Il
est possible qu’au moment où paraîtront ces lignes, les difficultés
soulevées par M. Hariri au sujet de la forme des consul-tations
présidentielles aient été dissipées et que
nous ayons déjà un gouvernement ou, tout au moins, le nom
de la personnalité désignée pour le former. Il n’en
demeure pas moins qu’un débat révélateur s’est développé
à cette occasion sur le sens de l’article 53 de la Constitution.
Ce débat a montré au grand jour la faiblesse de notre système
politique, au mo-ment même où le discours d’in-vestiture du
président Lahoud faisait l’unanimité spontanée du
pays parce qu’il laissait espérer l’émergence d’une autorité
forte, fondée sur le strict respect de la loi.
C’est à ce moment-là, en effet, que M. Hariri laissait
entendre qu’il ne pourrait pas collaborer avec l’auteur du discours parce
que la loi (l’article 53) n’avait pas été respectée
au cours des consultations. On peut ironiser sur cette image d’un Hariri
subitement érigé en défenseur de la Constitution,
après de si longues années de règne de la fameuse
“troïka” dont tout le monde s’accordait (et l’un de ses membres en
particulier, M. Berri) pour dire qu’elle sapait le régime institutionnel.
Mais plus important est de dénoncer cette tendance à
répandre des idées fausses qui, pour une question de prestige
personnel ou d’intérêts sordides, troublent la confiance du
pays dans les lois et ébranlent le fonctionnement harmonieux des
pouvoirs.
***
Imaginons la scène.
Dans le secret de son Cabinet, le président de la République
reçoit les députés un à un ou par petits groupes
(les représentants de partis). Il pose à tous la même
question: “Qui proposez-vous pour former le gouvernement?”
Certains répondent en nommant leur candidat. D’autres avouent:
“Je n’ai pas de candidat. Je m’en remets à vous, monsieur le président.”
Ce genre de réponse étant interdit selon certaines exégèses
de l’article 53, que doit faire le chef de l’Etat? Il pourrait commencer
par insister: “Faites donc un effort, monsieur le député.
Donnez-moi un nom.” - “Vraiment, je ne peux pas. Excusez-moi, monsieur
le président. C’est en votre choix que je place toute ma confiance.”
- “Mais voyons, monsieur le député, il y a bien parmi
quatre ou cinq personnalités valables, une qui mériterait
votre choix. Par exemple, que diriez-vous de monsieur Un tel?”
- Eh! bien, monsieur le président, allons-y pour monsieur Un
tel.”
Et voilà! Le tour est joué. Obligé de se prononcer,
le député aura fini par adopter le nom suggéré
par le président de la République. Cela revient exactement
au même qu’une délégation de pouvoir censée
être interdite, selon certains, par l’article 53.
Est-ce cela que les partisans de la limitation des pouvoirs du chef
de l’Etat veulent, cette espèce de farce?
Il est bien admis que lorsqu’on dit “consultations”, on ne signifie
pas “vote”. Autrement, la procédure se déroulerait à
la Chambre et le président de la République en serait totalement
écarté.
Mais il s’agit de “consultations”. Cela suppo-se, nécessairement,
un dialogue. Au cours de cet échange d’idées, l’un des interlocuteurs
peut influencer l’autre. Dans ces conditions, il faut bien reconnaître
que le président de la République a un rôle actif,
qu’il n’est pas un simple appareil d’enregistrement.
Et à supposer même qu’on veuille le réduire à
ce rôle passif (et muet), comment empêcher cet appareil de
consigner des réponses du type “sans opinion”, comme disent les
sondeurs?
***
Tout cela est aussi élémentaire qu’évident. Dès
lors, on est forcé de supposer que ce débat ridicule n’est
soulevé que dans le but de saper, dès le départ, l’autorité
d’un homme qui commence à faire peur parce qu’il a su, dès
le premier instant de son investiture, rassembler le pays autour de lui,
en réussissant à exprimer le véritable sentiment public
sur le fonctionnement des pouvoirs et les espoirs des nouvelles générations
qui ont soif de rigueur et d’honnêteté.
C’est cela, en réalité, qui est interdit par la prétendue
interdiction de “s’en remettre au président de la République”.
Il faudra bien que M. Hariri comprenne que si certains députés
ont voulu s’en remettre au chef de l’Etat, c’est probablement qu’ils ont
senti, mieux que d’autres, que le pays tout entier s’est déjà
reconnu dans l’homme du discours du 24 novembre. |
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