ronde autour de négociations
marathons pour leur arracher, enfin, une promesse de cessez-le-feu.
Laurent-Désiré Kabila accueilli
fraîchement à l’Elysée.
Les sept pays, hormis la rébellion présente à Paris,
se sont engagés avant la fin du sommet à arrêter immédiatement
les hostilités, en vue d’un cessez-le-feu conduisant à un
accord qui devra être paraphé à l’issue de négociations
prévues sous l’égide de l’OUA, les 17 et 18 décembre
à Ougadougou, capitale du Burkina Faso. “Il y aura un accord en
bonne et due forme sur la cessation des hostilités et sur le retrait
des forces d’invasion”, a annoncé Laurent-Désiré Kabila,
vedette controversée du sommet, dont l’arrivée en France
avait suscité des remous au niveau des associations des droits de
l’homme et de la classe politique. Il aurait pu être arrêté
à Paris, comme ce fut le cas de Pinochet à Londres. La FIDH
et la Ligue française avaient porté plainte contre lui. Mais
le Parquet de Paris a décidé de ne pas le poursuivre. Il
était invité en France en qualité de chef d’Etat.
Le XXème sommet franco-africain: un succès incontestable
pour Jacques Chirac qui a repris pour le compte de l’Afrique ce proverbe
africain cité par le chef d’Etat du Burkina Faso et président
en exercice de l’OUA, Blaise Compaoré: “Même au plus sombre
de la nuit, l’aube est à portée de main, à condition
que l’on sache tendre la main.”
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